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La religion civile américaine. De Reagan à Obama

Un ouvrage de Mark Bennett McNaught (Presses Universitaires de Rennes, Coll "Sciences des religions", 2009)

publié le jeudi 31 décembre 2009

Domaine : Droit , Histoire , Science politique

Sujets : Politique , Religions, croyances

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Par Hélène Rougier [1]

Dans le livre IV du Contrat social, Rousseau affirmait la nécessité de présenter au citoyen une religion civile, « qui lui fasse aimer ses devoirs », qui maintienne donc une cohésion de la communauté civile et politique. M. B. McNaught s’inscrit dans un regain d’intérêt pour l’étude de cette « religion civile » en sociologie politique, en s’intéressant plus particulièrement à l‘entremêlement du politique et du religieux dans les discours des dirigeants. Il définit ainsi la « religion civile » comme « l’ensemble des croyances qui rendent à la fois la politique religieuse et la religion politique » (p.9).

Il montre comment cette forme de croyance reste imprégnée des valeurs calvinistes qui existent depuis l’Amérique coloniale, à travers quatre parties évoquant tour à tour l’esprit missionnaire américain, l’éthique du travail, la déification du marché libre et l’insistance sur la nécessité d’une rédemption du peuple américain face à la mise en péril de l’éthique calviniste. Ces valeurs appuient un patriotisme américain régulièrement réaffirmé, jusqu’à la menace de la liberté d’expression comme le montre l’exemple du Flag protection Act. L’auteur a principalement étudié les discours des présidents et des candidats aux élections présidentielles de ces trente dernières années. Il adopte quasi-systématiquement une démarche diachronique qui tend à montrer pour chaque axe la continuité des valeurs calvinistes dans la politique américaine et qui permet de retracer leurs évolutions en fonction des partis au pouvoir (conservateurs ou démocrates) et des groupes de pression.

La première partie présente l’évolution de l’esprit missionnaire américain en analysant les grandes phases de la politique extérieure américaine, depuis l’unilatéralisme des origines jusqu’à la recherche actuelle d’une nouvelle forme d’ « internationalisme », suite aux interrogations relatives aux conflits en Afghanistan et en Irak et à la politique anti-terroriste. L’auteur constate que depuis 1980, la droite comme la gauche ont globalement gardé l’idée d’une « destinée manifeste » des Etats-Unis dans le monde, avec pour mission d’étendre la démocratie et les valeurs économiques libérales. L’éthique américaine du travail insiste depuis l’époque coloniale sur le fait que la réussite légitime ne peut être issue que d’un dur labeur. Le puritanisme a rendu le travail sacré. Tout en s’inscrivant dans cet idéal de réussite du « self made man » qui supporte le rêve américain, la droite et la gauche américaine n’ont pas eu les mêmes réactions face aux évolutions du travail ces trente dernières années vers le chômage et une pression accrue sur les salariés. L’intervention de l’Etat est perçue par l’aile conservatrice, notamment sous Reagan, comme un mal en soi, faisant obstacle à la liberté individuelle ; elle est d’autant plus mal perçue quand elle s’applique à des pauvres « non méritants », les constituant en « assistés », à l’opposé de l’idéal de réussite par le travail individuel.

C’est cette même liberté individuelle, le même esprit de compétition et la même hésitation voire hostilité envers l’intervention de l’Etat, que l’on retrouve dans la défense du marché, auquel les hommes politiques attribuent « des vertus analogues à celles du Dieu chrétien » (p.121). Cela a conduit à une libéralisation accrue dans les années 1980 impulsée par le gouvernement Reagan. C’est surtout la crise de 2008 qui a conduit à des remises en question, toutes relatives, quant au marché libre, sans toutefois en remettre en cause le principe. La dernière partie se concentre sur la nostalgie d’un âge d’or, sur l’idée qu’une rédemption est nécessaire à une Amérique amoindrie moralement et culturellement. A gauche comme à droite, il y a une impression de « dégénérescence morale » (p.182), accentuée par l’émergence dans les années 1980 du mouvement politique chrétien, en particulier sous l’influence des « born again christian », qui intervient surtout dans le domaine des politiques familiales ).

Cette confrontation des discours d’hommes politiques permet à M. B. McNaught de conclure que l’héritage calviniste dans la religion civile américaine depuis ces trente dernières années a forgé un conservatisme moderne. Il est intéressant de voir que droite et gauche américaines partagent les quatre idées mises au jour par l’auteur que sont la « destinée manifeste », l’éthique du travail, la nécessité d’un marché libre et le thème du « paradis perdu ». La différence entre les partis se fait alors sur la formulation plus ou moins religieuse de ces valeurs, et dans ce qu’ils placent comme principe à l’action politique. Les républicains érigent plus facilement Dieu comme principe transcendant la politique, tandis que les démocrates préfèrent des principes plus laïques, que les Républicains ne nient pas, mais qu’ils placent au second rang. C’est par exemple le cas des droits de l’homme, que G.W. Bush n’a pas hésité à placer après la nécessité de lutte contre le « mal » -le terrorisme- et de vengeance après la violation de la terre américaine considérée comme sacrée. Les démocrates quant à eux n’hésitent pas à désigner l’homme plutôt que Dieu comme principe d’action politique. L’auteur fait bien comprendre par ailleurs que ces différences de choix politiques varient selon la conjoncture intérieure et extérieure, mais toujours au sein d’un héritage qui reste relativement unanimement partagé.

M. B. McNaught illustre régulièrement son argumentation d’extraits de discours permettant de mettre en lien son analyse avec le vocabulaire et la rhétorique employés par les hommes politiques. Toutefois un commentaire systématique de ces extraits parfois assez longs aurait pu permettre d’encore mieux les insérer dans les faits historiques, économiques, politiques ou juridiques explicités par l’auteur et ainsi, de mieux intégrer ces discours à l’analyse de la tension que les stratégies politiques subissent entre le poids de l’héritage calviniste et la nécessité pour les partis politiques de se démarquer les uns des autres. Le fait que l’auteur ait vécu à la fois aux Etats-Unis et en France offre un avantage indéniable pour un lecteur français, car l’auteur parvient très bien à faire sentir combien la laïcité, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et l’imprégnation des valeurs religieuses dans la vie politique ont des signification différentes aux Etats-Unis, et comment ces valeurs portent les actions des dirigeants.

Une des pistes les plus intéressantes suggérées au long de cet ouvrage concerne le degré de cohésion que la religion civile suppose pour exister, et réciproquement, le pouvoir de cohésion qu’elle possède, et conduit à se demander jusqu’à quel point elle peut au contraire diviser la nation qu’elle entend souder ? Les réponses sont effleurées dans ce livre qui ouvre de nombreuses perspectives d’interrogations et qui offre de nombreux outils de compréhension de la politique américaine contemporaine.

NOTES

[1Elève en histoire à l’ENS LSH

Note de la rédaction

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