Par Cécile Campergue [1]
Après La peau. Enjeu de société, recueil de textes des cahiers de l’Observatoire Nivea consacré aux cultures du corps et au paraître, La Belle apparence est un deuxième volume dirigé par des anthropologues membres du comité scientifique de l’Observatoire. On connaît bien les travaux de David Le Breton, spécialiste de l’anthropologie du corps mais aussi ceux de Georges Vigarello sur l’histoire de l’hygiène et de la beauté, etc.
Diverses thématiques liées à la beauté et à l’apparence corporelle sont traitées sous l’angle de l’histoire et de l’anthropologie. Un corps, paré, tatoué, sublimé, étiré, perforé, bronzé, etc., et les significations attachées à la beauté (toujours relative), à la séduction, au paraître, à l’identité et la socialisation, sont tour à tour abordés. Dans l’introduction de Gilles Boëtsch, président de l’Observatoire Nivea, on lit d’emblée que la beauté est perçue aujourd’hui comme étant indissociable de la santé et de l’environnement, d’où le concept de « beauté holistique », titre de la première partie. L’impact des cosmétiques bio témoignent d’ailleurs de l’intérêt d’une esthétique saine et naturelle. Les parties suivantes abordent les couleurs sur corps, les nouveaux hommes, les sensualités, les beautés plurielles, les féminités et les beautés du corps de demain.
Les contributions nous offrent un panorama de pratiques, de représentations et de réflexions sur le corps et sa beauté, beauté souvent imposée aux femmes, mais dont les contraintes ne pèsent plus que sur elles seules. À ce titre, on note quelques exagérations notamment lorsqu’on lit : « l’absence de soins du visage, voire de maquillage, peut passer pour de la négligence, voire une forme d’auto-exclusion » (Florence Quinche, 1949). Si les femmes sont toujours la cible privilégiée des impératifs de beauté, cette dernière se lit désormais au masculin. L’homme doit aujourd’hui se soucier de son apparence, d’où un nombre croissant d’hommes qui s’épilent, qui s’entretiennent physiquement, qui utilisent plusieurs cosmétiques, qui se maquillent, etc. Doit-on s’attendre ainsi à une nouvelle définition de la masculinité ? Pourrait-on en arriver à une subversion des identités, vu que nous sommes tous soumis désormais aux normes sociales de dépendance au regard d’autrui ? (162). Force est de constater que le sexe féminin est toujours le plus marqué par les miroirs qui « jugent en permanence » la femme. Exister dans le regard de l’autre et seulement dans le regard de l’Autre ; dans la société du spectacle, écrit Georges Vigarello, « il faut être vu », et donc masqué ses imperfections, travestir le réel pour montrer une image de soi favorable. Société du spectacle oui, qui prône un corps éternellement jeune, mince et beau avec toutes sortes de pratiques associées (chirurgie esthétique, botox, régimes, produits anti-âge, cosmétique, bronzage, etc.,) qui sont là pour soutenir l’idéologie dominante (remise en cause par exemple à travers le mouvement de l’éco-beauté).
Mais qu’est-ce que la beauté sinon une construction sociale variable à la fois dans le temps et l’espace ? Les critères du beau sont en effet fort différents dans l’histoire de notre propre société comme ils le sont dans d’autres cultures. Embellir son corps, cela peut être le tatouer ou se faire un piercing, la peau étant cette « interface entre milieu intérieur et environnement externe » (Pomarède, 52). Entre construction identitaire et recherche esthétique, les tatouages ont des fonctions diverses. Les tatouages faciaux dans la communauté Inuits par exemple, sont traditionnellement des tatouages aux fonctions socio-cosmiques, qui régissent à la fois le genre, qui permettent de passer du monde des morts au monde des vivants et qui permettent d’intégrer la communauté. Mais les tatouages occidentaux contemporains qui ont fait leur apparition n’ont plus cette signification. Acte volontaire ou collectif, les marques et autres marquages corporels n’ont pas les mêmes significations en contexte traditionnel (où le collectif et la contrainte l’emportent) que ceux effectués par les Occidentaux (choix individuels, qui participe souvent d’une construction de la personnalité, de la singularité, de l’affirmation de soi, de la recherche esthétique, de la sensualité, etc.). Mais l’apparence n’est pas toujours visible. Les marques corporelles peuvent être visibles dans la seule intimité : le cas du piercing génital mais aussi la réparation de l’hymen qui renvoie à des contraintes sociales et religieuses (et culturelles) de certaines populations qui exigent un hymen intact comme preuve pré maritale de virginité (313).
Il existe une pluralité de pratiques de modifications corporelles destinées à modifier son apparence et les raisons et significations associées à ses pratiques sont très diverses. Le corps, en tant « qu’analyseur des rapports sociaux [2]1 » offre des perspectives très larges à ceux qui décident de modifier leur apparence et d’utiliser pour cela des artifices toujours plus complexes.
Les articles offrent des éclaircissements et des pistes de lecture intéressants sur la singularité des individus face à l’apparence corporelle et aux normes établies.