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L’enjeu des retraites

Un ouvrage de Bernard Friot (La Dispute, coll. "Travail et salariat", 2010)

publié le lundi 14 juin 2010

Domaine : Economie

Sujets : Travail , Emploi, chômage

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Par Serge Pacé [1]

L’ouvrage de Bernard Friot L’Enjeu des retraites a pour volonté de remettre en cause le consensus autour de la réforme de la retraite, comme il l’annonce dès le début de son analyse. Directeur de la collection « Travail et salariat » aux éditions La Dispute, sociologue à l’Institut Européen du Salariat (IES), on ne pouvait ne pas s’attendre à une mise en perspective de la réforme de la retraite avec des enjeux économiques et sociaux plus généraux. Bernard Friot nous propose une analyse critique à l’instar du co-auteur Nicolas Castel [2], de l’article sur « La qualification au coeur des droits sociaux : les enjeux salariaux de la réforme des retraites ».

Pour Bernard Friot l’ensemble des changements vont tous dans le sens d’une régression sociale. Ce qui le pousse à faire la remarque suivante qui aurait pu servir d’introduction : « une réforme qui augmente des droits, c’était un pléonasme (depuis le début du XVe siècle nous le dit le Grand Robert, réformer, c’est « changer en mieux »), mais plus aujourd’hui : les régressions du droit à pension sont menées sous le terme générique de « réforme ». [25] Ainsi nous fait-il remarquer que depuis que Philippe Seguin en 1987 a indexé les pensions sur les prix, nous sommes face à une régression de la situation des retraités. En effet même avec la rigueur salariale que nous connaissons depuis 1978, les salaires augmentent plus vite que les prix, ce qui ralentit les gains pour les pensions en cours mais aussi le calcul de celle-ci au moment de la liquidation. [3]

L’auteur adopte un point de vue radical dès le premier chapitre « Les retraites une réussite historique à contrepied du capitalisme » où il oppose le « travail libéré de la valeur travail » avec une pension garantie atteignant parfois des taux de remplacement de 100% pour les plus bas salaires à ce qu’il appelle la « valeur travail abstraite » (p 28) évaluée en temps de travail moyen nécessaire en pointant les excès du capitalisme où tout se transforme en marchandise évaluable sur les mêmes critères. Pour lui, la retraite libère l’homme de l’assujettissement du travail : Bernard Friot livre une apologie nuancée du « bonheur des retraités au travail » (p33). Le résultat a été obtenu après un long chemin fait de luttes et qui a aligné progressivement la retraite sur celle de la fonction publique telle qu’elle a été conçue à partir de 1831 où les fonctionnaires conservent leur grade après l’activité.

On comprend alors la volonté de dépolitisation du débat par la patronne du Medef : « Un problème qui ne serait ni de droite ni de gauche mais purement arithmétique ». L’auteur pointe l’absurdité du raisonnement par un petit exemple « Imaginons le ridicule de Mme Parisot prédisant, en 1900 : un français sur trois travaille aujourd’hui pour l’agriculture ; or il n’y en aura plus qu’un sur trente en 2000, donc la famine en France est inévitable, ce n’est ni un constat de droite, ni de gauche, mais arithmétique. ». Cette dépolitisation ne se situe pas uniquement dans le domaine du discours mais aussi dans le mode de résolution technique des projets des « réformateurs ». Cette absence de débat est voulue par les « réformateurs » à l’instar du système de retraite suédois. Dans le sens de ce qui est préconisé par l’Europe, il s’agit de rendre « systémique » (p53) la réforme en mettant en place des règles qui déterminent automatiquement l’évolution de la pension en fonction de l’équilibre des caisses de retraite : les cotisations sont définitivement déterminées à 18,5% des salaires, l’indexation des salaires est sur les prix mais aussi selon les exigences d’équilibre budgétaire. Enfin et surtout la pension dépend de l’évolution de l’espérance de vie de la population. Si un suédois a accumulé 300 000 couronnes, avec à 62 ans, 28 ans d’espérance de vie pour la population, sa pension sera calculée en divisant les droits acquis par l’espérance de vie soit 300000/28 , s’il attend un an de plus sa pension sera plus importante. Comme le dit l’auteur les réformes à la suédoise « évitent de changer des paramètres qu’il faudra revoir à la hausse ou à la baisse au bout de quelques années... suscitant chaque fois un débat politique dont nos dirigeants veulent pouvoir se passer »(p 53)..

Comme le souligne l’auteur dans son troisième chapitre « de l’assistance aux victimes à la solidarité salariale », la réforme pose le problème des catégories qui n’ont pu cotiser pour obtenir suffisamment de droits. « La promotion de la neutralité actuarielle des régimes de pension est toujours doublée d’un plaidoyer pour une large solidarité nationale finançant, à côté du revenu différé, un revenu minimal garanti. » (p76) Ainsi épingle-t-il le minimum contributif voté le 16 mai 2003, où le taux de remplacement de 85% du smic est inférieur à celui obtenu par les salariés au revenu minimum né en 1930 où le taux de remplacement était de 100%. C’est de nature à provoquer une situation de « victimisation » des couches laborieuses disqualifiant le travail salarial au profit des actionnaires. Le vocabulaire est ici porteur d’assujettissement des consciences à la réforme. Aider une victime c’est la considérer comme incapable d’autonomie et c’est introduire un discours de fatalité là où il y a une situation provoquée par des dysfonctionnements économiques et sociétaux. Pour Bernard Friot, c’est le minimum contributif lui-même qu’il faudrait remettre en cause, car il fait revenir beaucoup de salariés à un état qu’avait supprimé la retraite à 60 ans, l’obligation d’avoir un travail complémentaire car la pension est trop faible. C’est selon lui le même processus qui a permis en stigmatisant la population jeune, de réduire les emplois dans la fonction publique et d’embaucher des titulaires bac + 2 au smic. En prétendant qu’un jeune sur quatre est au chômage, on est face à ce que l’auteur appelle un « mensonge » (p84) puisque seulement 30% des jeunes sont actifs. Si l’on rapporte l’ensemble des chômeurs à la totalité des 18-25 ans on aurait alors un chômage de 7,5%.

L’auteur nous montre que l’analyse critique de la réforme est à la portée du plus grand nombre en illustrant avec des exemples chiffrés simples. Par exemple il note que la détaxation du travail outre qu’elle détériore l’équilibre des régimes de retraite, modifie la part de la contribution du capital vers le salarié. [4] « Détaxer le travail, c’est taxer les salariés en réduisant les salaires, c’est-à-dire en dégageant les employeurs de leur responsabilité dans la reconnaissance des qualifications. » [90] Il ajoute qu’en plus le SMIC est considéré non plus comme un salaire, mais comme « [...] le revenu de ceux à qui le salaire est refusé et dont la perception de leur vie durant, les conduira, comme les retraités, à la solidarité du minimum contributif. » (p 91)
Ce type de raisonnement est particulièrement éclairant quand il compare la répartition à la capitalisation. En effet, « qu’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui produit la richesse correspondant à la monnaie qui finance les pensions de l’année. » (p102) L’idée que l’épargne retraite procure de l’investissement est une illusion. Elle ne prend pas en compte les précédents retraités. Donc épargner dans ce cas consiste à fournir du travail pour ceux qui désépargnent. Si l’on souhaite remplacer la répartition par de la capitalisation, il y donc une génération qui paie deux fois : elle paie des cotisations pour les retraités présents et elle épargne pour acquérir des droits de propriété sur la production qui se seront affaiblis avec la réduction de la place de la répartition. « si tout le monde était rentier personne ne le serait. » De fait « Se faire gloire comme le font les réformateurs de ce que « la rentabilité moyenne d’un euro investi dans la capitalisation est trois fois supérieure à celle d’un même euro placé dans la répartition », c’est avouer très ingénument que toute épargne retraite est le vol d’une minorité sur le travail d’autrui. » (p103). Accessoirement « l’addition de la cotisation et du financement de l’épargne sera donc aussi coûteuse (voire davantage, puisqu’elle devra inclure le profit des assureurs) [...] » [p4] selon Bernard Friot et Nicolas Castel [5].

Une des critiques qui nous paraît la plus forte concerne l’argument démographique, celui-ci se décline en guerre des générations d’une part [6] et d’autre part en choc démographique. Selon les « réformateurs », le ratio de dépendance démographique [7] passera en 2000 de 4 à 7 en 2050. La conclusion s’impose d’elle-même, il s’agit d’une « charge insoutenable ». Mais en comptant la part de 20-59 ans inactifs [8] et les moins de 20 ans, le ratio des inoccupés (inactifs, enfants et étudiants et chômeurs) sur occupés ne devrait pas être fondamentalement plus élevé (de 1,62 en 1995 à 1,66 à 1,79 en 2040 [9]). Il n’y a donc pas de choc démographique d’autant que le calcul se fait à productivité constante.

En élargissant le débat, l’auteur montre que « la réforme » est en cohérence avec d’autres dimensions de la société. Ainsi il dénonce le type de marché du travail qui est en formation, qui abandonne la notion d’emploi pour celle d’employabilité. Celle-ci présume l’inadéquation a priori du candidat à l’emploi pour lequel il postule [10] tandis que l’insécurité est reportée sur les salariés ou sur l’activité de production. De fait la réforme s’attaque au marché interne, et la sécurité de la mobilité à travers une « hypocrite sécurisation des parcours professionnels » : flexicurité [11]. Ce thème a toutefois disparu avec la campagne présidentielle et l’objectif est plutôt celui de la flexibilité. À ce titre même les décisions qui paraissent favoriser le salarié peuvent être considérées comme allant dans le sens évoqué ci-dessus.

Bernard Friot nous invite donc à une utopie de la qualification contre l’utopie marchande et patrimoniale. Elle se décline d’abord dans l’attribution d’une qualification définitive et évolutive. Il souhaite que soit attribué au sortir du lycée une qualification avec le salaire (forcément supérieur au smic) et le réseau de pairs qui vont avec s’il ne poursuit pas d’études, un forfait salarial (le smic) s’il continue à étudier, attribut que personne ne pourra lui retirer, qui ne peut être réduit et qui pourra progresser au cours de la vie, un réseau de pairs pour rester en permanence dans le champ de la qualification et le droit à une institution représentative pour faire valoir ses droits. La qualification personnelle serait la matrice d’une redéfinition de l’entreprise : sans employeurs et sans marchandises : la sureté élément qui motivera plus les salariés que la peur avec une hiérarchie élective. Il nous propose une vision radicale : « il faut en finir avec le marché du travail » [92], « cela suffit ! » [94], « Il faut se vendre », « et qui vivent en permanence avec l’épée de Damoclès que leur employabilité soit contestée ». Il étend son raisonnement vers un projet d’accumulation alternative sur la base d’une cotisation économique permettant d’investir contre le prêt bancaire : il s’agit de sécuriser sur le long terme l’investissement, ce qui n’est pas éloigné des réflexions de M Aglietta [12] qui souhaite des placements qui dépassent les 40 ans et qui ne seront par retirés par ceux qui les souscrivent. L’auteur nous invite donc à dépasser le rejet des fonds de pension au nom de la faible fiabilité du rendement du fait des aléas des marchés financiers. Cela dit, cette dénonciation serait déjà suffisante car l’auteur défend le salariat comme une dynamique alternative au capitalisme, retournement de l’idée du salaire comme exploitation de l’homme par l’homme. La retraite à 60 ans serait un âge politique, et non un couperet qui offre une possibilité d’agir dans la qualification universelle des personnes. En dernier lieu, l’auteur met en garde les opposants à la réforme qui dénoncent avec les arguments de leurs adversaires.

On peut regretter parfois le ton agacé ou péremptoire et le côté redondant du thème de la qualification qui est en fait un retour à ce qui existait dans les années 70. L’analyse du pourquoi du changement n’est pas uniquement de nature idéologique. De nombreux économistes nous l’ont montré, en particulier l’école de la régulation [13]. Ce manque aurait pu peser sur l’efficacité des propositions. Toutefois elles ont le mérite d’être radicales et donc d’inviter au débat. On peut souligner le soin qu’a apporté l’auteur à illustrer ces propos avec des exemples chiffrés très simples à la portée de tous et qui nous permettent de situer l’énormité du choix idéologique de la réforme des retraites et de la manière dont sont évincés les éléments d’une alternative. Un livre à méditer.

NOTES

[1Professeur agrégé de ses au lpo de grand-bourg (Guadeloupe)

[2Nicolas Castel, La retraite des syndicats, 2009

[3Pour se faire une idée de l’importance de cette décision : avec une hausse du salaire net moyen de 1% à euros constants, la perte de pouvoir d’achat relatif de la pension serait de 22% après 20 ans de retraite selon le rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites, quatrième rapport de 2007) (p 40), de même l’indexation du prix d’achat du point sur les salaires et sa valeur de service sur les prix amputerait la pension des régimes complémentaires de 25% d’ici 2020. À partir de cette décision, l’objectif des « réformateurs » va être de réduire les pensions.

[4Il chiffre la situation : « soit un salaire de 1055 euros nets, ou 1344 euros bruts. Normalement la cotisation devrait être de 605 euros, et le salaire total de 1344 + 605 euros, soit 1949 euros, 1055 nets et 894 de cotisations. Avec l’exonération des cotisations patronales au régime général, la cotisation patronale n’est que de 256 euros, soit un salaire total de 1344 + 256 = 1600 euros : la détaxation du travail a réduit le salaire de 18% ! Les 349 euros manquants sont remplacés par une dotation au régime général, ce qui implique que les contribuables, c’est-à-dire les salariés pour l’essentiel (à travers la TVA, principal impôt et de loin) paient ce que les patrons ne paient plus. [...]

[5Bernard Friot et Nicolas Castel, « La qualification au coeur des droits sociaux : les enjeux salariaux de la réforme des retraites »

[6argument important de la réforme, elle est pour l’auteur une manière de suggérer la baisse de la productivité à l’âge de la vieillesse et surtout une manière de laisser entendre que le travail subordonné seul crée de la valeur

[7soit le nombre de personnes ayant 60 ans et plus rapporté au nombre de personnes ayant entre 20 et 59 ans

[8le taux d’emploi de cette tranche d’âge est de 76% soit plus que les 67% du recensement de 1962 qui correspondait au « plein- emploi...des hommes »

[9Pierre Khalfa et Pierre-Yves Chanu (sous la direction de), Les Retraites au péril du libéralisme, 1999

[10Ce soupçon pouvant continuer de peser même sur le futur salarié retenu (p136)

[11Pierre Cahuc et Francis Karmarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, rapport aux ministres chargés de l’économie et de l’emploi, 2004

[12Audition publique d’économistes sur la situation économique et financière internationale : 14 avril 2008 http://www.senat.fr/evenement/economistes_finances.html

[13Robert Boyer, Yves Saillard, Théorie de la régulation. L’état des savoirs, 2002

Note de la rédaction

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