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Le prestige des professions et ses failles

Un ouvrage de Régine Bercot et Alexandre Mathieu-Fritz (Hermann, avril 2008, 313 p., 24,50 €)

publié le lundi 11 août 2008

Domaine : Sociologie

Sujets : Travail , Professions

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Par Igor Martinache

La question des représentations joue un rôle essentiel dans la sociologie des professions. Comme plusieurs études phares dans ce champ disciplinaire l’ont bien montré [1] , la délimitation d’un groupe professionnel est tout sauf une question évidente. Elle résulte en effet d’un travail de construction sociale permanent sur lequel les membres concernés peuvent avoir une emprise plus ou moins importante [2]. Ainsi, tenter d’objectiver la valorisation symbolique des différents groupes professionnels se révèle une entreprise aussi heuristique que délicate. C’est cependant ce chantier que Régine Bercot, chercheuse au Laboratoire chercheuse au laboratoire Genre, Travail, Mobilités (GTM) et professeure à l’université de Paris-8, et Alexandre Mathieu-Fritz, chercheur au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS) et maître de conférence à l’Université de Marne-la-Vallée, inaugurent par cet ouvrage.

Faute de pouvoir évidemment traiter l’ensemble des groupes professionnels, les deux auteurs ont ainsi choisi trois exemples à leurs yeux exemplaires de la « classe moyenne supérieure » et qui ont en commun de faire chacune l’objet d’une certaine forme de dévalorisation (quoique d’une manière particulière dans chaque cas) : les huissiers de justice, les chirurgiens, et les sociologues.

Concernant les premiers, il est presque inutile de rappeler à quel point les représentations littéraires ou cinématographiques se révèlent systématiquement peu flatteuses. Il suffit de se rappeler le racisme de Maître Albert Schumacher dans le film Dupont-Lajoie d’Yves Boisset (1975), ou le sort que Les Inconnus réservent au personnage de l’huissier dans leur film, Les trois frères (1995). Une image sociale qui ne date cependant pas de l’époque contemporaine, comme le montrent également certains passages des œuvres de Balzac, Flaubert, Musset ou Baudelaire pour ne citer que ceux-là. Sans surprise, les sondages d’opinion auxquels Régine Bercot et Alexandre Mathieu-Fritz se réfèrent confirment que l’image dominante de l’huissier parmi les personnes interrogées est celle d’un « homme, relativement âgé, peu disponible, inhumain, renfermé, froid, inflexible, strict, peu respectueux, n’informant pas du droit des personnes, tenace, [...], lent, très cher » (p.92). Comme le remarquent bien les auteurs, ce n’est pas seulement le rôle qu’endossent les huissiers dans leur pratique professionnelle [3], mais leur identité personnelle même qui est visée, comme si la première « contaminait » nécessairement la seconde dans sa globalité. Cependant, de manière quelque peu surprenante, près de la moitié des individus sondés déclare également avoir une opinion « assez » ou « très » bonne des huissiers. Des opinions « évidemment » plus répandues du côté de ceux qui ont fait appel à leurs services que de celui de leurs « cibles ». Concernant les raisons de cette dévalorisation, les auteurs avancent le fait que l’action des huissiers porte atteinte au « système des objets », autrement dit viole l’intimité du « chez soi », la technicité du langage employé (que les Inconnus ont notamment particulièrement tourné en dérision), ou enfin la force de l’imaginaire de « l’abus de droit » que ces professionnels seraient prompts à réaliser. D’autres logiques sont à l’œuvre au sein du monde juridique, mais les huissiers tendent, de par l’accroissement de leurs qualifications initiales, à s’éloigner de la position périphérique qu’ils y occupaient traditionnellement, rompant de ce fait avec le « complexe du sous-juriste ». Enfin, si des stratégies ont bien été mises en œuvre par les instances représentatives de la profession pour tenter de briser cette image négative, force est de constater que les membres de ce groupe n’en sont pas nécessairement tant « handicapés » que cela. Ils ont su en effet développer des stratégies individuelles consistant à « retourner le stigmate », en sachant tout à la fois jouer sur la peur que leur statut inspire et se montrer sympathiques et compréhensifs à bon escient au cours des interactions, redoublant de ce fait les effets de ces comportements, tant ils paraissent éloignés de l’image traditionnelle de l’huissier.

Les chirurgiens font également l’objet d’une certaine dévalorisation sociale, bien plus récente - et « conjoncturelle »- toutefois que celle des huissiers. Celle-ci se traduirait par une crise des vocations que les tenants de la profession sont les premiers à signaler dans leurs interventions publiques. La hausse continue des primes d’assurance en responsabilité civile qu’ils ont à régler pour se couvrir (en moyenne 10% par an durant la décennie 1990) et plus largement la baisse relative de leurs revenus par rapport à d’autres spécialistes médicaux sont les raisons majoritairement invoquées pour expliquer cette « crise ». Les auteurs contestent cependant ces « théories indigènes » mises en avant lors de mouvements collectifs remarqués (avec la fameuse menace d’un exil collectif au Royaume-Uni et un rassemblement symbolique au stade londonien de Wembley) et consistant à diagnostiquer une crise de recrutement qui serait la conséquence d’une crise des vocations, elle-même résultant d’une crise des conditions d’exercice de la profession. Ils montrent ainsi statistiques à l’appui que cette prétendue « crise » des vocations tient d’abord aux effets de la politique de numerus clausus ainsi que de la féminisation du corps des étudiant-e-s en médecine allant de pair avec un marquage masculin persistant de la chirurgie. Reste que ces croyances semblent suffisamment solides pour que ces démonstrations ne les affectent pas, leur valeur instrumentale pour les intéressés primant sur leur véracité.

Le dernier groupe professionnel examiné intéressera plus particulièrement les lecteurs de Liens Socio. Il s’agit effectivement de celui des sociologues. Celui-ci, expliquent les auteurs, souffre simultanément d’une certaine méconnaissance des contenus de ses activités - y compris de la part des étudiants en sociologie !- et d’une relative dévalorisation entretenue par certains médias ou auteurs de fictions [4]. Pour expliquer la faible visibilité des sociologues, les auteurs reviennent d’abord sur l’institutionnalisation (récente) de la profession dans le contexte français, elle-même indissociable de la généralisation de l’accès aux études universitaires. Quant au caractère problématique de l’utilité sociale de la recherche, Régine Bercot et Alexandre Mathieu-Fritz montrent que celui-ci divise la « communauté » sociologique. Deux questions polarisent en particulier ses membres : le rapport à l’engagement et l’autonomie institutionnelle. Un autre phénomène contribue également à compliquer la constitution d’une identité professionnelle homogène : la diversité des recrutements et parcours des sociologues de profession. La figure de l’enseignant-chercheur à l’université, relativement bien identifiée par le public et jouissant d’un relatif prestige, tend ainsi à « écraser » et dévaloriser les praticiens présents dans d’autres types d’organisations, même si l’Association française de sociologie s’efforce d’intégrer de plus en plus les sociologues « professionnels » aux côtés des « académiques ».

Même s’ils évoquent les luttes de reconnaissance entre disciplines des sciences humaines et sociales, les auteurs apparaissent finalement moins critiques à l’égard des sociologues que des deux autres groupes choisis à titre illustratif. On ne voit en particulier pas chez ces derniers de stratégies destinées à « retourner le stigmate » de la dévalorisation sociale pour en tirer un profit individuel ou collectif. Quoiqu’il en soit, les trois exemples qu’ils développent dans cet ouvrage suffisent cependant à prouver, dans leur diversité, la complexité des processus à l’œuvre dans la formation et l’évolution de l’image d’un groupe professionnel donné. Ils apportent également une nouvelle confirmation du fait que les représentations exercent bien des effets en retour sur le monde social qui les a composées. Cela justifie donc bel et bien qu’on s’évertue à les étudier. Et du fait de leur nombre et de leur incessant mouvement, la tâche n’est pas prête d’être terminée...

NOTES

[1Voir sur cette question le manuel de Claude Dubar et Pierre Tripier, Sociologie des professions, Armand Colin, coll. « U », 1998

[2Sur le cas exemplaire de la catégorie des « cadres » français, voir Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social, Minuit, coll. « Le sens commun », 1982

[3Sur cette notion de « rôle », voir notamment La mise en scène de la vie quotidienne d’Erving Goffman, Minuit, 2 tomes, 1973

[4On peut songer, comme le font remarquer Régine Bercot et Alexandre Mathieu-Fritz, à la figure du « sociologue inutile » dépeinte par exemple par Michel Houellebecq dans son roman Plateforme (2001)

Note de la rédaction

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