Par Basile Ducerf [1]
Jean-Marie De Ketele, en coordonnant ce dossier, propose un bilan des recherches passées et présentes sur la pédagogie universitaire. L’auteur présente une analyse complexe et globale prenant sa source dans la création curriculaire jusqu’aux « résultats » des ces pratiques, en passant par les effets de contextes dits transversaux des politiques éducatives ou bien des environnements académiques. L’essentiel de cette rétrospective fait état de recherches utilisant comme indicateurs centraux les taux de « réussite » et « d’échec » des étudiants dans leur première année d’étude. Fortement influencées par les politiques européennes d’évaluation de « qualité » de formation, ces recherches n’expliquent que peu les effets des pratiques pédagogiques. Comme le souligne J.M. de Ketele, les résultats obtenus dans un cursus n’ont d’effets significatifs sur le parcours professionnels uniquement pour les étudiants s’engageant dans la voix académique (Berberat et Goldschmid, 1989) [2] .
Néanmoins, la contribution collective coordonnée par Julia Schmitz propose un retour analytique, sur les taux importants d’échec en première année, principalement fondée sur les modèles de persévérance, de motivation et d’intégration des étudiants à la vie académique. Fortement inspiré par les modèles éducationnels de Tinto (1975, 1997) [3] et celui de persévérance, les auteurs postulent une certaine désuétude des critères socio-démographiques classiques comme variables explicatives pertinentes dans l’explication du « décrochage universitaire ». En contrepartie, l’engagement institutionnel et l’intégration académique correspondent, en partie, à une influence non négligeable quant à la réussite ou non dans les premières années d’université. Un modèle intégratif académique serait ainsi une solution possible à la baisse du taux d’échec en licence. Sans l’expliciter, les auteurs proposent de développer une socialisation académique, en interaction régulière avec les acteurs de l’enseignement et de la recherche. Les facteurs de motivations ou de persévérance sont, au final, les résultats de processus sociaux peu analysés dans cette contribution au profit d’une modélisation des conditions motivationnelles et de persévérance.
Ce dossier propose donc un regard sur « l’impact » individualisé de la pédagogie universitaire. Développé essentiellement dans les « domaines scientifiques les plus professionnalisants », ce courant pédagogique s’est fortement approprié l’approche des formations par compétences. La contribution de Christian Chauvigné et Jean-Claude Coulet a ainsi pour objectif de soumettre un modèle de compétence au service des pratiques pédagogiques. Sans rentrer dans un débat stérile, Chauvigné et Coulet posent le problème des compétences génériques et transversales transmises dans l’enseignement supérieur en termes de dynamiques professionnelles. D’une part, quelles sont les relations entre savoirs académiques et pratiques professionnelles ? L’enseignement supérieur doit-il uniquement préparer à un monde professionnel en perpétuel mouvement ? Et d’une autre part, un référentiel fonctionnel de compétences ne permettrait-il pas de fonder un paradigme de la pédagogie universitaire pratique ?
Cette analyse énonce de manière claire les fondements d’un paradigme pédagogique de la fonctionnalité des relations entre savoirs académiques et pratiques professionnelles, question aujourd’hui centrale dans toutes les recherches sur l’enseignement supérieur. Ceci n’est pas sans faire écho à l’European Qualifiaction Framework (EQF) qui, à une échelle européenne, institutionnalise l’approche par compétences dans un but de professionnalisation et de qualification des parcours [4]. Jean Emile Charlier et Sarah Croché pointent à juste titre l’influence du processus de Bologne et plus tard celle de la Commission Européenne sur le contrôle des politiques d’enseignement supérieur. Tous deux démontent à la fois comment les pays signataires ont gardé un contrôle national sur les orientations politiques nationales et comment dans le même temps la Commission Européenne a su s’imposer comme un interlocuteur privilégié pour la mise en place d’un espace européen d’enseignement supérieur. Relativisant cette homogénéité, les auteurs accordent une certaine importance à signaler que plutôt d’analyser le processus de Bologne en terme d’injonctions, les Etats en ont profité pour faire évoluer leurs situations nationales à leur gré sous couvert d’une décision supranationale.
Visant à concurrencer les universités nord-américaines, cet espace européen, dans sa logique d’harmonisation, entraîne de grands changements académiques chez les pays situés à la périphérie européenne. Plus particulièrement, Charlier et Croché soulignent « l’inéluctable ajustement des universités africaines au processus de Bologne ». A l’heure des classements internationaux, de la bibliométrie et du management académique généralisé, la coopération et la mobilité (les africains étaient pourtant les « champions de la mobilité » selon l’UNESCO) universitaires semblent les rares ressources disponibles aux les universités africaines pour continuer à exister sur cette scène, plus particulièrement avec les acteurs européens.