Par Camille Sutter [1]
La Société du risque est une réédition actualisée d’un ouvrage paru en 2000. Sociologue à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Patrick Peretti-Watel fournit une synthèse éclairée sur la place du risque dans les sociétés modernes. Il commence par un constat a priori paradoxal : nous vivons dans un monde plus sûr, mais plus risqué, où les « conduites à risques » focalisent l’attention alors que l’espérance de vie s’allonge. Son analyse est particulièrement intéressante car il déconstruit l’approche essentialiste du risque, au profit d’une mise en perspective socio-historique, insistant sur les variables sociologiques dans la perception et dans la prise de risque.
Tout d’abord, l’auteur part du paradoxe du risque dans notre société, conçu comme outil de réduction de l’incertitude, mais dont l’extension semble « fabriquer du danger ». Il rappelle les conditions historiques de développement du concept de risque, défini comme un danger prévisible et calculable. Pour que se développe une pensée du risque, il faut la mise en place d’une statistique administrative et du calcul probabiliste. L’observation des régularités permet de relativiser le caractère singulier des accidents et fournit des tables. Associées à des probabilités, elles deviennent des outils de prévision et favorisent le développement de l’assurance.
L’auteur interroge ensuite l’existence d’une « culture du risque », concept emprunté à Giddens, défini comme « un aspect culturel fondamental de la modernité, par lequel la conscience des risques encourus devient un moyen de coloniser le futur » [2] . Il s’agit dans ce chapitre d’interroger les variations culturelles de la perception du risque. En effet, certaines études psychologiques [3] ont montré que nous surestimons l’occurrence des accidents spectaculaires ou très médiatisés, et sous-estimons les autres. De plus, la perception du risque peut varier selon les groupes sociaux. En particulier, selon les points de vue experts et profanes. Pour certains auteurs, la représentation profane du risque est plus complexe. Ainsi, Slovic [4] développe pour la saisir un « paradigme psychométrique », qui varie selon les aspects de l’évènement pris en compte par le profane : contrôlabilité du risque, caractère plus ou moins familier des conséquences. À cet égard, la pandémie H1 N1 constitue une illustration très récente de ce paradigme. Trois raisons expliquent selon l’auteur l’échec de la campagne de vaccination. Tout d’abord, les effets secondaires du vaccin ont été jugés plus inquiétants que la grippe, qui représente un risque familier. Ensuite, la défiance à l’égard de l’autorité politique a traduit une certaine lassitude vis à vis des injonctions sanitaires. Enfin, a joué une mauvaise communication vers les médecins généralistes qui forment le relai essentiel des politiques sanitaires. Si Patrick Peretti-Watel distingue les perceptions du risque selon les préférences politiques et le niveau scolaire, regrettons qu’il n’explore pas d’autres variables comme les paramètres géographiques [5]. Cette relative imprécision donne des frontières floues au concept de « société du risque ».
Dans un troisième chapitre, Patrick Peretti-Watel explore la dimension politique des risques contemporains à travers les trois modèles de démocraties techniques développés par Callon [6]. L’enjeu est de comprendre à travers cette grille de lecture la place accordée au citoyen dans la gestion du risque et les nouveaux rapports entre experts et profanes. Ainsi, le modèle de l’instruction publique est le plus répandu et le moins adapté, il sacralise la connaissance scientifique. Le modèle du débat public reconnaît l’universalité de la valeur de la connaissance scientifique, mais l’enrichit par des modèles locaux, et redonne de la place aux savoirs profanes. Enfin, le modèle de coproduction des savoirs met sur un pied d’égalité savoirs scientifiques et profanes. Cependant, la diversité des points de vue sur le risque ne se résume pas à une opposition entre experts et profanes, mais a aussi des déterminants culturels. Pour en définir les contours, l’auteur s’appuie sur la typologie développée par Mary Douglas [7].
Enfin, les deux derniers chapitres envisagent les conduites à risque sous l’angle de ce qu’elles peuvent révéler : sont-elles significatives d’un défaut d’information ou d’un excès d’optimisme ? Le baromètre Santé de l’INSEE de 2005 permet de mesurer des variations sociologiques de l’exposition au risque : si 10 % des Français de 12 à 75 ans déclarent avoir été victimes d’un accident au cours des 12 derniers mois, la proportion est plus élevée pour les hommes et pour les plus jeunes (16 % entre 12 et 25 ans). Deux biais semblent expliquer ce comportement : le biais d’optimisme & l’illusion de contrôle. Dans le cas des prises de risques délibérées, l’auteur montre à partir d’une analyse de Le Breton [|[Le Breton, Passions du risque et ordalie, 1991]] que la place du risque et de l’aventure dans l’imaginaire contemporain est devenue essentielle, l’individu affirmant sa valeur par la prise de risque.