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L’État démantelé. Enquête sur une contre-révolution silencieuse

Sous la direction de Laurent Bonelli et Willy Pelletier (La Découverte, Le Monde Diplomatique, coll. "Cahiers libres", 2010)

publié le mercredi 6 octobre 2010

Domaine : Science politique , Sociologie

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Par Guillaume Arnould [1]

Avec un titre aussi évocateur on imagine aisément le contenu de l’ouvrage. Pourtant, comme le souligne le sous-titre (« enquête sur une révolution silencieuse ») L’Etat démantelé développe une analyse plus nuancée des réformes de l’Etat engagées depuis les années 80 et l’affirmation d’une crise de l’Etat Providence. Cet ouvrage collectif poursuit le travail engagé en sciences politiques par Philippe Bezes dans Réinventer l’Etat où il étudie les réformes de l’administration française depuis 1962 et la conversion du service public au raisonnement gestionnaire incarné par le « New Public Management ». S’appuyant en partie sur un colloque organisé par le Monde Diplomatique c’est donc un livre engagé avec les qualités et défauts qui vont avec ce genre.

Les qualités sont nombreuses. L’Etat démantelé aborde une grande variété de thèmes en alliant les questions théoriques et les problèmes empiriques. Ainsi François Denord expose son analyse de la rénovation du libéralisme à partir du colloque Lipmann en 1938 : où se met en place un libéralisme repensé (le néo-libéralisme) à visée internationale qui s’impose intellectuellement en France et au niveau européen par le biais de la conversion des médias et des politiques d’une part et de l’ordre juridique communautaire consacrant le Marché commun et la réduction de la place des politiques économiques d’autre part. Denord synthétise et généralise ainsi son ouvrage magistral sur le sujet, Néo-libéralisme version française et ses recherches les plus récentes sur l’économie politique de la construction européenne. Cette dénonciation des dérives de l’évolution de l’Union européenne est confortée par la contribution d’Antoine Schwartz qui montre qu’au nom du principe de la concurrence la Cour de Justice des Communautés Européennes, la Commission ou les Etats ont très largement réduit la place du contrôle public de l’économie.

Les autres analyses du changement de paradigme concernant le rôle de l’Etat et de ses agents mettent en valeur différents aspects : Alain Garrigou décrit la nouvelle élite d’Etat et sa porosité avec le secteur privé comme une nouvelle « classe rapace ». Reprenant ainsi la critique de Veblen portée sur la classe dirigeante américaine à la fin du XIXe siècle, il estime que les grands corps de l’Etat se sont convertis à la formation et à la logique managériale des écoles de commerce. Ce que confirme dans l’article suivant Blaise Magnin qui évoque la formation de l’expertise sur la crise de l’Etat et sa nécessaire réforme comme une lutte pour imposer le monopole de la parole légitime. Lutte remportée par la vision pessimiste incarnée par Michel Crozier ou Alain Minc. Enfin Philippe Riutort montre que le journalisme économique a accompagné et milité pour cette évolution vers un libéralisme plus affirmé et un retrait de l’Etat des affaires économiques.
La deuxième partie du livre, particulièrement intéressante, dresse un tableau du New Public Management et de ses implications concrètes. On y découvre tout d’abord ses origines intellectuelles en Grande Bretagne comme une captation de l’héritage Thatchérien par le New Labour (parti Travailliste rénové). On constate dès la contribution suivante une de ses principales déclinaisons : le « workfare ». Le service public de l’emploi britannique confronté à la montée du chômage modifie sa philosophie et cherche à favoriser le retour à l’emploi des chômeurs à tout prix. Les demandeurs d’emploi sont considérés comme des clients qu’il faut placer. L’efficacité de la politique est mesurée par des batteries d’indicateurs d’inspiration managériale. Cette réforme ayant inspiré la création en France du Pôle emploi, guichet unique du placement des chômeurs combinant politique passive d’indemnisation et politique active incitant les individus à reprendre un emploi, le tout dans une logique de réduction des coûts et du personnel affecté à ce service public.

Cette deuxième partie est également constituée de quatre articles exposant l’importation du New Public Management en France : Laurent Bonelli analyse la réforme de la police dans le sens d’une culture du résultat dans un contexte de réduction des effectifs, la difficulté de son évaluation et la retraduction de cette vision managériale par les effectifs de police. André Grimaldi et Gilles Sainati dressent un constat similaire concernant l’hôpital et la justice. Leurs analyses étant d’autant plus évocatrices qu’ils sont respectivement professeur en médecine et magistrat. Enfin Frédéric Neyrat confirme cette vision d’une réforme plus idéologique que réellement innovante en étudiant la mise en place de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur où ce sont les impératifs de réduction des coûts financiers pour l’Etat et la mise en concurrence des Universités qui semblent justifier les évolutions législatives dans ce domaine.

La troisième partie du livre ne fait qu’accentuer cette impression de malaise face aux réformes de l’Etat qui ne chercheraient qu’à masquer sous un vocable de gestion une cure d’amaigrissement forcée en tout point opposée à une amélioration de l’intervention publique. C’est en tout cas ce que les réformes de l’Education nationale laissent à penser : Axel Trani comme Sandrine Garcia dénoncent un manque d’évaluation de la politique scolaire et une logique de sous-traitance des principaux problèmes rencontrés par les élèves ou leurs parents (programmes, carte scolaire, échec scolaire ...). Willy Pelletier et Jean-Christian Billard critiquent de leur côté l’évolution de la politique de l’emploi où la création de Pôle Emploi cherche simplement à contourner le paritarisme pour y substituer une vision libérale des relations de travail et où l’Inspection du travail est dans l’incapacité de remplir réellement ses missions. La réorganisation de l’Etat consiste finalement à gérer la réduction discrète des effectifs de la fonction publique (Ogun Ar Goff) ou à se défausser sur les collectivités locales (entretiens avec Gilles Garnier et Francine Bavay).

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage synthétise la thèse d’un démantèlement de l’Etat en présentant les privatisations et le passage de la notion d’ « usager de service public » à celle de « client » comme la seule solution face à la paupérisation de la puissance publique. En effet, les privatisations du chemin de fer en Allemagne (Olivier Cyran), de France Telecom (Willy Pelletier) ou de la Poste (Hélène Adam) relèvent d’une justification essentiellement idéologique et n’apportent pas d’amélioration sensible du service rendu, sauf pour ceux qui les ont mises en œuvre. De même le processus d’externalisation de la Défense (Edouard Sill) ou l’importation de la politique du résultat dans la Culture (Sabine Rozier) ne représentent que des artifices comptables dont l’efficacité est douteuse. Finalement, comme le souligne un entretien avec la sociologue Nathalie Robatel, ce qui émerge de cette réorganisation de l’Etat est une remise en question du travail des fonctionnaires et un impensé qui risque de devenir un véritable problème : le développement de la souffrance dans le travail de la fonction publique.

La principale faiblesse de ce type de livre est l’aspect « investigation à charge » qui lui est indissociable. Or malgré les qualités des contributions et des contributeurs, on n’échappe pas à cette vision essentiellement dénonciatrice. Le fonctionnement de l’Etat tel qu’il avait été conçu dans la période des Trente glorieuses et jusqu’à la crise des années 70 n’étant pas un modèle d’efficacité ou de justice sociale. Enfin, le dernier point que l’on puisse reprocher à cet ouvrage est également lié à son caractère militant, on reste sur sa faim face à la concision des analyses. Cela devrait inciter à prolonger la réflexion avec les travaux plus académiques des auteurs dans leurs livres ou publications scientifiques.

NOTES

[1Professeur agrégé d’Economie gestion en classe préparatoire à l’ENS Cachan - Lycée Gaston Berger - Université Lille 1

Note de la rédaction

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