Par Sara Marinari [1]
La notion d’identité résonne à profusion, aujourd’hui plus que jamais, dans les débats politiques et sociaux. L’institution d’un Ministère de l’Immigration et de l’Identité, évènement advenu non sans bruit, comme les épisodes politiques plus récents, notamment ceux liés à l’expulsion des roms, nous confrontent à la problématique de l’identité. Elle se profile le plus souvent comme nationale, parfois comme l’enveloppe de l’être humain ou politique.
Mais au juste, comment faut-il la comprendre ?
Cet ouvrage, en contrecarrant la problématique d’un point de vue sociologique, délabyrinthe les difficultés autant historiques qu’épistémologiques qui surviennent en présence des mots « identité » et « identification » et répond à l’exigence actuelle de comprendre l’identité par rapport aux évènements sociaux. L’importance de L’identité en jeux - hormis la taille de son ensemble - consiste dans la pluridisciplinarité des approches avec lesquelles le sujet est abordé. Reprenant une approche déjà utilisée, il y a quinze ans, à propos de l’identité en politique, les chercheurs du centre IPI (Identité, pouvoirs et identifications) en continuent ici la réflexion et aboutissent à cet ouvrage dont la question centrale est celle du « dire l’Autre en politique ». Dans cette investigation, l’ambition de ce travail collectif est double : clarifier la portée de la notion d’identité et l’analyser sous différents angles.
La première partie est généreuse en références et aide le lecteur à se placer dans le vif du problème. L’identité se dessine aussitôt comme la manifestation d’un écart entre le Soi et l’Autre qui se trouve confortée dans les communications suivantes. En effet, l’essentiel est de saisir les « écarts » qui forment les identités, ou pour paraphraser le titre, les « jeux ». Cette promesse se tient tout à long du livre dans les approches identitaires du corps individuel et politique.
Sous la direction de Denis Constant Martin, la première partie propose un bilan historiographique complet des approches sur l’identité à travers les croisements des études sociologique et philosophique. Ensuite s’ajoutent des apports plus contemporains notamment ceux de la philosophie pragmatique, du constructivisme, etc.... Côté français, émergent les noms de Ricouer et Foucault. Bien qu’elle se déplace dans la diversité des périodes et des approches, la communication est particulièrement réussie par sa rigueur et sa clarté.
Par la suite, à travers des domaines précis de réflexions, l’ouvrage montre la variété de contextes des références et les enjeux qui en dérivent. Cinq parties sont exposées : « catégorisations », « miroirs », « récits », « imaginaires » et « stratégies ». Si chacune d’entre elles est autonome, il est néanmoins indispensable, pour saisir l’horizon de l’ouvrage, de réaliser une lecture complète puisque, dans leur succession, l’ « identité » gagne la « pluralité » anticipée dans l’introduction. Les propos sont étayés par des études de terrain et par une mise en rapport à l’évolution politique de cette notion et aux études linguistiques et historiques et ce dans un laps de temps considérable qui va de la fin du XIX siècle jusqu’à nos jours.
La partie des « catégorisations » s’attache à l’acte de classifier les identités. La recherche est développée via deux pistes d’enquêtes qui ont le mérite de mettre en relief le processus d’identification. Qu’elle soit constituée par le biais de l’anthropométrie judiciaire, ou par rapport aux pratiques bureautiques, l’identité se montre clairement comme un acquis d’où les « écarts » jouent autant sur l’individu que sur la collectivité. Cette approche contribue à saisir les évolutions intrinsèques aux mouvements de l’identité qui se manifestent dans les autres parties où l’ouvrage rejoint l’actualité. À ce propos, il ne manque pas d’études de terrain qui réfléchissent, comme celle proposée par Ritaine sur le phénomène italien de la réception de l’immigration, à l’identification dans un climat d’opposition ou qui soulignent le mouvement de l’identité dans des évènements révolutionnaires (Dereymez ou Otayek). Tout en restant dans une dimension « d’écart », les articles suggèrent de nombreuses pistes des réflexions et invitent à penser l’identité comme une procédure variable qui change selon les temps, les institutions et l’idée d’identification.
L’ouvrage est très instructif pour ceux qui ont l’habitude de se confronter au problème de l’identité comme pour les néophytes. Il restitue à la notion d’identité sa profondeur trop souvent réduite par l’appréciation nationale. Reste vivement à espérer que ces travaux se poursuivent pour continuer à clarifier les enjeux de l’identification.