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It’s a free world !

Un long-métrage de Ken Loach (Royaume-Uni, sorti en France le 2 janvier 2008, 1h33)

publié le mardi 8 janvier 2008

Domaine : Economie , Sociologie

Sujets : Migrations, minorités , Travail

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Par Igor Martinache

Quel est le point commun entre les cinéastes et les vignobles ? Peut-être le fait que, dans un cas comme dans l’autre, on reconnaisse les plus grands à leur capacité à « bien vieillir ». Si tel est le cas, alors nul doute que Ken Loach est un très grand cinéaste. A 71 ans et pas moins de 26 réalisations au compteur, celui-ci nous offre avec It’s a free world une nouvelle démonstration de son immense talent, un an et demi après avoir reçu la Palme d’or au festival de Cannes pour Le vent se lève - une fresque historique sur le conflit irlandais incarné par les trajectoires de deux frères « ennemis » . S’il fallait comparer Ken Loach à un écrivain, disons qu’il s’apparenterait à un Zola muni d’une caméra, pour son réalisme, sa capacité à dépeindre le paysage social sous toutes ses coutures, à travers le prisme d’histoires individuelles aussi ordinaires que peu banales.

Qu’il s’agisse des cheminots « privatisés » de Grande-Bretagne (The Navigators), d’une mère célibataire qui se bat pour regagner la garde de ses quatre enfants (Ladybird), de la relation tumultueuse entre un entraîneur de foot alcoolique et une assistante sociale (My name is Joe) ou d’un adolescent en quête désespérée d’un cocon familial (Sweet Sixteen), du périple dans un Nicaragua en guerre d’un jeune chauffeur de bus par amour pour une touchante réfugiée sandiniste (Carla’s song), de l’engagement dans la guerre d’Espagne d’un militant marxiste britannique (Land and freedom) ou de la quête historico-physique de son père par un jeune chanteur est-allemand (Fatherland) - pour ne citer que ces quelques exemples-, Ken Loach sait, tel un bon cuisinier, accomoder les ingrédients de base qui font sa signature avec des éléments originaux (personnages ambivalents et en cela profondément humains, quête et/ou histoire d’amour d’un tandem « improbable », violence symbolique qui se transmue tôt ou tard en violence physique,...), qu’ils soient puisés dans l’histoire récente d’un monde en guerre ou dans la précarisation socio-économique actuelle inaugurée sous l’ère thatcherienne. Par cette recette aussi simple à énoncer que difficile à réaliser, il parvient chaque fois à réaliser le coup de force de dénoncer radicalement un problème social particulier tout en évitant tout manichéisme. Une prouesse qu’il réussit une fois de plus dans It’s a free world !

Comme dans Just a kiss (2004), le cinéaste s’intéresse à la question vive de l’immigration, mais sous un angle radicalement différent. Pas de romance « interethnique » contrariée sur le mode Roméo et Juliette cette fois, mais une plongée dans l’immigration clandestine, versant travail. On suit ainsi les tribulations d’Angie (Kierston Wareing -impressionnante dans son premier grand rôle), employée dans une agence de recrutement britannique qui va notamment chercher ses candidats dans les pays est-européens -un des « bienfaits » du marché unique sans doute... [1] Dès le début du film, elle est cependant licenciée après avoir protesté publiquement contre les attouchements « innocents » de son supérieur hiérarchique, et ce en dépit des « performances » plus qu’honorables qu’elle affiche.
Pas découragée pour un sou, Angie décide alors de monter sa propre agence avec sa colocataire Rose (Juliet Ellis) et le soutien du cafetier voisin qui leur met à disposition sa cour pour rassembler les candidats au travail journalier.

Si elles emploient dès le départ une main-d’oeuvre principalement immigrée, les deux femmes rejettent fermement les postulants en situation « irrégulière ». Mais, émue par le sort d’une famille de réfugiés irakiens, en même temps qu’appâtée par la perspective des gains supplémentaires, Angie commence, malgré les réticences de son amie et associée, à recruter des sans-papiers [2], plus dociles et corvéables encore que leurs homologues en situation régulière.

Le réalisateur choisit de ne pas s’appesantir sur l’opposition introduite par cette mise en concurrence des travailleurs, non seulement autochtones contre étrangers, mais aussi parmi les immigrés, et les tensions qu’elle génère, mais préfère montrer l’inégalité des forces du côté des « employeurs ». Car Angie et Rose ne constituent elles-mêmes qu’un maillon dans une chaîne constituée de bien plus gros poissons. Et, assez logiquement vient le moment où certains employeurs de la main-d’oeuvre clandestine à l’allure plus que mafieuses « omettent » de verser aux deux femmes la pourtant maigre paie des ouvriers...

Loin de se résumer à une énième dénonciation des méfaits du libéralisme économique, la « liberté du renard dans le poulailler » pour reprendre la formule de Marx, le film de Ken Loach brosse le portrait d’un des nombreux agents de ce capitalisme sauvage, en se gardant de tout manichéisme. Il nous donne ainsi à voir cette jeune femme dans toutes ses contradictions, capable de s’émouvoir pour une famille de réfugiés ou pour un jeune ouvrier polonais dont elle tombe amoureuse, tout en étant capable du pire, comme quand elle appelle les services d’immigration pour dénoncer un camp de sans-papiers, dans le seul objectif de récupérer les caravanes pour loger « ses » ouvriers...

Vous ressortirez sans doute de ce film avec bien plus de questions que de convictions [3], mais tel est peut-être finalement la principale utilité sociologique des oeuvres de fiction : ébranler nos édifices théoriques par la présentation d’une histoire singulière. En la matière, Ken Loach fait une fois de plus mouche. Et, loin des positions simplistes qui dominent aujourd’hui le discours politique (fermeture hypocrite de la « forteresse Europe », la politique de quotas à peine moins cynique, ou l’ouverture inconditionnelle des frontières), il suggère que la situation même des sans-papiers est indissociable de l’organisation actuelle d’un système économique qui repose largement sur leur exploitation [4]. Finalement, Ken Loach n’est pas resté fidèle à son engagement marxiste pour rien...

NOTES

[1En la matière, le récent arrêt « Laval » de la Cour de justice des Communautés européennes risque de marquer un dangereux précédent. Celui-ci affranchit en effet la firme lettone sus-nommée du respect de la convention collective du bâtiment en Suède où elle intervient, mais pas de la loi, peu contraignante cependant en ce qui concerne les conditions de travail dans le pays scandinave - cf « L’arrêt de la Cour entaille le droit du travail suédois », Le Monde, 19 décembre 2007

[2il faut cependant noter que cette expression revêt un sens spécifique propre au contexte français, du fait de législations encore très différentes en matière d’ « identité de papier » et de droit des étrangers entre les pays européens. Comme Luc Boltanski l’a montré pour la catégorie de "cadres" (dans son ouvrage désormais classique Les cadres. La formation d’un groupe social (Minuit, 1982)), celle des sans-papiers a également fait l’objet d’une telle construction à travers une histoire de luttes encore bien vive comme le montrent les mobilisations actuelles dans les centres de rétention administrative, et qu’a bien retracée Johanna Siméant dans La cause des sans-papiers (Presses de Sciences-po, 1998),

[3telle que celle que pose un migrant à Angie, mère d’un petit garçon : « vos enfants valent-ils plus que les nôtres ? »

[4Voir entre autres sur ce sujet la présentation brève mais percutante d’Etienne Balibar, Monique Chemillier-Gendreau, Jacqueline Costa-Lascoux et Emmanuel Terray dans leur ouvrage Sans-papiers : l’archaïsme fatal, La Découverte, 1999

Note de la rédaction

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