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La grève de la faim

Un ouvrage de Johanna Siméant (Presses de Sciences Po, coll. "Contester", 2009)

publié le dimanche 6 décembre 2009

Domaine : Science politique

Sujets : Mouvements politiques et sociaux

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Par Abir Kréfa [1]

A la fois synthétique et précis, relativement court mais dense, cet ouvrage se situe dans le prolongement des recherches antérieures de Johanna Siméant. C’est au travers de ses travaux sur les mouvements de sans papiers [2], où la grève de la faim constitue depuis les années 1970 un des moyens privilégiés de la politisation des revendications -du « droit d’avoir des droits » [3]-, qu’elle a été amenée à s’intéresser à cet objet. Toutefois, l’ouvrage ne se réduit pas (bien que cet exemple soit amplement mobilisé) à une analyse de la grève de la faim dans les mouvements de sans papiers, ni même plus généralement aux groupes à très faibles ressources. Sur la base d’observations participantes effectuées dans les mouvements de sans-papiers et de réfugiés, mais aussi sur des documents écrits, il s’appuie sur des exemples extrêmement divers, où la grève de la faim est utilisée de façon collective : dans les mouvements anticolonialistes (en Irlande depuis les années 1920, pendant la guerre d’Algérie dans les années 1950-60), féministes (chez les ‘’suffragettes’’ britanniques au début du 20ème siècle), dans les groupes d’extrême-gauche (en Italie et en Allemagne dans les années 1970), mais aussi dans les « institutions totales » [4] (prisons et camps de concentration notamment). Il puise également dans des cas où le recours à ce moyen de protestation se fait de façon individuelle : grève de Roland Veuillet [5] ; celles répétées, du député radical italien Marco Pannella, celle de l’activiste mapuche Patricia Tronsoco au Chili, etc.

Le premier chapitre retrace l’émergence historique de la grève de la faim comme moyen d’action protestataire. Après avoir montré ses affinités avec le jeûne religieux, en ce qu’ils sont associés à des valeurs similaires- celles de la maîtrise de soi et de l’exemplarité morale- Johanna Siméant insiste également sur ce qui l’en différencie : contrairement à la grève de la faim, le jeûne religieux ne se situe pas dans une logique de rapports de force (il n’implique pas la confrontation avec un adversaire extérieur à soi-même) et ne revêt pas les formes les plus sacrificielles. Par ailleurs, alors que le jeûne religieux apparaît comme une pratique ancienne, prônée par la plupart des religions (judaïsme, christianisme, islam, bouddhisme et hindouisme) ce n’est qu’au cours du 20ème siècle que le jeûne a pu revêtir un caractère protestataire, avec deux exceptions notables. Johanna Siméant relève ainsi que son usage en milieu carcéral remonte au Moyen-âge, mais elle attire aussi l’attention sur les « jeûnes de ‘’remontrance’’ [6] » , en particulier dans l’Inde ancienne et en Irlande.

Trois moments sont reconstitués par Johanna Siméant, où cette pratique est associée clairement à des revendications politiques : la mobilisation de ce mode d’action au début du 20ème siècle par les anticolonialistes irlandais et les ‘’suffragettes’’ britanniques ; les nombreuses grèves effectuées par Gandhi, qui seraient selon elle à l’origine de sa diffusion et de sa réappropriation et enfin, sa banalisation à partir de la fin des années 1960. Dans le chapitre suivant, Johanna Siméant pose la question du dénombrement des actes contestataires et de sa difficulté, dans la mesure où contrairement aux grèves ‘’classiques’’, il n’existe pas ici de préavis officiel : les seules grèves de la faim relativement bien répertoriées sont celles qui se déroulent en prison, parce qu’elles sont recensées par l’administration pénitentiaire. Elle passe ensuite en revue les différentes ressources permettant donc de fournir non une approximation, mais une limite inférieure du nombre de grèves de la faim : presse locale et nationale, internet, etc. Quoique largement insuffisantes, ces données lui permettent toutefois de mettre en évidence la routinisation progressive de ce mode d’action protestataire.

Après avoir réfuté les lectures (ou les stratégies de délégitimation) qui en font une pratique ‘’irrationnelle’’ ou ‘’pathologique’’, Johanna Siméant resitue ce mode d’action dans l’espace des possibles protestataires. Reprenant la notion désormais classique de ‘’répertoires de l’action collective’’ [7] , elle analyse la grève de la faim de façon relative aux autres modes de protestation. Il s’agit ainsi d’un moyen couramment privilégié dans les contextes de rareté des espaces et des moyens de la contestation (c’est le cas des dissidents politiques dans les Etats autoritaires). C’est le cas aussi de ceux qui, étrangers, sans-papiers et réfugiés ou nationaux mais de fait non reconnus comme tels (comme les harkis), sont privés de citoyenneté et pour lesquels le recours aux formes ‘’classiques’’ de la protestation (grèves, manifestations, etc.) peut être bien plus coûteux. L’intérêt de ces analyses est également de replacer la grève de la faim dans une perspective diachronique de la contestation : Johanna Siméant montre ainsi que dans le cas des sans-papiers, la grève de la faim précède souvent des formes plus conventionnelles, comme les manifestations, les premières ayant pour objectif de diminuer le coût des secondes.

Toutefois, loin de constituer le monopole des groupes à faibles ressources, la grève de la faim peut être, à l’inverse, mobilisée par des individus (ici, plus souvent que des groupes) qui disposent d’un capital symbolique important, l’intérêt de l’ouvrage étant de relier les caractéristiques sociales des jeûneurs à celles des ‘’causes’’ ou des revendications. Moyen de déstabiliser les rapports de force avec l’autorité (que celle-ci soit incarnée par une instance étatique ou, à une échelle plus microsociologique, par un patron), le jeûne protestataire n’est cependant pas analysé comme un simple face-à-face entre les grévistes et leurs adversaires. Ce sont cinq acteurs qui peuvent y être impliqués : les jeûneurs et l’instance détentrice de l’autorité, mais aussi le comité de soutien, les médias et les médecins. Pour ces derniers, Johanna Siméant montre ainsi le rôle des hospitalisations, des diagnostics et certificats médicaux dans la dynamique des rapports de forces entre les grévistes et leurs adversaires.

Au final, cet ouvrage intéressera bien sûr les politistes et les spécialistes des formes protestataires de l’action politique, mais aussi les sociologues du corps [8] , et- quoique plus secondairement- ceux des médias et de l’expertise. Toutefois, étant donnés le format ainsi que le langage utilisé (lequel est relativement intelligible par des non-spécialistes), il peut être lu par un public plus large (qui pourra comprendre des militants, et ceux qui, plus globalement, s’intéressent aux formes de résistance au pouvoir).

NOTES

[1ATER en sociologie à l’Université de Limoges

[2SIMEANT Johanna, La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.

[3SAYAD Abdelmalek, La Double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré. Seuil, 1999, p.324.

[4GOFFMAN Erving, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Les Editions de Minuit, 1968.

[5Conseiller Principal d’Education dans un lycée de Nîmes et adhérent du syndicat SUD, il entame une grève de la faim en 2004 pour protester contre sa mutation-sanction à Lyon consécutive à un conflit qui l’a opposé au principal de son établissement au sujet de la disparition du statut d’aide-éducateur et de surveillant.

[6Ainsi en est-il de la privation de nourriture comme menace de suicide brandie par des créanciers qui ne parviennent pas à se faire rembourser par leurs débiteurs, en particulier lorsque ceux-ci appartiennent à un groupe social dominant relativement au leur. (p.13).

[7TILLY Charles, La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.

[8Ceux-ci pourront se reporter en particulier au chapitre III, où sont analysés « les sens d’une violence faite au corps » (p.39-56).

Note de la rédaction

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