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Lady Jane

Un long-métrage de Robert Guédiguian (France, sorti en salles le 9 avril 2008, 1h42)

publié le dimanche 20 avril 2008

Sujets : Politique

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Par Igor Martinache

Certains vont peut-être se demander en quoi un film « policier » [1] peut intéresser les sciences sociales. C’est sans doute qu’ils connaissent mal le genre du « polar », qui dans sa dimension littéraire peut-être plus encore que cinématographique, est sans doute l’un de ceux qui présentent à la fois les descriptions sociologiques les plus fines, et, -ce qui va souvent de pair- une critique sociale des plus pertinentes [2]. Ce n’est ainsi pas un hasard si des études de réception ont récemment été consacrées à la littérature policière et à son impact « social ». S’interrogeant par exemple sur l’engouement suscité par le roman noir, et particulièrement le fait que celui-ci dépasse les clivages de classes sociales. Annie Collovald et Erik Neveu ont ainsi remarqué que ces lectures accompagnent souvent les « ruptures biographiques » de leurs lecteurs, mais aussi et surtout qu’elles cumulent les attraits des « littératures de distraction, de savoir et de salut » [3].

Ceux qui sont étonnés par cette chronique ne connaissent sans doute pas non plus très bien le cinéma de Robert Guédiguian. Car, de Dernier été (1980) au Voyage en Arménie (2006) en passant par Rouge Midi (1983), Dieu vomit les tièdes ! (1989), A la place du cœur (1998), A l’attaque ! (2000), La Ville est Tranquille (2001) ou Mon père est ingénieur (2004) pour ne citer que ceux-là, Robert Guédiguian ne s’abstient pas de montrer la réalité sociale et politique dans sa diversité et sa complexité, abordant des sujets aussi « dérangeants » que les fermetures d’usine, la vie dans les grands ensembles, les déchirures familiales, la toxicomanie, le racisme ou la violence. Il le fait cependant sans simplisme, montrant au contraire combien ces « problèmes sociaux » font système [4], et surtout, il gratte la croûte du monde social sans renoncer pour autant à montrer la poésie qui peut aussi se cacher en dessous. Ce mélange (d)étonnant fait d’ailleurs la marque de fabrique du cinéaste, comme en témoigne par exemple son œuvre la plus connue, Marius et Jeannette (1997), ou l’apprivoisement amoureux de deux personnages « blessés de la vie » à mille lieux des « coups de foudre » hollywoodiens.

L’amour surnage dans la mare des calamités sociales, tel semble être le fil directeur du cinéma de Robert Guédiguian. Mais il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas l’« amour bourgeois » du repli sur la sphère privée, mais bien un amour « vivant », politique, qui vient redonner du sens à cette société où « tout » semble aller de travers. Car la politique n’est jamais absente des films de Guédiguian, qu’il s’agisse de montrer directement le « champ politique » [5], comme dans La Ville est Tranquille qui présente la déliquescence de la vie publique et la banalisation de l’extrême-droite dans une Marseille de fin de millénaire, ou Le promeneur de champ de mars (2005), adaptation du livre éponyme de l’inénarrable Georges-Marc Benamou sur la fin de « règne » de François Mitterand, ou de manière plus diffuse.
Reste que la politique pour Robert Guédiguian semble commencer avec la fidélité. Fidélité à une ville, Marseille, dont il n’a ôté ses caméras qu’à deux reprises (Le promeneur du champ de Mars et Voyage en Arménie), participant de ce fait à la mythification de la cité phocéenne - à laquelle participe également dans un autre genre la série Plus belle la vie !- et qui contribue à en faire le théâtre d’un genre culturel en soi [6], aux classes populaires, dont ses héros sont issus quand ils n’y appartiennent plus réellement, et à une troupe d’acteurs, emmenée par Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan et Jacques Boudet.

On retrouve sans surprise tous ces ingrédients dans Lady Jane, où le titre de la chanson des Rolling Stones sert de nom à la bijouterie que Muriel (Ariane Ascaride) possède en centre-ville. Mais c’est surtout le surnom dont son père l’avait affublée et qu’elle porte encore tatoué sur l’avant-bras. Comme un vestige incorporé de l’époque où, plutôt que de tenir un magasin de luxe, Muriel les braquait avec ses copains d’enfance, François (Jean-Pierre Darroussin) et René (Gérard Meylan), partageant à l’occasion leur butin aux habitants de leur quartier populaire. Une manière peut-être pour Guédiguian de signifier qu’on ne peut pas se sortir de la m... seul. Tous trois ont cependant fini (plus ou moins...) par se « ranger », chacun s’étant retrouvé une activité et une forme de famille, suite en fait à un casse qui a mal tourné. Mais ce passé semble les rattraper le jour où le fils de Muriel est enlevé...

Sans aller plus loin dans le scénario [7], on se contentera d’ajouter que Lady Jane peut se lire comme une métaphore politique, qui interroge le rapport entre l’action, le collectif et la quête de sens, à travers les regards différents de chacun des personnages. Evitant, comme chaque fois, d’asséner une leçon de morale, Robert Guédiguian vient cependant questionner le délitement apparent du lien politique en ce début de siècle. Il accorde notamment une place importante aux « nouveaux » objets, téléphone portable ou lecteur de MP3, et à leur fonction protectrice, qui nous coupe finalement peut-être davantage des autres en faisant mine de nous en rapprocher. Et de ce fait agissent comme des adjuvants essentiels de l’essor d’une société « néolibérale » [8].

Voici quelques éléments pour vous convaincre que Lady Jane est bien un film politique autant que policier, où Robert Guédiguian poursuit sous une forme toujours renouvelée sa réflexion mi-désabusée, mi-pleine d’espérance, où le sens n’est pas donné d’emblée mais à conquérir. Donner du sens dans et par le collectif [9], n’est-ce pas d’ailleurs la définition même du politique ?

NOTES

[1Une appellation de genre un peu étonnante si l’on songe qu’on ne voit pas l’ombre d’un fonctionnaire de police dans ce film, comme dans bien d’autres d’ailleurs

[2Voir par exemple le dossier "Polar. Entre critique sociale et désenchantement" de la revue Mouvements n°15/16, mai-août 2001. On peut également aller lire « Phil Noir » la chronique consacrée au roman noir qu’anime le sociologue Philippe Corcuff avec le dessinateur Charb sur le site culturel alternatif Le Zèbre

[3Lire le noir. Enquête sur les lecteurs de récits policiers, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2004

[4Cf Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, Le système des inégalités, La Découverte, "Repères", 2008 - en voir une note de lecture

[5Cf Pierre Bourdieu, Propos sur le champ politique, PUL, 2000

[6Concernant par exemple le roman noir, voir l’article d’Alain Guillemin, « Le polar « marseillais ». Reconstitution d’une identité locale et constitution d’un sous-genre », A contrario, vol.1, janvier 2003, p.45-60

[7l’inattendu constitue l’un des plaisirs les plus « goûtus » du polar, comme de l’existence d’ailleurs !

[8Sur cette question et sur la dialectique « compliquée » entre individu et collectif, voir l’ouvrage collectif Identités de l’individu contemporain, sous la direction de Claude Calame, Textuel, 2008.

Sur la rentabilisation du temps à laquelle incite l’usage du téléphone portable, on peut lire par exemple Francis Jaureguiberry, « Les téléphones portables, outils du dédoublement et de la densification du temps : un diagnostic confirmé », Revue tic&société [En ligne], Numéros De TIS à tic&société : dix ans après, mis à jour le : 16/02/2008, URL : http://revues.mshparisnord.org/ticsociete/index.php?id=281 .

Enfin, cela n’est pas sans faire écho au sombre tableau que Zygmunt Bauman dresse du capitalisme contemporain dans La vie liquide, Rouergue, 2006, où le téléphone mobile est également évoqué

[9Ce qui n’est pas sans évoquer la fameuse sentence d’Albert Camus dans L’homme révolté (1951) : « je me révolte donc nous sommes »

Note de la rédaction

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