Par Sébastien Fleuriel [1]
Qui veut prendre ses distances avec les affres estivales du football français, lira avec bonheur une Histoire du football au Brésil de Michel Raspaud qui propose une synthèse, jusque là indisponible en France, de l’histoire du football brésilien essentiellement inspirée de la presse, des ouvrages, des articles et autres travaux universitaires publiés en langue portugaise au Brésil ou en Amérique latine. Bien qu’il n’agisse donc pas de matériaux de première main à proprement parler, le texte, riche d’une quantité de tableaux, photos, cartes, graphiques, extraits de citations, reste suffisamment documenté pour imprimer à l’ensemble un rythme qui le rend d’une lecture dynamique et aisée.
Là où le cas français interdit, pour l’instant, toute analyse raisonnable en vertu de son excessive dramaturgie, celui du Brésil présente bien des similitudes pour aider à penser de manière réflexive et distanciée la situation française. On trouvera notamment dans le chapitre 3 (pp. 71-102) de fortes analogies avec la France dans la manière d’appréhender la faillite de la sélection nationale brésilienne (la Seleçao) en 1950, vécue comme une invraisemblable tragédie nationale au cours de laquelle presse, et pouvoir politique, ont largement surinvesti leur énergie et projeté leurs ambitions. On ne manquera pas à l’occasion de souligner la troublante ressemblance de la dialectique raciale et sociale, (préoccupation que pointe l’auteur en filigrane tout au long de l’ouvrage, sociologie oblige !), qui encense une société brésilienne multiraciale et dénie l’existence du racisme quand tout va bien, mais dont toutes les tensions rejaillissent dans l’adversité. A ce titre, l’examen comparé de deux autobiographies de Pelé (chapitre 5, pp. 123-145) produites à presque 30 ans d’intervalle (1977 et 2006) actualise judicieusement les connaissances relatives à l’analyse biographique en rappelant combien une autoanalyse n’a pas de valeur absolue et doit être rapportée à son contexte de production et à la position que l’auteur occupe dans celui-ci à l’instant de l’écriture. Aussi le Pelé des années 70 manifestement peu enclin à voir et à dire le racisme de son environnement, montre moins de réserve sur la question 30 ans plus tard.
C’est que dans le Brésil du milieu des années 2000, celui d’un président Lula fortement préoccupé par les inégalités sociales et leurs coïncidences avec la question raciale, Pelé a fait l’expérience du politique en qualité de ministre des sports de 1995 à 1998. Et d’une autobiographie pour le moins « lissée » en 1977, on débouche alors, comme dans une sorte d’illusion biographique [2] « inversée », sur une seconde faisant l’anamnèse de détails initialement occultés qui font surgir le spectre d’une société bel et bien raciste.
Que ce soit à travers la formation d’un espace local et national des clubs et des élites au Brésil (chapitres 1 et 6), ou encore à travers la circulation internationale des footballeurs brésiliens (chapitre 7), ou enfin à travers l’explicitation des présupposés sociaux de la pratique (chapitres 2 et 8), Michel Raspaud fournit ainsi des instruments d’analyse pertinents pour appréhender la prégnance d’une pratique sportive dans son contexte social. Avec la distance géographique et le recul temporel qui séparent la situation brésilienne de celle de la France, l’effet d’exotisme s’avère tout à fait rafraichissant pour décrypter l’actualité footballistique française avec un minimum de détachement d’une part, et met sans doute d’autre part à disposition des clés de lecture et de compréhension du prochain Mondial qui se tiendra précisément au ... Brésil.