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Le handicap au risque des cultures. Variations anthropologiques.

Un ouvrage sous la direction de Charles Gardou (Eres, Coll "Connaissances de la diversité", 2011)

publié le dimanche 13 février 2011

Domaine : Anthropologie , Sociologie

Sujets : Santé, médecine

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Par Cécile Campergue [1]

Nous connaissons déjà les ouvrages de Charles Gardou sur le handicap, la vulnérabilité et ses expressions, qu’il ne cesse de traquer depuis de nombreuses années. Ici, il réunit des chercheurs « des cinq continents » pour rendre compte de la diversité des représentations et des prises en charge du handicap dans des pays aux cultures bien différentes : acceptation, intégration, refus, stigmatisation, rejet, mise à mort, la panoplie est large. Au programme, l’Amérique du Nord et du Sud, la France, l’Allemagne, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni, l’Afrique (Sénégal, Congo-Brazzaville, Algérie), l’île de La Réunion, la Chine, le Liban et le continent océanien avec les îles Marquises et le pays kanaks pour rendre compte de cette « fresque anthropologique » autour du handicap.

On sait que notre perception du handicap est d’abord une construction culturelle, qui dépend du contexte (historique et social) et aussi d’un certain ordre mental. Le souci de normaliser, de pathologiser et de médicaliser, propre à l’Occident n’est pas universel. Si la diversité est une donnée de fait, elle n’est pas toujours bienvenue. En France, à force de classer, de ranger, de vouloir normaliser, on masque souvent une difficulté majeure à accepter la diversité, l’altérité, le corps autre, étrange, étranger. Certains chercheurs s’intéressent même sur le fait de savoir si la société française penche vers un gommage des disparités ? (403) Il est vrai que sous l’angle biomédical, le handicap est perçu sous l’angle de la pathologie et que tout est fait pour réparer les corps…la distinction entre normal et pathologique, en tant que construction sociale, structure le rapport entre valides et handicapés.

Le terme même de handicap est une construction occidentale que l’on ne retrouve pas partout. Les contributions offertes, souvent de qualité, nous offrent de riches données sur les représentations, les perceptions et les prises en charge de plusieurs types de handicaps : maladies congénitales, handicaps de communication comme la surdité et notamment la perspective autonomiste de la communauté sourde aux États-Unis (95), handicaps physiques et psychiques. Si les auteurs s’abstiennent en général d’ethnocentrisme, on note parfois quelques jugements de valeurs à l’encontre de « superstitions d’un autre âge » (258). S’il est impossible de résumer tous les articles, donnons au moins un exemple.

Isabelle Guinamard et François Lupu traitent de la Chine et y explorent les deux faces du handicap où les malformations congénitales sont souvent perçues comme une défaillance ou une faute des parents ou de l’ancêtre (175). Jetées dans l’ombre, c’est seulement en 2008 avec les jeux paralympiques et la victoire chinoise que le pays a osé mettre en lumière des personnes handicapées. Le principal souci des autorités chinoises est en fait la lutte préventive contre les handicaps de naissance. L’instrument principal de cette lutte est la loi sur le mariage (1995) qui stipule un bilan de santé prénuptial chargé de détecter les maladies génétiques graves. En Chine, la famille est une donnée centrale : l’identité individuelle se fond souvent dans l’identité familiale. Mais le travail (lié à la vie) est une autre donnée centrale. La « face », mécanisme fondateur et structurant des relations humaines et sociales en Chine et la réalisation sociale (réputation, mise en scène) sont essentielles (185). Pour une famille, le handicap pose le problème de l’avenir des parents et le projet marital de la personne handicapée. Avec l’enfant unique, « enfant-roi », règne le système de la dette, d’où la course effrénée dans une concurrence acharnée dès la petite enfance. Un enfant handicapé, ne pouvant répondre aux critères de base qui structurent la famille, est dramatique. Une distinction majeure est aussi ancrée dans les mentalités : distinction entre bons « handicapés », ceux qui travaillent, utiles et les mauvais, ceux qui ne travaillent pas, inutiles. Les lois chinoises, loin de satisfaire les exigences en matière de prise en charge du handicap, évoluent et les associations destinées aux personnes handicapées se multiplient, même si pour les auteurs, le chemin risque d’être long avant que la perception entre l’utile et l’inutile s’estompe. Avec à chaque fois un éclairage historique sur la situation du pays dont il est question (héritage catholique pour le Portugal, culture de guerre au Liban, etc.), les auteurs nous offrent des visions contrastées qui présentent à la fois la singularité du handicap et sa dimension universelle.

Comme le fait Charles Gardou en conclusion, on peut se servir de l’analyse de François Laplantine dans son ouvrage Anthropologie de la maladie et notamment de ses modèles étiologiques pour caractériser le handicap à travers les cultures. Dans un modèle ontologique, le handicap est une réalité isolable, une entité étrangère, pathogène, qu’il est possible de repérer. C’est la perception organiciste issue du modèle biomédical que l’on connait bien. Dans un modèle fonctionnel ou relationnel, on n’occulte pas la lésion organique mais ce sont les retentissements fonctionnels qui nous intéressent. On parle alors de déséquilibre. Dans le modèle exogène, le handicap est perçu comme une malédiction dont il faut chercher le coupable, le responsable : les mères, les parents, un châtiment divin (352), les ancêtres, les esprits, etc. Dans le modèle endogène, c’est l’inverse : le handicap se place du côté de la personne, on parle de dispositions, d’hérédité, de patrimoine génétique. Les représentations dans ce modèle sont la punition, héritée du christianisme. Dans le modèle additif, le handicap est un élément qui pénètre le corps ou l’esprit de manière indésirable, c’est un excédent, une charge difficile à porter. Dans le modèle soustractif, le handicap est quelque chose qui a été soustrait ou qui s’est échappé de la personne et renvoie à l’incapacité ou la privation à compenser, le déficit ou la déficience à réparer, la carence. Là, ce sont les notions d’absence, de suppression, de perte qui dominent. Dans les représentations correspondant au modèle maléfique, le handicap est regardé comme un mal absolu, une anormalité, et, en même temps, une déviance sociale. Objet d’humiliation, de honte, il devient synonyme de stigmatisation, d’exclusion, de mort. A l’opposé, dans le modèle bénéfique, on confère au handicap une signification positive. Il remplit une fonction d’équilibration sociale. Il constitue une expérience féconde de connaissance, de dépassement de soi. Entre universalisme et diversité culturelle, ces ontologies témoignent des expressions possibles.

L’ouvrage intéressera à la fois spécialistes et professionnels mais aussi tous ceux qui s’intéressent à la thématique du handicap, de la vulnérabilité, de la liminalité comme dirait Robert Murphy [2], à travers la diversité culturelle.

NOTES

[1Docteure en anthropologie de l’Université Lyon II. Rattachée au laboratoire du Centre de Recherches et d’Études Anthropologiques (C.R.E.A)

[2Murphy Robert F., (1990), Vivre à corps perdu, Plon, Paris

Note de la rédaction

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