Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu

Suivre Liens socio

Mail Twitter RSS

Votre Liens socio

Liens Socio ?
C'est le portail d'information des sciences sociales francophones... Abonnez-vous !


Le café du commerce des penseurs. À propos de la doxa intellectuelle

Un ouvrage de Louis Pinto (Editions du Croquant, Coll"Savoir/agir", 2009)

publié le vendredi 27 novembre 2009

Domaine : Sociologie

      {mini}

Par Kévin Hédé [1]

Cette rentrée 2009 est marquée par la parution simultanée de plusieurs ouvrages [2] s’intéressant à l’analyse du champ intellectuel et plus particulièrement à ces intellectuels, omniprésents dans les médias, que Pierre Bourdieu nommait des « doxosophes » [3]. Publié dans la collection « savoir/agir » des Éditions du Croquant, ce livre du sociologue Louis Pinto se veut une contribution sociologique et militante à l’analyse de cette partie du champ intellectuel. L’ouvrage, qui se présente comme une « esquisse de programme de recherche » (p. 16), veut proposer une première analyse critique de ces discours intellectuels qui, à travers la cohérence à la fois des propos et du groupe d’individus qui en sont les producteurs et les diffuseurs, peuvent être qualifiés de doxa intellectuelle. Cette doxa, « ensemble relativement systématique de mots, d’expressions, de slogans, de questions et de débats dont les évidences partagées délimitent le pensable et rendent possible la communication », se caractérise donc par un contenu propre mais également par son mode de production. Celui-ci est marqué par le rôle important joué par les journalistes « ou, plus précisément, les plus intellectuels des journalistes et les plus journalistes des intellectuels » dans sa mise en forme.

Cette définition faite, le premier chapitre propose de caractériser cette doxa et de décrire la géographie intellectuelle de ses lieux de production. L’analyse du discours de la doxa fait en effet apparaitre plusieurs thèmes et schèmes récurrents. Le refus des extrêmes d’abord, qui consiste à renvoyer dos à dos position réactionnaire et position révolutionnaire pour mieux valoriser une troisième voie « située du coté de la modernité, de l’avenir, de la réalité, de l’économie, de la science » (p. 22) et le schéma dualiste ensuite, qui consiste à opposer de façon binaire passé et avenir autour des thèmes de la « réforme » et du « changement ». Cette opposition est au centre de ce discours, dont la force est de reformuler le sens des termes de « réforme » et de « conservatisme » par rapport à leur ancienne signification. Ces deux schèmes récurrents du discours doxique définis, Louis Pinto différencie les différentes régions de production de la doxa intellectuelle. Á partir de l’espace des revues intellectuelles (notamment Commentaire, Esprit, Le Débat et Multitudes), et en fonction de leur degré d’autonomie vis-à-vis du champ politique et du champ économique, il propose d’en distinguer trois. S’il parcourt très rapidement ce qu’il appelle la région de droite de production de ce discours - caractérisée par la présence d’intellectuels « mi-penseurs mi-experts d’entreprise » proches de la droite du gouvernement, collaborant à la revue Commentaire et dans des Think Tanks comme l’Institut Montaigne ou la Fondation pour l’innovation politique - il accorde une importance plus grande à la région centrale. Cette importance se justifie, pour lui, par la révolution conservatrice qui s’est opérée dans cette région du champ intellectuel (marquée par les figures de François Furet et de Pierre Rosanvallon) et qui s’est traduite par « la conversion de la gauche aux présupposés de la pensée néolibérale.  » Si ces critiques n’apparaissent pas nouvelles dans les productions rattachées à l’association Raisons d’agir [4], l’innovation de cet ouvrage est d’introduire une région de gauche de la doxa intellectuelle, correspondant aux intellectuels liés à la revue Multitudes, et notamment Antonio Negri. Pour Louis Pinto ces intellectuels inventent une variante « rebelle », « artiste », de la doxa intellectuelle qui, sous couvert de dépassement du marxisme, aboutit en fait à une remise en cause politique de la gauche, considérée comme « archaïque ». Au-delà des différences de positionnement dans le champ intellectuel, ces intellectuels ont donc recours aux mêmes thèmes et schémas triadiques ou binaires caractéristiques de la doxa intellectuelle.

Le deuxième chapitre étudie le contenu proprement politique de la doxa intellectuelle en analysant des rapports politico-intellectuels (Rapports Attali et Minc) et des textes de Pierre Rosanvallon, et dans une moindre mesure d’Alain Touraine et d’Antonio Negri. Cette analyse fait apparaître un ensemble de thématiques et de propositions politiques communes et conduit Louis Pinto à distinguer trois grands thèmes politiques à l’œuvre dans la doxa. Le premier c’est la valorisation de la « réforme » et du « changement nécessaire » qui correspond en fait à la promotion d’un ensemble de politiques visant à substituer le principe d’équité à celui d’égalité, à transformer les systèmes de protection sociale et les services publics sur le modèle de gestion du privé et à individualiser les dispositifs de protection sociale. Le deuxième grand thème politique c’est la constitution, en opposition fondamentale, du couple démocratie/totalitarisme [5]. Cette opposition conduit, sous couvert de dénonciation des passions révolutionnaires, à admonester la gauche « jacobine » et « étatiste » mais également à disqualifier toute critique du fonctionnement de la démocratie. Le dernier thème politique mis en évidence dans la doxa c’est l’opposition entre un socialisme ancien liée à la classe ouvrière et un socialisme nouveau, plus qualitatif, plus culturel, plus intelligent porté par un nouveau prolétariat, que l’on retrouve dans les œuvres d’Alain Touraine ou d’Antonio Negri. Ce thème conduit à faire disparaître l’opposition en termes de classes sociales et de rapport de production au profit d’une « nouvelle question sociale » qui pense la division de l’espace social en termes d’exclusion ou de multitudes et est porteur de conséquences politiques fortes.

Le troisième chapitre, dans l’objectif d’analyser le contenu plus intellectuel de la doxa, se focalise sur les modes intellectuelles apparues depuis les années 80 : le risque, l’individu et la philosophie politique. Si l’analyse des productions intellectuelles sur le risque est survolée, Louis Pinto consacre un développement plus conséquent au thème de l’individu [6]. Il signale que l’individualisme fonctionne comme un discours performatif qui, en encourageant le développement de dispositifs soumettant les individus à des traitements individualisés (notamment en terme de protection sociale), fait advenir ce qu’il décrit. Il revient ensuite sur les différentes sources théoriques qui ont été mobilisées, au début des années 80, pour assoir ce retour de l’individu, et analyse la fonction intellectuelle que rempli l’individu. Celui-ci permet d’opposer une pensée classificatrice, déterministe et donc « simpliste » à une pensée qui rend compte de la « complexité », en prenant en compte les « singularités » et l’autonomie. Cette pensée a alors la particularité de se trouver en affinité avec la vision spontanée qu’on d’eux-mêmes les intellectuels. Louis Pinto discute ensuite le retour à l’histoire des idées et à la philosophie politique qu’il interprète comme un moyen de faire de la politique en se posant de façon légitime au dessus des considérations empiriques. Il termine son incursion dans le plan intellectuel de la doxa en consacrant quelques pages au cas de Bruno Latour et à ses positions sur l’autonomie des universités.

L’intérêt de cet ouvrage est de synthétiser de façon claire, et souvent stimulante, les nombreuses analyses développées depuis plusieurs années dans les productions des membres de l’association raison d’agir. S’il nous est permis une critique, on pourra regretter que la délimitation du groupe d’intellectuels, et des textes étudiés, ne soit pas plus clairement définie. Ce manque à plusieurs conséquences : il entraîne parfois une impression d’arbitraire dans le choix des écrits, et donne une vision sûrement plus homogène que la réalité des écrits de certains intellectuels étudiés (notamment ceux liés à Esprit ou à Multitudes). Il conduit également, de façon problématique, à réduire l’intérêt de leurs productions scientifiques en les assimilant à leurs prises de positions politiques.

NOTES

[1Professeur de sciences économiques et sociales au lycée Jean Renoir (Bondy).

[2Daniel Lindenberg, Le procès des lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2009 ; Michael Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009.

[3Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir Éditions, 1996.

[4Voir par exemple Julien Duval, Christophe Gaubert, Frédéric Lebaron, Dominique Marchetti, Fabienne Pavis, Le « décembre des intellectuels français », Paris, Raisons d’agir Éditions, 1998.

[5Ce thème est au cœur de l’ouvrage de Michael Christofferson (op. cit.), qui montre, dans un ouvrage brillant et fouillé, comment le concept de totalitarisme a été d’abord un instrument de combat dans les combats politiques interne à la gauche dans les années 70 en France.

[6Thème sur lequel il vient de publier un livre : Louis Pinto, Le collectif et l’individuel. Considérations durkheimiennes, Paris, Raisons d’agir Éditions, coll. « Cours et travaux », 2009

Note de la rédaction

À lire aussi dans la rubrique "Lectures"

Une réponse de José Luis Moreno Pestaña au compte rendu de Pierre-Alexis Tchernoivanoff
Un ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Payot & Rivages, Coll " Essais Payot", 2009)
Une réédition de l’ouvrage de Katharine Macdonogh (Payot & Rivages, Coll "Petite Bibliothèque Payot", 2011)

Partenaires

Mentions légales

© Liens Socio 2001-2011 - Mentions légales - Réalisé avec Spip.

Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu