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Le corps désirable. Hommes et femmes face à leur poids

Un ouvrage de Thibaut de Saint Pol (Puf, Coll "Le Lien Social", 2010)

publié le mercredi 28 avril 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Corps

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Par Frédérique Giraud

Visant à étudier les dimensions sociales de la corpulence et du corps désirable, Thibaut de Saint Pol qui exploite les données quantitatives de huit enquêtes [1], se demande si « le corps désirable, et plus particulièrement la corpulence, ne [représentent] pas aujourd’hui encore un critère de distinction majeur entre groupes sociaux » (p7). Le pari réussi de cet ouvrage est de proposer un angle d’analyse nouveau par rapport à un objet saturé de discours non scientifiques [2], omniprésence dans les discours médiatiques qui fait écho au silence des sciences sociales. Si la question du corps a fait l’objet d’une appréhension par la sociologie (le chapitre 1 fait le tour de la question), les sociologues se sont pourtant peu intéressés au corps biologique pour se concentrer avant tout sur les représentations du corps.

Reconnaitre le caractère biologique du corps n’est pas ispo facto succomber au biologisme : si le corps est porteur de caractéristiques biologiques, des mécanismes sociaux sous-jacents les influencent [3]. La sociologie de la corpulence que propose Thibaut de Saint Pol refuse « le présupposé selon lequel le fondement [des inégalités de corpulence] se trouverait dans une sorte d’essence biologique de l’être humain, inaccessible aux sciences sociales » (p38). L’objectif affirmé étant de montrer que la corpulence est un objet social - la corpulence se définissant comme un rapport entre la taille et le poids - et de prouver par là le pouvoir/le droit de la sociologie à le prendre pour objet [4].

La perspective sociologique de la corpulence que propose Thibaut de Saint Pol, défendue de façon convaincante dans le premier chapitre d’un point de vue épistémologique, vise - et réussit - à produire une sociologie de l’obésité (étude du rapport entre l’obésité et les dimensions socio-économiques) et une sociologie sur l’obésité (étude des présupposés du discours médical, des représentations et des enjeux des politiques publiques [5]). Indissociablement, il s’agit de conduire une analyse sur la construction sociale de la norme - qu’est-ce qu’être grand ? mince ? celle-ci variant dans le temps et dans l’espace - et d’objectiver socialement la mesure des corps (chapitre 2) : mesure du poids idéal, de la corpulence, instruments de mesure. L’auteur a le souci de ne pas laisser de côté les travaux réalisés dans les champs de la biologie, médecine, génétique, psychologie, histoire, nutrition... Les discours sur la corpulence se limitent trop souvent à la prise en compte d’une seule dimension, apparence ou santé, alors que c’est dans leur entremêlement que se jouent les enjeux sociaux de la corpulence. Il adopte donc une visée d’emblée pluridisciplinaire, et propose de prendre du recul dans le temps et dans l’espace pour favoriser la compréhension des enjeux actuels (chapitre 3). L’étude de la situation française dans un cadre européen fait ainsi ressortir sa singularité : alors que l’IMC moyen de la France est très faible, la pression sociale autour de la corpulence est comparativement beaucoup plus forte.

Montrer que la corpulence est un objet social consiste non seulement à examiner les inégalités de corpulence selon les milieux sociaux (riches et pauvres [6], jeunes et plus âgés, travailleurs et inactifs), mais aussi à mettre en évidence le rôle différencié qu’elle joue d’un pays à l’autre (pays du Nord et du Sud de l’Europe) ou d’un genre à l’autre (chapitre 4). C’est surtout sur ce dernier point que l’auteur insiste, démontrant combien le genre est une dimension majeure des inégalités de corpulences. La prévalence de l’obésité en fonction du niveau de vie joue de façon très différenciée selon les sexes.

Alors que toutes choses égales par ailleurs (âge, niveau de diplôme, taille de la commune de résidence), ce sont les femmes appartenant au quartile de niveau de vie le plus faible qui sont les plus corpulentes, chez les hommes au contraire, ce sont ceux ayant le niveau de vie le plus élevé qui sont les plus corpulents. La mise en évidence du caractère sexué du rapport à la corpulence est d’une importance sociale majeure : la corpulence est un « critère de distinction entre hommes et femmes qui ne tient pas seulement aux différences - naturalisées - de constitution physique, mais également, et peut-être surtout, aux modes de façonnement et d’appréhension du corps qui caractérisent la domination masculine » (p194) [7]. Si la corpulence est un enjeu d’abord féminin (plutôt que masculin) c’est parce que la beauté est associée chez les femmes à la minceur [8].

Si la corpulence a incontestablement une assise sociale, il ne faut pas négliger les conséquences qu’elle a elle-même sur la destinée sociale des acteurs (fin du chapitre 4). En effet la corpulence sert de caractère distinctif : les individus obèses n’ont pas uniquement à surmonter les problèmes médicaux liés à l’excès de poids, mais font les frais d’une stigmatisation. [9] Celle-ci freine leur carrière scolaire, professionnelle, a un impact fort sur l’estimation de soi. C’est le cas particulièrement chez les femmes : ainsi existe-t-il un lien statistique négatif entre IMC et salaire, promotion professionnelle...A l’inverse l’obésité masculine n’entraîne aucune pénalité sociale notable chez les hommes : la probabilité d’être dans les plus hauts salaires augmente légèrement avec le surpoids [10]. Au total, Thibaut de Saint Pol livre un livre roboratif, où la perspective de genre permet à l’auteur de déployer la richesse de son objet pour la sociologie.

NOTES

[1Le Panel européen des ménages, (vague 2000), les Eurobaromètres 44.3 et 59.0, les enquêtes Santé françaises de 1981, 1992, 2003, l’enquête Handicap-santé de 2008 et l’enquête Histoire de vie. Chacune des enquêtes utilisées étant présentée de façon développée en annexe

[2Force est en effet de constater l’obsession médiatique qui entoure la corpulence : du documentaire de Morgan Spurlock Super Size Me de 2004, à Georges W Bush déclarant en juin 2002 partir en guerre contre l’obésité, jusqu’à la première page de tous les magazines féminins.

[3Nicolas Herpin le montre dans Le pouvoir des grands, Repères, La découverte, 2006 à propos de la taille (chapitre 1). « Le potentiel de grandissement » est notamment influencé par l’alimentation, qui elle-même est dépendante des ressources économiques, sociales du ménage.

[4A l’instar de ce que Muriel Darmon a fait dans Devenir anorexique. Une approche sociologique, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », 2003

[5Etude à laquelle se consacre Jean-Pierre Poulain dans sa Sociologie de l’obésité, Puf, Coll « Sciences sociales et société », 2009

[6Ce qui est important car les inégalités de santé et d’apparence se mêlent aux autres inégalités sociales économiques et culturelles

[7Goffman montre L’arrangement de sexes, La Dispute, 2002 que l’argument des différences biologiques revient constamment comme justification ultime des différences sociales entre les sexes. Or ces différences biologiques ne sont pas pour lui une explication valable, d’un point de vue scientifique. « Ce ne sont pas, dès lors, les conséquences sociales des différences sexuelles innées qui doivent être expliquées, mais la manière dont ces différences ont été (et sont) mises en avant comme garantes de nos arrangements sociaux, et surtout la manière dont le fonctionnement de nos institutions sociales permet de rendre acceptable cette manière d’en rendre compte » (p.44).

[8C’est ce que montrent en creux les analyses de choix du conjoint que l’on trouve chez De Singly, François, « Les manœuvres de séduction : une analyse des petites annonces matrimoniales », Revue Française de Sociologie, 1984 et chez Bozon et Héran, La formation du couple. Textes essentiels pour la sociologie de la famille, La découverte, Grands Repères Classiques, 2004

[9Celle-ci était déjà au cœur du travail de Jean-Pierre Poulain, Sociologie de l’obésité, Puf, Coll « Sciences sociales et société », 2009

[10Estimant l’investissement financier que les acteurs doivent réaliser pour trouver un « bon conjoint » sur le marché matrimonial, à partir d’une estimation économétrique réalisée sur les annonces d’un catalogue d’agence matrimoniale entre 1993 et 1999, Nicolas Vaillant dans son article « Pourquoi (et combien) payer pour rencontrer un « bon » conjoint ? », Revue économique, 2007 montre contre toute attente qu’il existe une demande féminine pour les hommes « forts » sur le marché matrimonial.

Note de la rédaction

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