Par la présente livraison, issue de la table ronde organisée par la Société d’Histoire Moderne & Contemporaine le 31 mai 2008, la RHMC entend offrir une contribution au débat sur l’évaluation et ses critères, en proposant des réflexions de fond, historicisées et internationales, et une pluralité de points de vue [1].
Il s’agit par là d’affirmer que l’évaluation n’est pas une pratique nouvelle, ni une exigence illégitime. Elle constitue au contraire l’un des fondements de la validation du travail scientifique. Elle contribue à la clarification indispensable des règles de l’accession au métier de chercheur et de la promotion interne, et à leur moralisation, en réduisant la force des routines, des situations acquises et des rapports de force, notamment par leur publicisation. Enfin, l’évaluation répond aussi à la nécessité plus générale de contrôler l’emploi des fonds publics, nécessité à laquelle la science, pas plus qu’aucun autre domaine, n’a à se soustraire.
Pour autant, des garanties sont nécessaires en la matière. Faisant fond sur les acquis d’une centaine d’années d’histoire et de sociologie des sciences, nous savons combien ces dernières doivent sans cesse lutter pour maintenir leur autonomie.
Mais nous savons aussi, en sens inverse, que cette autonomie scientifique suppose que les communautés savantes soient capables de se doter d’instruments d’évaluation et d’objectivation des pratiques et des positions. Les circonstances actuelles de transformation accélérée et d’internationalisation de l’univers savant rendent aujourd’hui cet impératif encore plus impérieux que par le passé [2].
Or, la fièvre de l’évaluation qui a récemment saisi les autorités de tutelle et les bailleurs de fonds a donné lieu à une floraison désordonnée de classements divers, parfois précipités, aux indicateurs mal contrôlés, hétéronomes, plus ou moins sérieux. Dans ce contexte, nous entendons affirmer qu’une évaluation qui se propose les buts définis plus haut doit clairement poser le problème de l’objectivité et de la publicité de ses critères, de même qu’elle doit veiller à la légitimité des évaluateurs et à la qualité des procédures. Les modalités qui doivent garantir tout cela sont encore très largement à inventer, préciser, décliner selon les contextes disciplinaires et les échelles géographiques Dans tous les cas, elles devront faire toute sa place à un légitime contrôle en retour par la communauté scientifique, car tout critère d’évaluation dans la sphère scientifique n’est acceptable que si les procédures et les instances qui les élaborent sont reconnues comme légitimes par les pairs.
Il incombe donc aux différents milieux savants de prendre à bras-le-corps ces problèmes et de ne pas se laisser dessaisir de cet enjeu majeur qu’est l’évaluation. Ignorer la question, ou la refuser dans la crispation, serait sans issue. Faute d’une telle mobilisation, nous risquerions en effet de nous laisser enfermer dans la caricature d’un milieu frileux et arbitraire, qui ne pourrait être ramené que de l’extérieur à la « loi commune » - en vérité totalement hétéronome - de « l’efficience » et de la « compétitivité ».
NOTES
[1] Les contributions qu’on va lire reprennent les communications de la table ronde du 31 mai 2008 ainsi que celles d’auteurs qui n’avaient pu se joindre à nous à la date retenue. Nous tenons à remercier l’IHMC (UMR 8066 CNRS) pour son concours à l’organisation du débat, ainsi qu’Anne-Marie Sohn, Alexis Spire, Patrick Fridenson et Christine Musselin.
[2] Cf. « Économies de la recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 164, septembre 2006 ; Christine MUSSELIN, Le marché des universitaires. France, Allemagne, États-Unis, Paris, Presses de Sciences Po, 2005 et Les universitaires, Paris, La Découverte,2008.