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Les coulisses de l’Etat social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger

Un ouvrage de Delphine Serre (Raisons d’agir, coll. "Cours et travaux", 2009)

publié le vendredi 27 mars 2009

Domaine : Sociologie

Sujets : Protection sociale

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Par Frédérique Giraud

A partir de l’analyse de la manière dont les assistantes sociales réalisent leur mission de protection de l’enfance, par le signalement à la justice des enfants « en danger », Delphine Serre souhaite explorer les coulisses de l’Etat social, en prenant pour objet d’étude central, les assistantes sociales. Le signalement d’enfants en danger est ici pris comme point d’entrée pour étudier le « fonctionnement réel de l’Etat social aujourd’hui » (p 13), en centrant le regard sur un mode d’intervention particulier.

L’ouvrage de Delphine Serre s’appuie sur une enquête de terrain, menée pendant deux ans à la fin des années 1990, dans des services sociaux parisiens, principalement dans des services scolaires et de secteur de deux arrondissements aux profils contrastés. Il s’agissait de porter attention à toutes les facettes du travail des assistantes sociales : réunions, interactions avec les familles, échanges avec les responsables, constitution des dossiers, discussions entre pairs. Des entretiens complètent les observations ethnographiques.

Le travail de Delphine Serre permet d’éclairer la pratique du signalement sous différents angles : logique juridique et théorique, mise en œuvre pratique des catégories d’entendement assistantiel. Dans le cadre de la nouvelle lutte contre la maltraitance, les assistantes sociales ont vu leur mission de protection de l’enfance renforcée. Le signalement est au cœur de la transformation des pratiques, le nombre de signalements a explosé depuis le milieu des années 1980 : de 31 000 enfants signalés en 1994, on passe à 56 000 en 2006. De nouvelles pratiques d’inspection systématiques des familles ont pris corps, de même que de nouvelles procédures de surveillance des familles, qui ont été placées au cœur du « mandat de protection » (p35) des assistantes sociales. Des évolutions juridiques ont dans les années 1990 précisé le devoir de signalements des assistantes sociales : les pratiques des assistantes sociales ont encadrées et rationalisées.

L’auteure interroge le raisonnement mis en œuvre par les assistantes sociales pour évaluer si un enfant est ou non en danger. Celui-ci s’appuie sur des savoirs professionnels extérieurs au travail social (médecine, psychologie, psychanalyse, psychiatrie, classements scolaires). Les assistantes sociales instrumentalisent ces sources extérieures, et gardent la maîtrise de la catégorisation. Le raisonnement assistantiel est familialiste, il consiste à « imputer une causalité familiale aux comportements enfantins » (p 75) Il s’organise autour d’un idéal de travail, auquel les assistantes sociales identifient leur métier, que celles-ci perçoivent les comportements parentaux.

La relation assistantielle est une relation de service, où la dimension pédagogique est très présente : cette relation cherche à « transformer la personne, afin de faire disparaître ses difficultés ou de l’inciter à les résoudre » (p 83) L’exigence de changement est au cœur du raisonnement assistantiel. Il y a dans cet attachement, un enjeu professionnel important : le travail des assistantes sociales ne consiste pas uniquement à délivrer des prestations, la relation assistantielle se fonde sur un accompagnement de la famille, sous-tendu par une action pédagogique. Les aides accordées aux familles ne sont données sans contrepartie, elles obéissent aussi à des attentes normatives à l’égard des parents.

Delphine Serre montre que les signalements d’enfants en danger sont porteurs d’une morale familiale, qui bien qu’elle se présente comme universelle et soit légitimée par la loi, est située socialement. Dans le repérage de désordres familiaux par les assistantes sociales, se fait jour un système cohérent de normes, en accord avec la position sociale de ces professionnelles. « La morale familiale promue par les assistantes sociales est fondée sur certaines conditions de vie et de travail, certaines pratiques et représentations qui sont liées à leur position de classes moyennes ». (p 124) La mise en œuvre des normes d’individualisation, d’investissement parental, d’autonomie, d’égalité des sexes que préconisent les assistantes sociales, suppose des conditions de vie, qui sont le fait des classes moyennes, et qui sont inaccessibles aux classes populaires. L’action des assistantes sociales s’apparente à « une entreprise de normalisation qui vise à la fois une civilisation des mœurs et une démocratisation de la vie privée » (p 143), où s’expriment la « bienveillance culturelle des groupes cultivés ».

Si toutes les assistantes sociales adhèrent à cette entreprise de normalisation, il importe d’étudier la manière socialement différenciée dont les assistantes sociales, investissement leur tâche : activité scripturale de rédaction du signalement, croyance en leur mission... Delphine Serre identifie deux préférences morales distinctes chez les assistantes sociales interrogées : une morale où passe avant tout l’épanouissement de l’enfant, sous-tendue par un regard misérabiliste sur les classes populaires, une morale où prime l’autorité. L’investissement préférentiel de l’une ou l’autre de ces deux morales, par les assistantes sociales, est fonction d’un ensemble de déterminants sociaux.

Delphine Serre étudie les variations des pratiques et des représentations des assistantes sociales au regard de leur recours à la justice : selon la légitimité qu’elles accordent à la justice et l’efficacité qu’elles lui confèrent, les assistantes sociales auront plus ou moins recours à elle. Une différence de générations entre assistantes sociales éclaire la variabilité des prises de position. Est en jeu la croyance dans la légitimité et l’efficacité de leur tâche, que toutes ne partagent pas. « Les schèmes de perception intériorisées par les assistantes sociales peuvent être en décalage avec les règles mises en forme et soutenues par l’institution » (p 263). Le dernier chapitre de l’ouvrage permet d’appréhender de façon exhaustive les décalages entre les croyances et les pratiques des professionnelles.

Au total, Delphine Serre livre avec Les coulisses de l’Etat social. Enquête sur les signalements d’enfant en danger un ouvrage très riche, particulièrement attentif aux variations socialement déterminées des pratiques des assistantes sociales.

Note de la rédaction

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