Par Cécile Campergue [1]
Il s’agit d’un ouvrage collectif issu des journées d’études sur le soin du 27 et 28 janvier 2010 à l’Université de Perpignan en partenariat avec l’Université d’Oran. Les deux universités sont engagées dans un programme de coopération euro-méditerranéen qui engage chercheurs et doctorants en anthropologie sociale à développer et à échanger, dans le cas présent, autour du soin. On y trouve treize contributions, dont deux écrites par Jean-Louis Olive, codirecteur des journées avec Mohamed Mebtoul. Treize contributions inégales en termes de qualité et de quantité, certains articles ne dépassant pas quatre pages. Il s’agit aussi pour plusieurs doctorants d’expliciter une partie de leur recherche.
Les contributions portent sur des problématiques de soins sur des terrains variés, passant de l’Afrique du Nord à l’Afrique de l’Ouest, du Cambodge à la France. Le concept de soin, questionné ici comme relation, est englobé sous le néologisme « Sociomorphose » créé à l’intention de ces rencontres. Il est défini comme un processus de conduction et de mutation d’une forme de socialité à un autre, la sociomorphose du soin étant « ce qui l’anime et l’offre au monde » (8). Le « don de soins », premier de tous les arts, écrit J-L. Olive, représente la part du métier de soignant la moins au prise avec la mesure économique...mais la réalité du terrain offre souvent des conclusions sans détours, comme l’article sur la privatisation des soins en Algérie de Mohamed Mebtoul le démontre. Le succès des cliniques privées y est incontestable (17). L’auteur, après avoir détaillé l’origine de la progression rapide du secteur privé des soins lucratifs, questionne cette privatisation des soins en Algérie tout en s’interrogeant sur le changement effectif dans la prise en charge du patient. Les cliniques privées, véritables « machines à soigner » (21), ne sont pas si différentes des hôpitaux publics dans le traitement des patients nous dit-il, toujours étiqueté par un n°de chambre (25). Le vocabulaire économique abonde : rentabilité, investissement, captation, clientèle, etc. Soigner ou plutôt être soigné a bien un coût et nous sommes loin du don..., il s’agit plutôt d’un marché hybride où les cliniques peuvent imposer les prix de leurs prestations sans que réagissent les institutions censées contrôler et réguler le champ de la santé...l’ordre des médecins d’Alger avoue même son « impuissance » (27).
Médecine à deux vitesses, coût, exclusion et inégalités dans l’accès aux soins sont traités avec les politiques de santé au Sénégal (73) et en Côte d’Ivoire à travers l’automédication (91). Au Sénégal, l’inégalité dans l’accès aux soins, à travers la population du Ferlo, où vivent beaucoup de nomades, témoigne de facteurs socioéconomiques mais aussi de facteurs culturels (82), la santé n’étant pas « une » mais multiple, tout comme le sens donné à la maladie. En Côte d’Ivoire, c’est Georges Lahoré qui témoigne de la situation catastrophique dans laquelle baigne le pays en ce qui concerne le secteur de la santé. Un manque cruel d’hôpitaux et seulement 6% de la population qui bénéficie d’une couverture santé. Dans ce contexte, on peut aisément comprendre comment l’automédication n’a rien d’une satisfaction personnelle mais est avant tout liée à des raisons économiques. Les « pharmacies par terre » témoignent de la précarité dans laquelle vit une grande partie de la population, la santé peut devenir une « variable qui permet d’établir une distinction entre pays pauvres et pays riches » (96).
On s’intéresse donc ici tour à tour aux institutions médicales, aux patients et aux professionnels du soin. Le métier de médecin est par exemple traité sur l’angle du genre en Algérie à travers une étude sur les femmes médecins au cœur d’une société patriarcale. Cette féminisation des professions médicales est décortiquée et, à travers plusieurs parcours, on se rend compte que les femmes médecins choisissent des spécialités peu cotées et subissent des tensions entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Elles restent inférieures aux hommes et subissent plusieurs inégalités (41).
La féminisation et masculinisation des professions médicales est traitée dans un article de Navarro avec un rappel historique et anthropologique de la relation unissant les femmes aux soins. Les infirmiers sont toujours en nombre des infirmières. Et les médecins sont toujours majoritairement des hommes...Le care serait-il féminin et le cure masculin ? L’exemple des infirmiers psychiatriques est mis en exergue et démontre que des propriétés perçues comme masculines (la force physique par exemple) peuvent être mobilisées pour effectuer le « sale boulot ». On retrouve également les problématiques de genre à travers le malaise infirmier à Oran. Les infirmières y subissent la domination masculine des médecins (69) et traversent une crise identitaire aux causes multiples : conditions précaires de travail, manque de reconnaissance, etc., elles finissent par se désengager de leurs patients. En ce qui concerne le métier d’infirmier justement, c’est Chapey qui se propose de traiter de ses perspectives d’évolution (55). On regrette le manque d’informations sur la réforme des Instituts de Formations en Soins Infirmiers (IFSI), sa mise en place et ses enjeux. On regrette aussi la présentation trop brève de l’initiation chez les Teké du Congo alors que l’article sur le rite de l’enterrement du placenta au Cambodge est particulièrement bien détaillé (105).
Des contributions d’inégales importances donc mais un foisonnement d’informations utiles pour tous ceux qui s’intéressent aux soins avec des réflexions stimulantes pour la recherche transdisciplinaire dans ce secteur. Non, décidément, la santé n’est pas que l’affaire de la médecine.