Par Elodie Wahl [1]
L’ouvrage de Georges Corm (économiste et historien, ex-ministre des finances du Liban), Le nouveau gouvernement du monde, sous-titré Idéologie, structures, contre-pouvoirs, est écrit en français, pour des Français. Cet ouvrage est un manuel, mais un manuel engagé. Tous les problèmes relatifs à la mondialisation y sont traités, ainsi que leurs causes, et les perspectives de leur devenir. L’ouvrage est sommaire (288 pages) et complet, mais c’est peut-être là son défaut : on a souvent l’impression, plutôt que d’apprendre des choses nouvelles, de retrouver des thèmes déjà connus (ne serait-ce qu’en étant lecteur du Monde Diplomatique). Concernant tel ou tel chapitre, il arrive alors que nous ne sortions pas plus riches de notre lecture que nous y étions rentrés. Cependant le livre peut servir pour celui qui ignore tel ou tel point à se faire une idée rapide et synthétique de la question.
Le livre est organisé en onze chapitres, il part d’une interrogation bienvenue et bien légitime sur le fait que « dans les milieux politiques et académiques, on n’a constaté [depuis la crise économique démarrée en 2008] aucune remise en cause véritable de la nature de la globalisation et des formes qu’elle a prises ». Bien au contraire ajoute l’auteur « la crise a été presque exclusivement traitée comme un problème de techniques et pratiques bancaires et financières à réformer ou mieux contrôler ».
Dès lors l’auteur se propose d’expliquer les fondements et les mécanismes organisationnels de l’actuelle globalisation. C’est le début de l’ouvrage qui nous paraît le plus intéressant. Le premier chapitre, intitulé « Comment se sont imposés les dogmes simplistes du néolibéralisme », insiste sur le rôle des Directeurs des Banques Centrales dans l’imposition aux États d’une politique monétaire assise sur trois piliers : la lutte contre l’inflation, la stabilité des prix, l’augmentation des taux d’intérêts. Cette politique est datée : elle trouve son origine dans la gestion mise en place aux États-Unis par Paul Volcker à partir de 1979. Elle est également contextualisée : dans les années quatre-vingt, les prix du pétrole et des matières premières se sont mis à chuter alors que les pays du tiers-monde s’étaient fortement endettés suite aux chocs pétroliers. Ce contexte a engendré, dans les années 90, une vague de crédits accordés, non plus aux pays du tiers-monde incapables de rembourser leurs dettes, mais aux pays anciennement industrialisés. A l’aube du XXIe siècle, les banques ayant acquis une capacité de pouvoir et d’enrichissement considérable, la question se posa d’un éventuel contrôle de leurs actions, et apparurent les fameuses agences de notation qui permettent l’organisation d’un auto-contrôle - en fait totalement corrompu. Le chapitre est très explicatif et suffisamment précis par rapport à l’ambition vulgarisatrice de l’ouvrage.
Le second chapitre reste également intéressant, il évoque la manière dont, suite à la crise, un certain nombre de débats ont émergé dans l’espace public, aboutissant simplement à « faire diversion aux vrais problèmes » (ainsi le débat sur les bonus des traders ou celui sur le contrôle des paradis fiscaux). Or la crise a aussi été aggravée par l’imposition, qui avait été faite aux citoyens depuis vingt ans, de nouvelles règles de vie : salaires flexibles, gestion des fonds de retraites par capitalisation, diminution de la pression fiscale pesant sur les entreprises. Censées favoriser le « climat des affaires », ces nouvelles règles servent en effet à valoriser certains États dans de multiples classements, eux-mêmes apparus dans les années 2000 (ainsi par exemple le « rapport annuel sur la compétitivité », le « taux de globalisation de l’économie »...). Conformément à leur vocation purement idéologique, ces classement ne disent rien de la vulnérabilité des économies ni du niveau de vie des populations concernées.
A partir de chapitre 3, l’ouvrage devient moins intéressant car il revient sur des éléments qui ont été maintes fois répétés jusqu’à aujourd’hui : les vrais causes du réchauffement climatique, et les fausses luttes engagées pour le combattre ; la question de la faim dans le monde et les micro-solutions de la Banque Mondiale, du PNUD ou de l’OCDE, etc. Le chapitre 4 rappelle « les questions essentielles qui ne sont plus débattues », et propose un survol des critiques, apparues dans les années 70, de la société de consommation et de l’asservissement des populations aux dogmes économiques et à leurs réalisations concrètes. L’auteur rappelle rapidement de quelle manière les structures sociales visant à assurer la cohésion et la solidarité des populations ont été et sont démantelées.
Le chapitre 5 traite la question de l’enseignement de la science économique et de la montée en puissance des diplômés de commerce et de gestion. Dépourvus d’une culture suffisante en sciences sociales (histoire et sociologie), les économistes sont de plus en plus mathématiciens et se soucient très peu des conséquences réelles de leurs modèles sur les sociétés, ou encore de la relativité historique de leurs croyances devenues des certitudes à mesure que la science économique se revendique « science exacte ». Insistant sur la mise en place de diplômes en « gestion des affaires », l’auteur indique également que s’est formée une nouvelle « intelligentsia » de la mondialisation, instance légitimatrice de la classe dominantes composée de fonctionnaires internationaux, traders, et dirigeants de sociétés multinationales.
La « structure du pouvoir mondialisé » est quant à elle analysée au chapitre 8. Les rôles des bureaucrates des grandes sociétés ou des organismes internationaux, chercheurs des think tanks et dirigeants d’ONG, journalistes et éditorialistes de la presse internationale, sont rapidement rappelés, ainsi que les moments phares de ressourcement social de cette structure dirigeante éclatée : sommets du G8 et du G20.
Enfin le chapitre 9 montre sur quels ressorts symboliques et imaginaires s’appuie le pouvoir globalisé : la manière de parler (storytelling) et la langue parlée (l’anglais mondialisé) ; les discours de bonne conscience (ceux de l’ONU) ; la diffusion des mythes américains par le moyen des médias (Barack Obama parvenu au pouvoir...) ; le progrès technique ; le métissage... Les deux derniers chapitres passent en revue les alternatives possibles à cette globalisation déficiente : le chapitre 10 recense les propositions et analyses qui ont accompagné ce qu’on appelle « l’altermondialisme », le chapitre 11 est le point de vue « prospectif » de l’auteur. A partir d’un certain nombre de constats (sur la réforme possible de l’économie mondiale, sur le déclin de l’hégémonie des États-Unis sur le monde, sur le devenir les questions - vraies ou fausses - sécuritaires et identitaires...), il propose des hypothèses et des interrogations.
Le principal intérêt de l’ouvrage réside dans l’effort réalisé de systématisation. Dès lors si on peut regretter le caractère de survol de certains points, la vision globalisante proposée des structures économiques, sociales et politiques de la mondialisation reste d’un grand intérêt.