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L’introuvable complot. Attentat, enquête et rumeur dans la France de la Restauration

Un ouvrage de Gilles Malandain (Editions EHESS, Coll "En temps & lieux", 2011)

publié le jeudi 5 mai 2011

Domaine : Histoire , Science politique

Sujets : Politique

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Par Igor Moullier [1]

L’introuvable complot revient sur un épisode aujourd’hui méconnu de l’histoire de la Restauration : l’assassinat en 1820 du duc de Berry, héritier mâle de la dynastie des Bourbons. L’objectif de l’auteur, Gilles Malandain, est de sonder les structures de la représentation politique, et la manière dont elles sont affectées par un événement catastrophe, qui menaçait d’extinction la dynastie des Bourbons (catastrophe évitée par la naissance de « l’enfant du miracle », quelques mois après la mort du duc de Berry).

Le livre s’inscrit ainsi dans une histoire renouvelée de l’événement et de la manière dont il oblige une société à réajuster ses cadres de représentation, en l’occurrence les discordances à l’œuvre entre une mythologie du régicide et du complot d’une part, et la naissance d’une culture de l’enquête d’autre part. Des archives judiciaires riches permettent une plongée dans l’enquête qui se déroule et dans la tentative de donner un sens à un événement inouï, considéré comme monstrueux par beaucoup de royalistes. L’ouvrage saisit avec clarté la prise en charge de l’événement par des structures administratives et judiciaires. Crime contre l’État, l’attentat relève de la juridiction de la Chambre de Pairs, qui confie l’instruction à deux magistrats appartenant à la noblesse : le baron Séguier, président de la cour royale de Paris, et le comte de Bastard, président de la cour royale de Lyon. L’autre acteur clé est le procureur général de Paris, Bellart, en charge du réquisitoire dans le procès Louvel. Bellart et Séguier penchent du côté de l’interprétation des ultras : convaincus de l’existence d’un complot, ils veulent donner le plus grand retentissement et la plus grande extension possible à l’enquête. Face à cette volonté de punir, Bastard incarnerait plutôt une volonté de savoir et un scepticisme face à la thèse du complot, confirmé par le fait que Louvel comparaît seul devant la Chambre des pairs, les 5 et 6 juin 1820. L’instruction mobilise les ressources de l’Etat : préfets, magistrats et gendarmes dans les départements. Mais c’est surtout la préfecture de police qui se montre la plus active, détentrice d’un savoir-faire accumulé depuis la période napoléonienne. L’enquête se nourrit aussi de témoignages et signalements qui parviennent spontanément, mais à partir desquels les magistrats opèrent un travail de vérification et de reconstruction, parfois par un travail de terrain, le plus souvent par examen de la cohérence narrative.

C’est le point fort de ce livre de montrer comment l’enquête met à jour une série de tensions caractéristiques de la culture politique de la Restauration. G. Malandain s’attache à dépasser la plus évidente, entre milieux ultras qui se refusent à croire à la thèse de l’assassin isolé, poussent les enquêteurs à rechercher des complices, des influences, et milieux libéraux qui prônent une approche rationnelle et procédurale, approche qui, face à la multiplicité des dénonciations plus ou moins crédibles, s’impose comme la seule efficace. La tension traverse l’enquête elle-même, la volonté de rationalisation dont font preuve les autorités s’appuyant sur un postulat, que partagent ultras et libéraux, celui de l’irrationalité du peuple. Le témoignage populaire est nécessaire mais insuffisant pour la raison juridique en action. La volonté de démystifier le réel à l’œuvre chez les magistrats bute sur ce rapport au peuple encore ambigu.

La personnalité de l’assassin lui-même reste une énigme à laquelle se heurtent les enquêteurs. Né en 1783, orphelin éduqué comme « enfant de la patrie » sous la Révolution, Louvel devient ouvrier sellier après avoir accompli son tour de France et affirme son attachement à la cause bonapartiste. Calme jusqu’au bout, il dispose d’un discours parfaitement rationnel pour justifier son acte : il clame avoir agi dans l’intérêt de sa patrie. Les Bourbons s’étant compromis avec l’étranger, ils méritent d’être châtiés. Louvel affirme que son acte sera compris par la postérité. Un des passages les plus saisissants du livre décrit le mécanisme d’observation de Louvel dans sa prison : il est en permanence accompagné et surveillé par des gendarmes qui se relaient, non seulement pour prévenir un éventuel suicide, mais surtout pour tenter de percer à jour sa personnalité. Chaque gendarme rédige après avoir accompli son tour de surveillance un rapport sur les faits et gestes du condamné : c’est ainsi une véritable expérimentation psychologique qui est menée, et consignée sur des centaines de pages de rapports, pour tenter de rationaliser l’acte régicide. Le procès de Louvel débouche sur son exécution le 7 juin 1820, puis sur un oubli assez rapide du personnage dans l’historiographie. La naissance de « l’enfant du miracle » explique sans doute pourquoi la lecture paroxystique de l’événement que font les ultras s’estompe rapidement.

L’étude de l’introuvable complot nous apprend-elle vraiment quelque chose sur la Restauration ? Dans le dernier chapitre, G. Malandain tente de relier la perception de l’événement à une dynamique plus générale de politisation, de façon peut-être un peu trop artificielle, les différents témoignages recueillis par la justice montrant moins une accélération du sentiment politique que la persistance d’un bruit de fond séditieux, de gestes et de paroles oppositionnels que le contexte amène à explorer plus avant, mais qui ne débouchent sur aucune forme de cristallisation politique.

La vraie leçon de ce livre clair et bien écrit est de montrer les conséquences du découplage droit-politique, l’interprétation à chaud de l’événement, sa dramatisation dans les jours qui suivent immédiatement l’attentat ne résistant pas à la procédure d’enquête qui se met en place. On regrettera que cette « enquête sur l’enquête », pour s’inscrire dans une perspective plus large, ne se réfère qu’aux travaux sur l’attentat de Damiens [2], de P. Rétat notamment, et intègre peu les acquis récents de l’histoire de la police et des techniques policières (par Vincent Denis notamment), ou les nombreux travaux sur le traitement des conspirations à l’époque révolutionnaire ou impériale, qui auraient pu éclairer les évolutions de l’idée de conspiration au sein de l’appareil d’Etat, qui connaît avec l’affaire Louvel l’un de ses derniers avatars.

NOTES

[1Maître de conférences d’histoire moderne à l’ENS de Lyon

[2Attentat commis contre Louis XV en 1757, et qui donna lieu à un supplice public qu’analyse Foucault au début de Surveiller et punir.

Note de la rédaction

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