Par Sabi-Olivier Benouaddah [1]
Quel statut donner à l’observation participante dans les sciences sociales ? Au-delà de la volonté de retracer l’histoire de l’observation participante [européenne et américaine], Jean Peneff interroge sans cesse la place accordée à cette méthode dont les débuts remontent à 1910. La question reste complexe au regard des méthodes sociologiques qui comprennent, entre autre, entretien semi-directif, passation de questionnaire, contact préliminaire avec les enquêtés etc. Pour donner un statut à l’observation participante, il faut a priori en donner une définition. Ainsi l’observation participante peut se définir comme un instrument méthodologique qui consiste à provoquer une expérience sociale. En d’autres termes, il s’agit de vivre « avec » et « comme » d’autres groupes. Cela nécessite de revoir ou non les savoirs élaborés dans une pré-enquête. L’expérience commune [ou immersion] est donc un moyen de repérer ce qui nous apparaît comme évident et que nous ne remettons pas en cause ou très peu. Pour l’auteur, l’observation participante est plus qu’une méthode sociologique, c’est un « style de vie ». La diversité des chapitres [neuf] démontre que l’observation participante est utilisée par différents acteurs et dans différents champs. Cette pluralité des thèmes abordés rend la démarche de l’auteur parfois peu cohérente.
Dans le premier chapitre Jean Peneff explique, en autre, que l’observation participante a été une nécessité à l’école pour les pédagogies dans les années 1990. C’est ainsi que l’observation peut être conçue comme un outil d’apprentissage. Observer son environnement, se situer dans un espace particulier, s’inscrire dans une démarche concrète, permet à certains enfants de mieux acquérir des connaissances. C’est une réflexion que l’auteur poursuit dans le second chapitre intitulé L’expérience des enfants. Cette fois, l’auteur s’intéresse à l’enfance de ceux qui ont fait de l’observation une méthode privilégiée pour leur travail d’écriture. Les sociologues se sont probablement interrogés sur leur enfance. En revanche, il est difficile d’en trouver des propos explicites dans leurs travaux. Pourquoi les sociologues, qui ont pourtant pleinement conscience d’être « socialement situés », ne parlent que très peu de leur expérience personnelle de l’observation durant leur enfance ? Ils sont pourtant nombreux à avoir décrit des univers qui leur étaient proches [par exemple Bourdieu sur le monde rural, la paysannerie française]. Cela renvoie à s’interroger sur l’articulation entre l’expérience personnelle et la scientificité des travaux sociologiques. Le problème ne se pose quasiment pas dans d’autres champs comme la littérature autobiographique ou le journalisme. C’est pour cette raison que l’auteur a parfois appréhendé l’observation comme un phénomène présent dans les milieux les plus sensibles.
De l’expérience extrême de l’indicible dans les camps de concentration [chapitre quatre, Les origines de l’observation participante en Europe], on passe à la guerre d’Algérie et au Marxisme d’après-guerre [chapitre cinq, La formation des générations de l’après-guerre]. L’auteur montre, entre autre, comment l’observation comparée de la situation des colons et des indigènes [pendant la guerre d’Algérie] a fait émerger chez les nouvelles générations une nouvelle lecture de l’histoire. Si l’on tient compte que l’auteur considère l’observation participante comme un mode de vie, on comprend largement pourquoi il use d’exemples aussi divers et variés. L’observation est permanente chez l’individu, en tout lieu et en toutes circonstances. Pourtant comment délimiter ce qui est un outil méthodologique à ce qui est un mode de vie ? La réponse est dans le traitement des observations faites sur le terrain, par la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, les sciences politiques, mais pas seulement. Il y a également, selon Jean Peneff, certaines données qui sont la « conséquence des carrières ». L’auteur s’interroge sur le recrutement des sociologues, plus particulièrement de l’élite [notamment de Aron, Durkheim et Bourdieu]. Les trajectoires biographiques sont ainsi utilisées à des fins d’analyse interprétative.
Enfin, si l’observation participante est une technique ou un « mode de vie » que nous pouvons retrouver dans toutes les sphères de la société, mais sous différentes formes, c’est sans doute dû au fait qu’elle contribue selon l’auteur à la construction d’un « moi social ». Cette prégnance de l’observation participante a amené Jean Peneff à exploiter une multitude de sources de données [carnets d’enquête, cinéma, littérature autobiographique, données historiques et ethnographiques etc.]. Malgré cette richesse des données, il est difficile de parler de la place de l’observation participante dans la sociologie étant donné l’hétérogénéité de la discipline [il existe plusieurs sociologies] et des travaux, sans compter les luttes qui en découlent. Les origines de l’observation participante sont faites de rigueurs scientifiques et de récits profanes.
« Observe-toi si tu veux observer les autres » [Jean Peneff, p. 236], cette expression serait-elle une parade aux critiques épistémologiques faites à l’observation participante ? La rigueur scientifique ne peut-elle pas faire quelques concessions à des méthodes qui sont de véritables sources de données sociologiques ?