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L’éducation physique de 1945 à nos jours. Les étapes d’une démocratisation

Un ouvrage de Michaël Attali et Jean Saint-Martin (Armand Colin, coll. « U », 272 p., 25,50 €)

publié le mercredi 15 avril 2009

Domaine : Histoire

Sujets : Politique , Education , Sports et loisirs

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Par Igor Martinache

Si certains aiment se payer de mots, les discours ne sont pas pour autant seulement faits de vent. Les écrits de Michel Foucault [1] ou Pierre Bourdieu [2] suffisent à s’en convaincre. Le récent ouvrage, très stimulant, de Bertrand Méheust [3] rappelle également, à propos plus particulièrement de l’enjeu écologique, combien le langage , loin de se contenter de refléter l’ordre social, peut contribuer largement à le modeler. Parmi les glissements sémantiques signifiants [4], on peut ainsi relever la colonisation du champ des activités physiques par le terme de « sport », y compris dans la bouche des enseignants d’Education Physique et Sportive. Une confusion lourde de sens, qui reflète notamment la « sportivisation » progressive de l’éducation physique depuis sa prise en charge par l’institution scolaire. C’est cette histoire que retracent Michaël Attali et Jean Saint-Martin [5] dans leur ouvrage. C’est cependant à un autre processus auquel leur sous-titre fait allusion : la « démocratisation » de cet enseignement. Parler de ses « étapes » suggère non seulement l’existence de ce processus, mais également sa progression, ce qui n’est pas sans faire débat [6]. A noter tout d’abord qu’il n’est question que du seul enseignement secondaire, ce qui aurait mérité d’être signalé dans le titre comme le remarque également Jacques Royer.

Les auteurs ont le mérite de relier en permanence le développement de l’EPS à l’évolution plus générale du système éducatif français. D’entrée, ils notent ainsi la tension contradictoire qui anime cette dernière entre l’« ambition démocratique » affichée et la « logique de l’honneur », particularité relativement française - qui, soit dit en passant irrigue également d’autres sphères du monde social, à commencer par les entreprises [7]-, qui assigne implicitement au système scolaire la légitimation des inégalités sociales par les diplômes et autres titres qu’il délivre [8]. L’EPS comme les autres disciplines se situe bien au croisement de ces forces pédagogiques et politiques, ce que Michaël Attali et Jean Saint-Martin s’efforcent de montrer au fil des quatre étapes qu’ils distinguent dans la construction de la discipline depuis 1945. Cette histoire commence cependant quelques années auparavant, avec le Front Populaire et le tandem formé par Jean Zay et Léo Lagrange, que les auteurs laissent cependant de côté pour entamer leur propos avec le régime de Vichy et la mise en place de l’Education Générale et Sportive (EGS) à partir de 1941. Pièce maîtresse d’une politique éducative élitiste et ségrégative dont l’objectif explicite est de « régénérer la jeunesse », l’EGS vise à inculquer le sens du devoir national et des traditions populaires en mêlant différentes activités, dont le sport , dépassant ainsi « les simples fonctions d’une discipline d’enseignement pour devenir une discipline de vie refusant tout progrès matériel » (p.17). Est ainsi cultivé le mythe du « débrouillard » cher à Pierre de Coubertin [9] et à George Hébert, le père de la méthode naturelle, loué par le régime pétainiste, et auquel Maurice Herzog rendra également un hommage appuyé lorsqu’il deviendra Haut-commissaire de la Jeunesse et aux Sports en 1958 [10].

Au moment de la reconstruction, le plan Langevin-Wallon structure largement celle de l’institution scolaire, ambitionnant de substituer une sélection par les aptitudes « naturelles » à la sélection sociale et d’élever le niveau culturel global. La nouvelle direction générale de l’EPS (DGEPS) du Ministère de l’Education nationale prépare ainsi les Instructions Officielles (IO) du 1er octobre 1945, qui reconnaît la liberté pédagogique des enseignants, autrement dit abolit l’obligation de pratiquer une méthode unique imposée. Mais au-delà de cet ecclectisme affiché, les auteurs remarquent qu’en réalité ces IO « contraignent l’acte d’enseignement en EPS » (p.30) en l’inscrivant dans une véritable logique d’acculturation. Contrôlé par un livret d’EPS, l’enseignement renoue surtout rapidement avec une logique ségrégative à travers les groupes d’aptitude qu’institutionnalise la circulaire du 29 octobre 1945.
Rapidement, la santé est érigée comme finalité première de l’EPS, ce qui n’est pas sans faire écho à la période actuelle et au rattachement du secrétariat d’Etat de la Jeunesse et des Sports au ministère de la Santé. Suite à la reconnaissance du corps des kinésithérapeutes par l’Etat en 1946, les professeurs d’EPS investissent les centres de rééducation physique créés l’année suivante sous l’impulsion du Ministère de l’Education nationale. Une stratégie dont les auteurs notent le pardaxoe, puisque ce faisant, ces enseignants prennent le risque d’une déscolarisation de leur discipline, et ce, peu de temps après l’ordonnance du 28 août 1945 instaurant la délégation de pouvoir de l’Etat vers les groupements et fédérations sportives. Reste que les effectifs des fédérations olympiques et affinitaires tend à stagner quand celui des fédérations scolaires et universitaires triple entre 1948 et 1959, remarquent les auteurs (p.49). Cet essor tient en fait à la reconnaissance institutionnelle de l’Association Sportive (AS) dans l’emploi du temps des élèves, confortée par le décret du 25 mai 1950 qui instaure l’obligation d’animer celle-ci pour les professeurs d’EPS. A l’inverse, le développement du sport semble freiné par la pénurie des équipements dédiés - thème dont on pourra remarquer la permanence jusqu’à aujourd’hui-, et du petit matériel. Et, parmi les conséquences inattendues de ces carences, les auteurs mentionnent la diversité des enseignements, les professeurs d’EPS devant en effet faire de nécessité vertu pour reprendre une expression bien connue. Mais elles ont aussi pour effet que tous les élèves n’aient pas accès à cet enseignement pourtant obligatoire.
Quoiqu’il en soit, on voit bien comment dès cette époque, les sports occupent une place importante dans les débats politiques, se voyant investis d’un rôle éducatif majeur, dont le contenu est cependant plus fantasmé qu’éprouvé.

La deuxième étape court pour les auteurs de 1959 à 1967. Au-delà de l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, l’ordonnance du 6 janvier 1959 inaugure selon Pierre Merle l’instauration d’une « nouvelle norme de scolarisation » dont le collège devient le pivot en lieu et place de l’école primaire. Cette période est également marquée par l’arrivée de Maurice Herzog à la tête d’un « nouveau » Haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports, qui préfigure une politique de « main de fer dans un gant de velours » (p.72). Bénéficiant d’un préjugé favorable, celui-ci parvient ainsi à doter la discipline d’un système docimologique (de notation), à rendre l’épreuve d’EPS obligatoire et à promulguer la certification en EPS en octobre 1959, malgré l’hostilité du Conseil Supérieur de l’Education nationale, tandis qu’il réinstaure une synthèse uniforme des contenus via les IO de 1959. L’EPS est en effet à ses yeux la pièce maîtresse du développement du sport en France. La pédagogie pronée est celle « des manques » dont l’objectif est de remettre les élèves à niveau techniquement par imitation des gestes de l’enseignant. Cette conception centrée sur l’objet plutôt que sur les élèves est cependant contestée, notamment par le courant du « sport éducatif » initié par Robert Mérand et largement empreint de concepts marxistes-léninistes. Pendant ce temps, Maurice Herzog impulse un développement fulgurant des politiques sportives, tant par les montants des subventions allouées qu’en promouvant le modèle du « citoyen sportif » qui drape plus encore le sport de toutes les vertus (p.94-95). Enfin, en dépit de cette apparente hégémonie, les lois-programmes successives qui promettent de conséquentes avancées en matière d’équipements sportifs, laissent de côté une autre pénurie : celle des enseignants, ainsi que le problème de l’hétérogénéité de leur formation.

La période suivante s’ouvre avec les IO du 19 octobre 1967 qui proposent un nouveau projet de formation, rompant en apparence avec la « sportivisation » (p.125). Il s’agit désormais de dépasser les aspects moteurs des activités physiques et sportives pour développer son équilibre social et psychologique. Réaction envers l’émiettement de la discipline en divers courants, cette conception s’inspire largement de l’approche psycho-sociomotrice proposée par Pierre Parlebas, qui formule le concept de « conduite motrice » comme objet et finalité de l’EPS. Face à une nouvelle poussée de la demande de loisirs, marquée en particulier par l’essor des activités de pleine nature, l’EPS scolaire doit cependant se positionner, et « au nom de traditions et d’intérêts », les enseignants optent pour le conformisme plutôt que la différenciation des pratiques. Eludant le mouvement de mai-juin 1968, les auteurs décrivent les contre-courants qui se développent à ce moment contre l’aliénation que favoriserait les pratiques sportives, dominées par la répétition et le rendement. Se développe effectivement à ce moment-là un modèle du « sport optionnel » incarné dans les Centres d’Animation Sportive (CAS), qui consiste à privilégier une conception élitiste du sport au détriment de l’éducation physique pour tous, les contraintes budgétaires de plus en plus restrictives n’étant pas étrangères à ce repositionnement. L’Etat privilégie alors en matière d’enseignement de l’EPS une logique quantitativiste et, échouant à augmenter drastiquement l’horaire des enseignants en échange d’une augmentation substantielle de leur traitement, Joseph Comiti opte alors pour la diminution de l’horaire-élèves en 1969. La technique est remise au centre d’un enseignement uniformisé, ce qui renforce l’ambiguïté entre sport et éducation physique. L’identité professionnelle des professeurs d’EPS est elle-même largement ébranlée [11], de même que leur représentation sociale : le « prof de gym » laisse ainsi la place au « prof de sport » (p.159). Le sport se développe dès lors largement en dehors de l’institution scolaire, et la politique menée est résumée par Pierre Mazeaud lorsqu’il présente son projet de loi le 29 octobre 1975 à l’Assemblée nationale : « notre rôle se résume en ces quelques mots : faire faire du sport » (cité p.163). Les auteurs restituent ici les positions syndicales et politiques qui s’affrontent, et affirment finalement que, malgré les fortes oppositions qu’elle suscite, cette politique d’autonomisation respective de l’EPS scolaire et du sport présente le mérite de rompre avec l’ambiguïté constitutive de la discpline. Une position qui ne sera sans doute pas sans réveiller l’indignation de certains lecteurs.

La dernière étape, qui s’ouvre en 1981, est celle d’une « véritable implantation scolaire de l’EPS ». Celle-ci est désormais présente à tous les niveaux et pour tous les élèves, mais également dotée d’attributs clairement définis. La réintégration des enseignants au Ministère de l’Education Nationale en 1981 ainsi que l’essor important des réflexions didactiques - au point que Pierre Parlebas les juge « envahissantes »- sont autant de signes de cette position acquise. Selon les auteurs, l’opposition entre les approches "développementaliste" et "culturaliste" serait ainsi désormais dépassée, mais l’EPS n’en est pas moins confrontée à une nouvelle crise d’identité, elle-même à relier à la contestation dont fait plus généralement l’objet l’ensemble de l’institution scolaire. Critiquée tant pour sa difficulté à transmettre les savoirs que pour ses inégalités d’accès, celle-ci se confronterait en fait, selon les auteurs, à une nouvelle définition de la démocratisation où l’efficacité joue un rôle central. Tiraillé entre l’impératif d’égalité scolaire et l’adaptation nécessaire aux contextes locaux, les enseignants d’EPS seraient, comme leurs collègues, confrontés à l’obligation de « choisir » entre l’un des quatre profils pédagogiques esquissés par Marie Duru-Bellat et Agnès Van Zanten : « moderniste », « libertaire », « classique » ou « critique », mais dans tous les cas autonomes. Cette autonomie des enseignants semble ainsi être l’un des déterminants essentiels de la « démocratisation » aux yeux de Michaël Attali et Jean Saint-Martin. Ce dernier terme présente une polysémie telle - comme ils le reconnaissent d’ailleurs en toute fin de l’ouvrage [12] - qu’on se demande toujours pourquoi ils ont choisi d’en faire l’axe de leur propos. Si leur ouvrage présente une abondance de faits et de références qui en feront un manuel utile aux futurs enseignants d’EPS, on peut regretter cependant un éparpillement qui rend la lecture souvent aride. Celui-ci tient sans doute à l’ambition néanmoins louable de l’entreprise - resituer l’évolution de la discipline dans son contexte politique et social-, dont certaines omissions et interprétations pourront être contestées, de même que la périodisation retenue. En particulier, on peut s’interroger sur les forces sociales convoquées pour rendre compte de l’évolution du système scolaire, et en particulier l’absence ou la faible place de certains acteurs politiques mis en évidence dans d’autres travaux sur les politiques sportives [13]. Reste que ce travail corrige la faible place de l’EPS dans la plupart des travaux sur l’évolution du système scolaire, et présente également le mérite d’inviter à une réflexion analogue les tenants des autres disciplines. Ce ne sont pas les enseignants de Sciences Economiques et Sociales qui prétendront le contraire !

NOTES

[1Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966

[2Cf Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982

[3La politique de l’oxymore, Paris, La Découverte, 2009, p.117 et suiv.

[4Si on peut dire...

[5Maître de conférences en Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) respectivement à l’Université Grenoble 1 et à l’Université Lyon

[6Voir la note critique de Jacques Royer dans la revue Contre-pied en 2005 à l’occasion de la parution de la première édition de l’ouvrage

[7Voir Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, Paris, Seuil, 1989

[8Voir notamment les travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, notamment La Reproduction, Paris, Minuit, 1970

[9Personnage encore aujourd’hui objet d’un quasi-culte qui évacue totalement l’idéologie raciste plus que douteuse qu’il n’a pourtant eu de cesse d’exprimer - voir notamment Jean-Marie Brohm, Pierre de Coubertin, le seigneur des anneaux. Aux fondements de l’olympisme, Paris, éditions Homnisphère, 2008, p.35 et suiv.

[10Voir Archives Nationales, versement n°19770709 art.1

[11Marquée désormais par un sentiment de marginalisation que résume bien la formule d’André Rauch en 1975 : « l’entraîneur sur le terrain est chez lui, l’enseignant d’EP dans l’école est chez les autres »

[12« Démocratiser, c’est-à-dire proposer à tous et à chacun d’accéder à un savoir maximalisé, ne peut se résumer à un slogan politiquement mobilisateur, mais scolairement creux » (p.254)

[13Voir par exemple Jean-Paul Callède, Les politiques sportives en France, Economica, 2000

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