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Le couloir des exilés. Être étranger dans un monde commun

Un ouvrage de Michel Agier (Editions du croquant, 2011)

publié le mercredi 26 janvier 2011

Domaine : Anthropologie

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Par Brieg Capitaine [1]

Le couloir des exilés est avant tout un essai engagé car si l’anthropologie fait l’objet d’attaques ou de railleries incessantes quant à sa capacité à penser le monde contemporain autrement qu’en terme d’effondrement, Michel Agier remet ici les « pendules à l’heure ». D’un point de vue épistémologique d’abord, en adoptant une posture de décentrement et d’empathie, caractéristiques de la discipline, il rappelle en quoi l’étranger et l’identité ne sont que des « fictions » normatives. Cette mise au point faite, se pose alors une question politique qui s’énonce au regard de ce que l’auteur nomme la « mondialisation partielle » caractérisée par un double processus : l’effondrement des frontières, leur remplacement par des murs et la construction de mondes nouveaux à l’intérieur de ces couloirs de l’exil. Comment, à partir de cette situation et du point de vue anthropologique, construire « un monde commun [2] » ?

Changer le regard que l’on peut poser sur l’étranger afin que les individus, les élites et les institutions cessent d’élaborer, avec toujours plus d’efficacité, une « fiction d’extraterritorialité » (p. 22) qui autorise l’exil intérieur et empêche l’avènement d’un « monde commun », voici l’objectif central que poursuit l’auteur. Le livre est divisé en cinq chapitres.

L’étranger ne doit pas être considéré comme une identité, mais comme un lieu. Cette idée séduisante conduit Michel Agier, dans le premier chapitre, à considérer l’exil non plus comme un voyage, un déracinement qui aurait un point d’arrivée, mais comme un « hors-lieu ». Mis à l’écart (dehors) et contrôlés dedans, les personnes en déplacement seraient stoppées dans leur histoire de vie. Cet espace vide à l’intérieur d’un territoire n’est possible que par la création d’une fiction d’extra-territorialité définie par des procédures juridiques et une rhétorique politique. Influencé par Foucault et la critique sociale, l’anthropologue pose ainsi les jalons d’une globalisation considérée comme un conflit entre les États cherchant toujours plus à conserver leur pouvoir et les personnes en déplacement.

Cela n’a pas toujours été ainsi comme le rappelle l’auteur dans le second chapitre. Il explique comment la figure de l’exilé noble, intellectuelle et généreuse, bravant les épreuves et posant un regard humaniste sur le monde a brutalement laissé la place à l’exilé perçu comme une menace, comme un déchet, « un indésirable ». L’architecture des politiques européennes et la multiplication des accords bi-latéraux avec les pays frontaliers (notamment avec la Grèce) ou du Sud (Maroc, Algérie) reposeraient sur ce fantasme et contribueraient à « externalisation de l’exil ». À la place des frontières autrefois lieux de contact se dressent désormais des murs dedans et dehors.

Dans le troisième chapitre, l’auteur rend compte de ce processus concentrant les migrants dans des « hétérotopies [3] » qu’il a fréquenté et qui évoque pour lui un « exil figé entre deux ailleurs, deux absences » (p. 58). Michel Agier propose donc de parler « d’encampement » pour réfléchir globalement à l’ensemble de ces situations et de ces processus de mise à l’écart entre des murs, de contrôle, de classement, de filtrage qui définissent aujourd’hui la condition d’étranger quel que soit son statut ou l’endroit sur terre où il se trouve.

Or, ces exilés de l’intérieur ont la capacité de se révolter, de parler et d’« offrir, même mis à l’écart, une résistance pour la vie ». Les exilés s’approprient ces lieux, y cuisinent, y habitent, les aménagent comme autant de « bons tours du “faible“ dans l’ordre établi par le “fort“ » dirait Michel De Certeau. Cette action créatrice, ces ruses, ce bricolage d’un refuge dévoilent des mondes hybrides en construction et parfois même une genèse urbaine.

Michel Agier, dans le quatrième chapitre, se concentre ainsi sur la figure du ghetto à partir duquel les exilés de l’intérieur et les exilés de la ville se rencontrent et trouvent dans ces espaces de relégation, dans ces marges, un refuge qui font d’eux « des locaux sans titre de reconnaissance ». Le ghetto prend ici la forme d’une tension entre un dedans positif et valorisé et un dehors stigmatisant.

Dans un cinquième chapitre en forme de conclusion, l’auteur plaide pour une « cosmopolitique de l’hospitalité ». Il revient ainsi d’abord sur la posture anthropologique de décentrement qui nous invite collectivement et individuellement à reconnaître la part d’étranger qui nous habite. Dans le « nous de l’histoire, l’autre est nécessairement là » rappelle-t-il. Cette mise à l’écart n’a, par conséquent, aucun fondement réel. Elle n’est qu’une fiction que la boulimie politique vient sans cesse bâtir et renforcer. Ce processus d’« encampement » plongerait ainsi le monde dans une stase où « doucement la vie s’éteint » (p. 105). A l’inverse, l’hospitalité rappelle l’auteur est « une condition de la vie ». Les cyniques pourront à loisir railler ce dernier chapitre non pas au nom de la Raison, mais du raisonnable. Mais ne pouvons-nous pas revenir tout simplement aux principes qui doivent guider la construction et l’élaboration du monde ? La naïveté ne vient pas de ceux qui embrassent, comme Michel Agier, le fait que les États peuvent accueillir « toute la misère du monde », mais plutôt de ceux qui croient maintenir une unité territoriale et identitaire par le double enfermement (de soi et des autres) assignant, ici, des personnes à une identité nationale et là-bas, à d’autres le statut d’étranger. Seul un cosmopolitisme de l’hospitalité semble réaliste au regard de la mondialisation en construction. « Alors que des millions de gens circulent dans le monde, que la mondialisation humaine est partout en question, les politiques de l’enfermement sur les territoires nationaux n’offrent, elles, aucune projection sur le devenir du monde » (p. 102-103).

Cet essai d’« anthropologie-monde » ne regorge pas de descriptions ethnographiques ou de bribes de paroles glanées auprès des étrangers [4], son intérêt est ailleurs ; certainement, dans la capacité de l’auteur à faire partager, de manière sensible, son expérience personnelle de la fréquentation de ces « hors-lieux ». S’il pourra paraître, à certains moments, un peu fastidieux, au lecteur averti, d’assister encore une fois à une leçon d’épistémologie lévi-straussienne qui consiste finalement à dire que l’identité est une virtualité et que l’approche primordialiste est un leurre, la violence de l’actualité et des discours du pouvoir justifient pleinement, de fait, ce rappel. Comme l’indique Agier : « la déconstruction des identités est la tâche prioritaire et incessante de l’anthropologue » (p. 13). De ce point de vue, l’anthropologie est toujours plus d’actualité pour nourrir une réflexion sur ce monde commun qu’il reste à construire. Le lecteur aura également parfois l’impression d’un vide, d’une prégnance de la destruction sur la création. Toutefois, l’auteur, avec intelligence, ne se focalise pas sur cette « victime pure » comme cela a pu être le cas dans des travaux classiques d’anthropologie. Il évoque, tout au long de l’essai, la part d’action créatrice à l’œuvre dans ces espaces hétérotopiques et comment les étrangers se constituent en acteurs. Ce rappel incessant de cette action créatrice des indésirables, de « ceux qui sont de trop » constitue un apport pertinent à l’engagement anthropologique. Ainsi, Michel Agier oscille entre les deux perspectives sans jamais privilégier l’une ou l’autre pour finalement illustrer pleinement ce qu’est « mondialisation partielle ».

NOTES

[1Doctorant en sociologie au Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologiques de l’EHESS.

[2Selon la définition qu’en donne Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, p. 146.

[3L’auteur se réfère ici à Michel Foucault.

[4L’auteur invite lui-même le lecteur à se reporter, pour cela, à ses deux précédents ouvrages. AGIER M., Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008, et « Je me suis réfugié là ! ». Bords de routes en exil, Paris, Éditions Donner Lieu, 2010.

Note de la rédaction

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