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Histoire sociale des mathématiques

Un numéro de la "Revue de synthèse" (Springer, tome 131, 6e série, n°4, 2010)

publié le jeudi 3 février 2011

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Par Christophe Brochier [1]

Ce dernier numéro de la revue de synthèse poursuit l’effort de longue haleine visant à fournir des analyses concernant l’histoire et la sociologie de la connaissance sous leurs aspects les plus divers. Il permet également au lecteur non spécialiste d’avoir un aperçu des travaux récents en histoire des mathématiques, discipline vigoureuse en France. Le numéro donne ainsi la parole à quatre jeunes chercheurs qui envisagent l’histoire des mathématiques pour des époques et des problématiques différentes. A l’exception de l’article de F. Brechenmacher, il n’est pas nécessaire de connaître les mathématiques pour dégager pleinement l’intérêt des contributions en matière d’histoire des sciences. Un effort de mise à l’accès du public a donc été fait et il se trouve augmenté par l’articulation des contributions autour de quelques perspectives communes présentées (un peu vite il est vrai) en introduction.

Dans sa présentation du numéro, Caroline Ehrhardt indique quelques pistes suivies par les auteurs. Ces derniers partagent l’idée de ne pas se limiter au programme des sciences studies et de tirer pleinement profit de l’étude historique des sciences de façon, notamment, à ne pas gommer les spécificités des mathématiques, en particulier leur prétention à l’universalité. L’attention porte en particulier sur la façon, peut-être propre à cette science, dont se constituent les corpus par les publications et la circulation des textes ou des courriers. Il s’agit donc d’interroger la formation du corps même de ce qui constitue la discipline en regardant entre autres choses les procédures matérielles, sociales et intellectuelles, mais sans détacher celles-ci des savoirs particuliers que l’on veut comprendre (défaut attribué aux sciences studies).

La première contribution (« The significance of Ptolemy’s Almagest for its early readers ») signée par Alain Bernard essaie de mettre en évidence l’importance du traité de mathématiques astronomiques de Ptolémée (L’Almageste) pour ses lecteurs de plusieurs époques. Pour ce faire il traite l’ouvrage comme un produit culturel lu et utilisé de manières légèrement différentes selon les périodes. En ce sens l’article est une réflexion sur la maturation des textes. Dans le cas de celui de Ptolémée, Bernard insiste sur la nécessité de connaître le lectorat auquel il était adressé. Les astrologues de l’antiquité en constituaient la part principale. Ils cherchaient dans le livre des ressources techniques mais également des postulats éthiques et philosophiques en accord avec le sens de leur activité. Pour les commentateurs postérieurs (notamment au 4e siècle après JC), l’importance des aspects techniques s’est modifiée mais le public restant le même, les aspects éthiques assuraient la continuité et le sens primordial de la lecture.

La deuxième contribution (« Bons procédés entre érudits »), due à Samuel Gessner porte sur l’examen du sens d’un échange de lettres entre deux savants italiens du XVIe siècle. Il s’agit de comprendre l’utilité de ce type de pratiques pour les savants de l’époque. Dans le cas étudié, un professeur romain de mathématiques inconnu et mal payé (Pazzi), adresse à un évêque érudit de Venise (Barbaro) un appareil destiné à vérifier la faisabilité de certaines manipulations fondées sur des calculs mathématiques. L’idée de Gessner est que cet échange faisait partie des habitudes d’entraide des scientifiques de l’époque mais qu’il s’inscrit également dans des pratiques sociales de recherche de parrainage ou d’appui. On voit ainsi apparaître une dimension collective de la constitution des traités de mathématiques qui ne peut être comprise qu’en connaissant les habitudes des milieux sociaux concernés.

Le troisième article (« La naissance posthume d’Evariste Galois ») est proposé par Caroline Erharhardt et concerne la façon dont se sont imposées les idées d’Evariste Galois au milieu du XIXe siècle. On découvre ainsi que le mémoire de Galois, refusé de son vivant par l’académie des sciences est publié après sa mort par Liouville, un mathématicien influent dans les années 1830-1840. L’une des raisons de cette publication est qu’elle servait Liouville dans une longue polémique contre l’un de ses adversaires les plus acharnés, Libri. Une autre raison est qu’au milieu des années 1840, la discipline avait mûri et était prête à s’intéresser aux idées de Galois. La présentation que Liouville fait du travail de Galois va être à l’origine de l’idée que l’on s’est longtemps faite du jeune homme : un mathématicien brouillon mais aux idées fertiles et originales. Il n’en demeure pas moins que le traité de Galois est publié avec une grande visibilité et à la suite d’un travail appliqué à partir des notes confuses du brillant chercheur mort trop tôt. Ce cas permet d’illustrer la façon dont avancent certains pans des mathématiques entre mûrissement autonome de la discipline, faits relationnels ou de carrière et matérialisation des idées par la publication.

Le dernier texte (« Une histoire de l’universalité des matrices mathématiques »), moins facilement accessible, retrace la façon dont l’usage des matrices s’est généralisé à partir de la fin du XIXe siècle. L’auteur examine la contribution de différents acteurs, leurs relations et le contexte du milieu (notamment les nécessités de l’enseignement). Les matrices acquièrent une dimension globale non par un mouvement conquérant et inévitable de la discipline dans son ensemble mais par des mécanismes beaucoup plus subtils de cristallisations de pratiques élaborées localement et par le jeu de la circulation internationale des idées.

Au final ces différents textes ne proposent pas un véritable programme d’étude des mathématiques car il aurait manqué un texte collectif final annonçant clairement certains postulats et conclusions retenus par les auteurs. Par la diversité de leurs sujets ils suggèrent cependant l’existence de bien des manières d’interroger la constitution et l’évolution des mathématiques. Le lecteur intéressé par l’histoire des sciences en général pourra en tout cas en retenir certaines idées facilement transmissibles. Ainsi l’examen des publics visé semble être une orientation fertile, de même que la mise en évidence des stratégies pédagogiques et intellectuelles des mathématiciens. Les articles suggèrent également qu’il est toujours important de distinguer le projet d’un auteur et ce que ses textes viendront à signifier pour leurs différents lecteurs. Pour qu’une œuvre prenne sens (même en mathématiques) il faut qu’un espace intellectuel de pertinence se soit déjà construit. Par ailleurs une théorie mathématique ne s’impose pas forcément d’elle-même, même si l’époque est prête : des facteurs sociaux et matériels doivent souvent à aider à l’acceptation des idées, surtout si elles sont originales. En ce sens les textes montrent qu’il est important d’examiner les liens entre les arrangements externes (sociaux) présidant à la constitution des idées mathématiques et les arrangements internes (purement mathématiques). Les deux ne sont pas toujours dissociables. Les articles enfin rappellent que ce que les termes de mathématiques ou d’algèbre ont pu signifier à une époque est sujet à variations par la suite. L’universalité des catégories n’émerge qu’à la suite d’un processus parfois long d’échanges et réélaborations. Cet aspect des choses, valable pour toutes nos disciplines, est parfois négligé en sciences sociales alors qu’il est d’une importance cruciale est peut-être à lui seul la colonne vertébrale d’un programme de recherches.

NOTES

[1Sociologue (Université Paris 8)

Note de la rédaction

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