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La CGT et la recomposition syndicale

Un ouvrage sous la direction de Françoise Piotet (PUF, Coll "Le Lien Social", 2009, 320 p., 27€)

publié le mercredi 3 février 2010

Domaine : Science politique , Sociologie

Sujets : Travail , Stratification sociale

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Par Igor Martinache

Tandis que la confédération tenait récemment son 49ème Congrès à Nantes du 7 au 11 décembre dernier, l’ouvrage collectif des chercheurs du laboratoire Georges-Friedmann de l’Université Paris-1 permet d’éclairer quelques espaces essentiels concernant la structuration ou le fonctionnement d’une organisation bien mal connue malgré sa « visibilité médiatique ». Le premier message porté par ses auteurs est, conformément au titre de la conclusion, qu’il n’existe pas une mais « des CGT ». Ainsi que l’indiquait certains des articles d’un récent dossier de la revue Politix consacré à la syndicalisation, la « Cégète » comme la surnomment ses adhérents est bien loin de correspondre à l’image monolithique et organisé qui domine à son égard. Bien au contraire, c’est « l’anarchie organisée » qui semble dominer, pour reprendre le titre d’un précédent article de la directrice de l’ouvrage [1]. Tel est ainsi le second enseignement qui ressort de la lecture des différentes contributions qui composent cet ouvrage : la division syndicale ne renvoie pas seulement à la rivalité entre les différentes centrales historiques, ou entre ces dernières et les organisations autonomes telles que celles qui relèvent du Groupe des 10-Solidaires. Elle renvoie aussi aux divisions qui traversent la CGT elle-même : entre « anciens » et « jeunes », comme dans le syndicat de la blanchisserie hospitalière étudié par Yasmine Siblot, entre cadres et employés regroupés dans deux syndicats distincts d’une même banque, ou entre personnels navigants et au sol dans l’aviation, ainsi que le donne à voir Mathieu Benssousan. L’hétérogénéité se constate également dans les moyens d’action, les ressources matérielles ou les effectifs des différents syndicats ou des Unions locales (UL) ou départementales (UD), qui se constate y compris entre les sites d’une même entreprise, comme ces entrepôts logistiques sous-traitant d’un grand groupe de distribution dans lesquels a enquêté Anne-Catherine Wagner.

Les auteurs ont donc eu à cœur de mettre en évidence l’organisation concrète des différentes sections syndicales où ils ont pu enquêter, ce qui permet notamment de souligner les multiples contradictions qui les traversent aujourd’hui. Ce même objectif, ajouté à une certaine unité méthodologique - l’enquête ethnographique est ainsi privilégiée, observations, entretiens approfondis avec un soin particulier apporté à la reconstitution de trajectoires militantes individuelles-, confère au livre une unité certaine qui le distingue de certains ouvrages soi-disant collectifs qui se résument en réalité à une juxtaposition d’articles sans réel lien qu’un objet différemment appréhendé par les différents contributeurs.

Les syndicats CGT sont ainsi au carrefour de divers nœuds dialectiques - ce qui n’est au fond pas sans logique. Parmi les tensions qui les animent, il en est une seconde qui va à l’encontre d’une idée reçue répandue : il s’agit du rapport des militants au champ politique. Si, comme le reconnaissait encore récemment Bernard Thibault, l’appartenance au Parti Communiste Français (PCF) pouvait être une condition quasi sine qua none d’accès aux plus hautes fonctions de la Confédération, le rapport des militants à cette organisation partisane, comme aux autres, est loin d’aller de soi. Certains enquêtés entretiennent même avec obstination le silence autour de leur appartenance partisane, même communiste, et beaucoup de jeunes militants font preuve d’une défiance à l’égard des partis qui semble redonner toute son actualité à la Charte d’Amiens. De la même manière, la question de la montée en généralité est elle-même source de tensions : si certains militants, tels que les enseignants du second degré étudiés par Françoise Piotet, valorisent la dimension interprofessionnelle, ou se mobilisent sur des thématiques éloignées de leur propre condition salariale, d’autres privilégient au contraire un syndicalisme à base (très) locale centré sur la défense du statut des seuls adhérents ou en tous les cas des salariés les moins précarisés.

Autre prénotion répandue : celle d’un activisme radical et aguerri cultivé par l’ensemble des adhérents de la confédération. Les différentes contributions mettent au contraire en évidence l’existence fréquente d’un vivier d’adhérents peu actif, qui peut même parfois constituer un frein à l’action, comme dans le syndicat de cadres (UCIGT) des personnels navigants d’Air France étudié par Mathieu Benssousan. Une contradiction corrélative qui anime aujourd’hui les syndicats de la CGT comme, semble-t-il, nombre d’autres organisations du mouvement social - y compris et peut-être surtout dans les partis considérés naguère comme les plus centralisés [2] -, se situe entre la recherche d’efficacité et le souci de « démocratie » dans la prise de décision, comme le montre notamment Azzdine Henni qui étudie un conflit dans une usine de matériel électrique. Un souci, comme il le montre bien, toutefois indissociable de celui d’attirer les salariés plus jeunes - davantage attirés par les autonomes- et ainsi, à plus long terme, de pérenniser la section (p.86-87).
Sans surprise, l’environnement structurel est ainsi essentiel à prendre en compte pour comprendre les pratiques concrètes des militants syndicaux, et ce à une échelle tant nationale que locale.

Pour ce qui est de la première, compte tenu de la faiblesse des taux d’adhésion aux organisation syndicales, la syndicalisation est devenue un objectif primordial pour les différentes confédérations [3]. Comme le suggère Françoise Piotet, si cet objectif a donné lieu à une rationalisation non dénuée d’efficacité à la CFDT, les tensions sont plus vives à la CGT sur ce sujet. Bien que l’objectif du million d’adhérents ait été mis en avant lors du 47ème congrès confédéral, et que plusieurs outils aient été mis en place à cette fin - comme le CoGiTiel, fichier informatisé des adhérents-, les « résistances » sont fréquentes de la part des militants de base à l’égard du travail de syndicalisation. « On n’est pas des marchands de soupe » résume en substance l’un des enquêtés, à quoi s’ajoutent les difficultés liées à la précarisation des emplois [4]. Ce qui oblige à une certaine finesse dans le travail de syndicalisation (décrit notamment aux pages 36 à 46), qui n’est pas sans contribuer à l’invisibilisation du travail militant (p.302-303) et au risque de délégitimation que cela peut induire à l’égard des permanents [5]. Cette autre tension est d’autant plus importante que la formation continue joue un rôle essentiel dans les préoccupations de la centrale - elles-mêmes indissociables de l’évolution des qualifications- [6], comme l’illustre les formations syndicales dans lesquelles Yasmine Siblot et Mathieu Benssousan ont effectué une observation participante. Au cours de celles-ci - qui se situent il faut le préciser au niveau initial - ils montrent notamment la relative méconnaissance de l’organisation qui caractérise les participants dont l’arrivée à la CGT est finalement le fruit d’une relative - mais trompeuse - contingence. Trompeuse car leurs trajectoires révèlent cependant des dispositions similaires quoique diverses à cette forme d’adhésion, et pour lesquelles les formes de sociabilité vont finalement jouer un rôle décisif dans l’activation et la confirmation. Est ainsi posée une question centrale pour l’analyse du fait syndical, à laquelle les différents auteurs ont également été attentifs : celle des trajectoires individuelles et de leur évolution dans le temps. Tant l’entrée dans le syndicalisme que la possibilité d’y faire « carrière » sont ainsi le fruit d’une rencontre entre des dispositions et des conditions structurelles qui connaissent une évolution certaine dans la période actuelle. Loin d’être révolues, les formes de discrimination à l’encontre des militants syndicaux - qui mériteraient à elles seules une enquête particulière-, mais aussi le relatif manque de reconnaissance de cette forme de travail particulier, permettent notamment toujours de rendre compte de l’investissement croissant dans cette activité - d’abord par les heures de délégation puis par la possibilité de devenir permanent.

C’est effectivement sans doute à ce niveau que peuvent être saisis les contradictions, et partant les défis qui se posent à la CGT comme aux autres confédérations syndicales. Les clivages internes [7] qui tiennent finalement également à la prégnance de certaines identités professionnelles [8]- et qui rend toujours actuel l’incompréhension entre « gens du public » et « gens du privé »-, et la désorganisation qui domine finalement dans une centrale bien éloignée des clichés représentent finalement le défi majeur d’une organisation. C’est finalement non sans paradoxe la coupure entre une « tête » dont la force de proposition est indéniable - comme en témoigne par exemple le succès du thème de la sécurité sociale professionnelle-, et des bases où la montée en généralité fait l’objet de multiples obstacles, qui constitue le principal défi pour la centrale. C’est du moins ce que cet ouvrage suggère fortement, et au-delà du cas de la principale confédération française, il invite de ce fait à reconsidérer largement la question de l’avenir du syndicalisme dans l’hexagone.

NOTES

[1« La CGT, une anarchie (plus ou moins) organisée ? », Politix, n°1, vol.85, 2009, pp.9-30

[2Ce que suggère certaines observations effectuées au sein du PCF. Voir sur le sujet les travaux notamment de Julian Mischi, tels que Servir la classe ouvrière, Rennes, PUR, 2010

[3Voir le dossier de Politix déjà évoqué

[4Sur cette question, voir Sophie Béroud et Paul Bouffartigue , Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, Paris, La Dispute, 2009

[5Sur cette question, et plus précisément à la montée en expertise qu’exige l’unification des marchés européens, voir le travail d’Anne-Catherine Wagner, Vers une Europe syndicale. Une enquête sur la Confédération européenne des syndicats, Bellecombe-en-Bauges, éditions du Croquant, 2005

[6Voir notamment la revendication d’un « Nouveau statut du travail salarié » (NSTS) présentée par Bernard Friot dans Sophie Béroud et Paul Bouffartigue, op.cit.

[7Dont peut également rendre compte l’opposition croissante à laquelle fait face Bernard Thibault, et dont le symbole le plus visible est Xavier Mathieu, le délégué CGT du site de Continental à Clairoix, qui a qualifié le secrétaire général de « racaille »

[8Ainsi de ces enseignants du second degré rencontrés par Françoise Piotet qui récusent par exemple leur assimilation aux cadres et revendiquent au contraire leur proximité avec la classe ouvrière

Note de la rédaction

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Sous la direction de Alain Degenne, Catherine Marry et Stéphane Moulin (PU Laval, coll. "Société et Population", 2011)
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Un numéro de la revue "Sciences Humaines" (n° 224, mars 2011)

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