Notre point de départ établit le constat d’un nouvel « allant de soi » dans les débats reliant vieillissement et travail : dorénavant, il serait convenu d’assurer et de tout faire en faveur du « maintien au travail » des travailleurs dits ou considérés comme âgés ou vieillissants.
L’hypothèse directrice est que, loin d’apporter une panacée, ce « maintien au travail » conduit avec plus de certitude vers une gestion sociale plus individualisée de la fin de carrière (si ce terme de « fin » a encore un sens) et du « vieillir » à partir de critères plus flous, plus complexes, plus nombreux et plus malléables que l’âge biologique.
Le « maintien au travail » passerait bien sûr par la transformation d’institutions, par l’évolution de dispositifs d’action publique comme le retrait anticipé ainsi que par un changement radical des pratiques et des discours d’une majorité d’entreprises. Mais, in fine, il suppose toujours un individu « souhaitant » poursuivre sa carrière, un individu apte à s’adapter, capable d’autonomie et authentique, désireux de se former, etc., comme s’il était poussé à le vouloir « pour du vrai » et convaincu d’entreprendre une démarche véritablement personnelle.
Parler de « fabrique » du vieillissement, c’est d’abord resituer le caractère massivement construit et non donné du vieillissement. Ensuite, « la fabrique » s’oppose à « l’usine » : dans la première, l’acteur dispose de marge d’autonomie plus grande, dans le second, il doit suivre des plans dressés hors de l’atelier. L’intention de ce dossier est précisément de mettre en avant les reconfigurations qu’opère le « maintien au travail » dans une multitude « d’ateliers » et auprès d’acteurs très différents : État européen proposant de grandes réformes en faveur du maintien au travail, entreprise s’adressant à l’État pour soutenir une partie de ses salariés vieillissants ou décidant de s’organiser seule face à cette situation ou encore travailleurs vieillissants expliquant leur trajectoire aux chercheurs.
A l’image de « l’usine » qui prônerait de « bonnes pratiques », nous préférons rendre compte de « pratiques » s’inscrivant dans la voie d’une prolongation des carrières. L’invocation de « la » « bonne pratique » dissimule toujours une haute portée normative sur la voie à suivre, escamote une intention de rationalisation des conduites du plus grand nombre sous l’étendard de l’efficacité rentable à plus ou moins long terme. C’est justement la diversité de voies possibles qui émerge. Elle serait le révélateur d’une absence de vision homogène du « vieillir » au travail.
Si jusqu’à présent les débats autour du vieillissement au travail ont été majoritairement mis sur la place publique dans une optique utilitariste et macroéconomique (soutenabilité financière des régimes de retraites, rétablissement de l’équilibre actif/inactif ou, de manière moins directement, « relever le défi du vieillissement »), on constaterait in fine une panne sociétale pour concrétiser les discours sur le vieillissement ou les intentions en faveur du « maintien en emploi » en autant d’outils de solidarité collective.