Par Elodie Wahl [1]
L’ouvrage L’archipel de l’ingénierie de la formation est la publication des actes d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Rennes 2 en janvier 2009. Le colloque comptait 22 intervenants, l’ouvrage est conséquent, et les articles sont très variés, tant par les perspectives adoptées, que par leurs formes ou leurs contenus. L’ouvrage se divise en trois grandes parties : la première traite de l’évolution de l’ingénierie de la formation, la seconde des nouvelles pratiques d’ingénierie, et la dernière des nouvelles voies et modèles émergents. La partie la plus intéressante reste à notre sens le compte rendu de l’évolution idéologique de la formation continue et de ses acteurs, soit la première partie de l’ouvrage, mais il est dommage que cette partie soit subdivisée de sorte à mêler auteurs critiques et auteurs apologistes, ce qui tend nécessairement à relativiser sinon à neutraliser les points de vue. De même la préface et l’introduction générale, ménageant toutes les positions, ne contribuent pas à mettre en évidence le changement de finalité qu’a subi la formation continue en vingt ans ; ce qui accentue l’impression qu’une discussion sur les moyens pourra se ramifier à l’infini sans qu’il ne soit jamais question d’une mise en cause ou d’une élucidation du sens.
La formation continue, thème de l’ouvrage, est un thème popularisé depuis les années soixante-dix, dans la mouvance idéologique de l’Éducation Populaire. Il s’agissait alors de promouvoir l’ascension sociale des salariés, surtout des ouvriers ou des employés. Au tournant des années quatre-vingt-dix, la formation continue aurait changé de finalité. D’abord au service des individus, ou pour mieux dire des travailleurs, elle serait passée au service des entreprises, ou encore au service d’un meilleur fonctionnement d’une société de production néo-libérale, en quête de travailleurs plus adaptables et surtout responsabilisés en ce qui concerne le maintien de leur « employabilité ». Les tenants de la thèse qui dénoncent un changement de finalité de la formation continue adoptent une posture critique très pertinente au fil de l’ouvrage. Ainsi Fabienne Maillard écrit que « dans la loi du 4 mai 2004, qui institue le droit individuel de formation (DIF), il n’est pas seulement question de formation tout au long de la vie mais de formation professionnelle tout au long de la vie », et à ce titre « non seulement rompt avec le principe de l’éducation permanente pourtant au cœur de l’émergence de la formation continue, mais en plus surinvestit la dimension productive des individus. »
Ces auteurs critiques mettent donc en cause cette injonction à la formation, si populaire et consensuelle : « « Il faut toujours plus de formation, pour les individus comme pour ceux qui les forment, mais aussi une meilleure formation, mieux corrélée aux « vrais besoins » des entreprises et des travailleurs... » poursuit le même auteur. Ainsi la formation engendre la formation, augmente sa technicisation ou son abstraction. Ce qui a un coût bien réel : en 2006, 13 800 organismes de formation réalisent un chiffre d’affaire de 5,9 milliards d’euros, et 94% de ces organismes relèvent du secteur privé (p.77). Les « vrais besoins des individus » ne sont donc pas des besoins matériels, sociaux, ou culturels (« le salarié est sommé de mobiliser ses savoirs en permanence au service de l’employeur. Il est responsable de leur actualisation continue et, par conséquent, coupable de leur obsolescence. ... Dès lors, le temps hors-travail est considéré comme une opportunité à saisir pour se former » écrit Guy Brucy qui rappelle que le DIF « pose en principe que les actions de formation se déroulent hors du temps de travail »). Et qui peut dire quels sont les « vrais besoins des entreprises », alors que « les acteurs économiques ne parviennent pas à anticiper leur besoin de main d’œuvre au-delà de quatre à cinq ans » comme l’écrit Gille Rault ?
Nonobstant ces questions, « l’ingénierie » de la formation ne cesse de se développer et de se perfectionner, et les débats et observations du moment semblent porter bien davantage sur les moyens que sur les fins, ce qui s’accompagne du développement d’un vocabulaire technique et abscons qui fourmille dans bien des articles de l’ouvrage, soit que le domaine le veuille (ainsi on use des sigles en vigueur - et ils sont nombreux - pour critiquer un dispositif), soit que ce vocabulaire serve aussi parfois (et même souvent) à masquer un flou qui met à distance toute critique dans des textes qui ne font que la description ou parfois l’apologie de procès dont on chercherait vainement à saisir le sens.
On trouve également dans l’ouvrage une catégorie d’articles qui dressent de manière impartiale des descriptions de processus précis, ainsi la manière dont a évolué l’appropriation par les universités de la VAE, ou le projet d’une nouvelle forme de formation continue pour les enseignants. Enfin la conclusion milite pour une formation continue plus transdisciplinaire, voire plus certificative également. Ceci appelle encore quelques réserves : que deviennent méthodes et savoirs lorsqu’ils sont dilués à partir de « méthodologies fondées sur les notions de conduites et de management de projet » ? Ou, comme le demande Pascal Caillaud : est-il souhaitable « d’aboutir à une extrême fragmentation des diplômes, en unités constitutives, sous le prétexte de leur nécessaire modularisation au service de la construction de parcours professionnels des individus » ?