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La barrière et le niveau. Etude sociologique sur la bourgeoisie française moderne

Une réédition de l’ouvrage d’Edmond Goblot, avec une préface de Bernard Lahire (Puf, coll. "Le sens social", 2010, 90 p.)

publié le vendredi 28 mai 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Culture , Stratification sociale

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Par Delphine Moraldo [1]

Réédité régulièrement depuis sa parution en 1925 mais passant toujours autant inaperçu, La Barrière et le Niveau est pourtant, comme l’écrit Bernard Lahire qui signe la préface de cette dernière édition, une de « ces œuvres majeures qui ont exercé une influence souterraine très puissante sur la sociologie française de l’éducation et de la culture des années 1960-1970 » (p.8 de la préface). En effet, bien avant les recherches entreprises par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans les années 1990, un philosophe des sciences et épistémologue, Edmond Goblot, avait porté un regard sociologique voire ethnographique sur la bourgeoisie française d’avant même la Belle Epoque. Car comme le précise George Balandier dans la préface à l’édition de 1984 (reprise dans le présent ouvrage), la bourgeoisie décrite dans cet essai n’est pas celle de 1925, mais bien la bourgeoisie dorée des dernières décennies du 19ème siècle. Par ailleurs, Edmond Goblot, se définissant lui-même dans son livre comme un bourgeois [2] (p.5) laisse entendre que l’avènement d’un système méritocratique dans lequel « les inégalités naturelles, celles de l’intelligence, du savoir, du talent, du goût, des vertus et des vices » (p.90) serait souhaitable.

La thèse qui donne son nom au titre de l’ouvrage est énoncée d’emblée dans le premier chapitre, dans lequel Goblot s’efforce de cerner « l’idée de classe sociale », opposée à la notion de caste : « Les caractères qui séparent doivent être qualitatifs. En outre, ils sont communs à tous ceux qu’ils distinguent. Toute démarcation sociale est à la fois barrière et niveau. Il faut que la frontière soit un escarpement, mais qu’au-dessus de l’escarpement il y ait un plateau. » (p.7). Comme le souligne Bernard Lahire dans sa préface, des thèmes majeurs de la sociologie des années 1970 y apparaissent déjà. Comment ne pas penser au Bourdieu de La Distinction (qui ne citera jamais Goblot) en découvrant l’allusion aux « impairs », « gaffes », « manières communes », qui « trahissent » (p.5) le parvenu (ce que Bourdieu nommait l’allodoxie culturelle de la classe moyenne), ou bien encore à « ces minutieuses règles du savoir vivre (...) et ces règles qui décident de tout » qui font que « l’éducation crée et maintient la distinction » (p.7) ? A ce propos, le chapitre intitulé « La mode » est centré sur cette idée de « distinction » [3], distinction que Goblot présente d’emblée comme une séparation autant matérielle et spatiale que symbolique : « les seuils que tout le monde ne franchit pas ne servent guère qu’à protéger et préserver cet ensemble de qualités personnelles qu’on appelle « la distinction » et qui permettent de se mêler sans se confondre » (p.35). A travers l’étude de la « fonction distinctive » du vêtement, l’auteur analyse avec finesse les normes sociales qui entrent en jeu dans le choix et le port du vêtement (ce qui peut par ailleurs rappeler certaines analyses de Simmel consacrées à la mode).

Goblot, dans le chapitre « classe et richesse », remarque également contre l’idée marxiste de « classe possédante » que le critère de la richesse se révèle artificiel et insuffisant pour démarquer les classes sociales. En avançant que le véritable critère pertinent est plutôt « la manière d’usage de la richesse » (p.13), Goblot montre ainsi que « la distinction des classes est affaire de jugement de valeur » (p.14), de « représentations » et « d’images » (p.16), qui passent à travers des pratiques distinctives précises et codifiées. On peut d’ailleurs penser à Thorstein Veblen et à sa Théorie de la classe de loisir (1899) lorsque Goblot fait référence à « la nécessité de ne pas travailler » (p.18) à laquelle le bourgeois est soumis, ou bien encore à la bourgeoise comme « objet de luxe » (p.20). Mais à la lecture de Goblot on pense surtout à des travaux bien ultérieurs, notamment à la lecture de la conclusion du chapitre : « vivre bourgeoisement, c’est avant tout faire donner à ses enfants une éducation bourgeoise » (p.21). Education qu’il s’efforce de décrire de manière minutieuse dans les trois chapitres consacrés à « L’éducation morale », « l’éducation intellectuelle », et « l’éducation esthétique » de la bourgeoisie, où il en évoque différents aspects comme la politesse (« factice et conventionnelle », « faite de détails et de nuances » (p.52), apprentissage tacite au sein de la famille « par la pratique de la vie quotidienne et l’insensible influence du milieu » (p.54)), l’usage du mensonge (p.57), l’importance apportée à la pureté de la famille et son effet pervers, la débauche et la montée de la prostitution (p.58-63), l’apprentissage de la musique et des arts (p.75). L’analyse consacrée à « l’éducation intellectuelle » est sans doute à cet égard celle qui sera le plus passée à postérité, et c’est d’ailleurs l’exemple du baccalauréat que choisit Bernard Lahire dans sa préface pour illustrer le concept central de « barrière et de niveau » (p.11 de la préface). Préfigurant les analyses ultérieures en sociologie de l’éducation, Goblot montre ainsi que la connaissance du latin, garant d’une « culture de luxe » (p.71) a longtemps joué comme principe de distinction entre la bourgeoisie et le reste de la société (quand bien même l’enseignement était devenu obligatoire et gratuit), avant d’être remplacé par une « barrière officielle et garantie par l’Etat » (p.72) : le baccalauréat, dont l’unique fonction pour l’auteur serait de distinguer et de niveler l’élite, à savoir les heureux lauréats.

Cette réédition du célèbre essai de Goblot, véritablement passionnant à bien des égards, est au final une occasion de découvrir, de lire, ou de relire un auteur dont bien souvent on connait la thèse sans jamais avoir fait le détour du texte. La préface de Bernard Lahire qui s’ajoute à cette nouvelle édition s’avère un complément utile à la lecture du texte, en tant qu’elle synthétise ses principaux apports en les replaçant dans une perspective sociologique et en les étudiant à la lumière de théories formulées bien des années après l’écriture de l’ouvrage (mais qui reprennent pourtant ses idées clés). Elle permet aussi de pointer certaines limites de l’analyse, et en particulier l’idée de « niveau ».

NOTES

[1Elève de l’ENS de Lyon

[2Et même comme « un bourgeois parlant à des bourgeois » (p.58).

[3« Ce qui distingue le bourgeois, c’est la distinction », écrit d’emblée Goblot (p.35).

Note de la rédaction

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