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Les croyances collectives

Un numéro de la revue L’Année sociologique (Volume 60/2010, N°1)

publié le mardi 22 février 2011

Domaine : Sociologie

Sujets : Religions, croyances

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Par Cécile Thomé [1]

S’intéresser aux croyances collectives est aujourd’hui indispensable [2], aussi bien pour comprendre la vivacité des religions, que les croyances dans un sens plus large. L’inscription de ce thème au programme de l’agrégation de sciences économiques et sociales depuis la session 2010 semble d’ailleurs être la preuve de l’intérêt que lui portent les sociologues ; cependant, ainsi que le rappelle dès l’introduction Gérald Bronner (qui coordonne le numéro), ce thème a été peu traité en sociologie, d’où la pertinence de numéro de L’Année Sociologique. Grâce aux contributions réunies ici, l’objectif de la revue est ainsi « d’offrir un florilège des principales sensibilités qui prétendent rendre compte d’une façon ou d’une autre des croyances collectives » ainsi que le note Gérald Bronner.

Dans l’introduction, celui-ci insiste sur le fait que « les territoires que conquiert la connaissance ne sont pas toujours gagnés sur ceux de l’empire des croyances » : en effet le développement des sciences peut aller jusqu’à encourager certaines croyances (l’auteur donne l’exemple des extra-terrestres). Il note en outre que même si l’accès à l’information devient de plus en plus aisé, c’est finalement les « croyants » qui détiennent un quasi-monopole sur le marché cognitif (l’exemple développé est celui de l’astrologie), car les scientifiques considèrent comme une perte de temps le fait de s’opposer à ces croyances.

Le premier article de la revue est celui de Raymond Boudon, bien connu pour ses travaux sur la rationalité des actions et des croyances : « La rationalité ordinaire : colonne vertébrale des sciences sociales ». A partir du concept de « rationalité ordinaire » (ou « rationalité générale »), il définit quatre cas idéaux de croyances : une croyance peut être « fondée sur des raisons fortes et indépendantes du contexte » (comme celles proposées par les sciences), elle peut être « fondée sur des raisons indépendantes du contexte, mais faibles » (idée que la propriété est naturelle), elle peut être aussi « fondée sur des croyances perçues comme fortes, mais dans certains contextes exclusivement » (croyance en l’efficacité des rites de pluie), ou enfin « fondée sur des raisons faibles qui ne sont acceptées que dans certains contextes » (croyances des fonctionnaires selon laquelle seul l’Etat est désintéressé). Ce que Boudon veut montrer ici, c’est que la rationalité ordinaire fonctionne aussi bien pour comprendre une croyance positive, une croyance normative, une valeur ou un moyen : la théorie de la rationalité ordinaire a selon lui l’avantage d’être vraiment une théorie générale de la rationalité, et donc de l’action sociale (il justifie ce passage de « rationalité » à « action sociale » par le fait que toutes les actions, y compris les plus violentes, portent sur « les valeurs et les idées » et entrent donc dans le cadre de la théorie de la rationalité ordinaire).

Dans l’article suivant, intitulé « Le partage du croire religieux dans des sociétés d’individus », Danièle Hervieu-Léger s’intéresse à une forme particulière de croyance collective, la religion. Elle souligne que, depuis une trentaine d’années, on assiste à un double processus : d’une part une désinstitutionalisation et d’autre part une subjectivation (qui se traduit par des « bricolages » des croyances et des pratiques). Reprenant une formule de la sociologue britannique Grace Davie, elle insiste ainsi sur la prégnance actuelle du « croire sans appartenir » (« believing without belonging »). Elle étudie ensuite les différentes formes de validation du croire, pour parvenir finalement à établir une typologie (inspirée des travaux de Max Weber et Ernst Troeltsch sur les formes de la communalisation chrétienne) : elle distingue l’auto-validation de la validation institutionnelle (en déclin ; par exemple, l’Eglise), de la validation mutuelle (groupe « soft », uni, dont les membres se soutiennent mutuellement ; par exemple le réseau mystique) et enfin de le validation communautaire (groupe « hard » de croyants « intensifs » ; par exemple la secte). A partir de cette typologie, l’auteur dégage deux courant principaux du paysage religieux contemporain, à savoir d’une part une relativisation des normes fixées par les institutions religieuses au profit d’une appropriation du sens par chacun, et d’autre part, en sens contraire, le développement de petites communautés aux frontières fortes.

Fabrice Clément entreprend ensuite de dresser une typologie des croyances collectives en s’intéressant à leur nature (« De la nature des croyances collectives »). Il distingue six types de croyances : 1. les attentes intuitives, 2. les croyances personnelles, 3 les schémas sociaux, 4. les croyances représentationnelles, 5. les croyances délibératives, 6. les croyances endossées, les quatre dernières relevant des « croyances collectives ». En distinguant ces différents types de croyances, l’auteur veut réconcilier les dispositionnalistes et les intentionnalistes ; on peut cependant penser qu’attribuer certains types de croyances à l’un ou l’autre courant ne contribue pas à les réconcilier, mais bien plutôt de les séparer d’avantage.

L’article qui suit s’intéresse de nouveau aux croyances religieuses : « Les croyances religieuses : entre raison, symbolisation et expérience ». Anne-Sophie Lamine distingue trois types de théorisation de la religion : d’une part celle qui s’appuie sur les raisons de la croyance, sur la rationalité ; d’autre part celle qui s’intéresse à la dimension symbolique de la croyance (en s’appuyant sur les travaux d’Alfred Schutz en particulier) ; enfin, la dimension « existentielle » de la croyance comme vécu et comme pratique, qui insiste sur le fait que la croyance n’est pas un état mental mais une pratique.

Délaissant le domaine religieux, Jean-Baptiste Renard analyse quant à lui la rationalité des croyances fantastiques (« Croyances fantastiques et rationalité »). S’appuyant sur divers exemples (le monstre du Loch Ness, les extraterrestres, le Yéti…), il utilise le raisonnement boudonien pour déterminer la rationalité de ces croyances. Il insiste en particulier sur la dimension de contestation de la culture dominante de ces croyances, qui sont sur le marché cognitif des équivalents « au mieux [des] produits bios, au pire [des] marchandises de contrebande ». Il conclut en mettant en avant deux types de mécanismes sur lesquels s’appuient les croyances fantastiques : des « raisonnements incomplètement logiques » dont la conclusion apparaît rationnelle à l’individu, et des « mécanismes contextuels de traitement des faits réels » qui s’appuient sur des idées et des croyances déjà existantes. Cet article est une bonne illustration de le TRO (ou TRG) développée par Boudon dans sa contribution.

Enfin, Gérald Bronner clôt ce numéro (du moins sa partie consacrée aux croyances collectives) avec un article s’interrogeant sur les raisons du succès des croyances (« Le succès d’une croyance. Evocationcrédibilitémémorisation »). Il y distingue trois « programmes » différents d’analyse des produits cognitifs : l’interprétation crypto-fonctionnaliste (le succès d’une croyance est dû à sa fonction sociale : pour faire un parallèle, on peut penser ici à Lamarck), et l’interprétation sélectionniste (les croyances qui ont du succès ont au préalable éliminé les autres : on est proche de la théorie darwinienne), divisée entre les « naturalistes-mécanistes » et les « cognitifs-mixtes », ce dernier étant le programme défendu par l’auteur. Dans cet article, il insiste particulièrement sur l’importance de la facilité de mémorisation d’un récit pour décrire sa capacité de diffusion ; pour cela il a mis au point une situation expérimentale (proposer à des sujets une situation étrange et 14 hypothèses explicatives, et voir 24 heures plus tard desquelles ils se souvenaient). Il en conclut que le critère mnésique n’est pas suffisant, mais qu’il faut lui adjoindre la variable d’évocation et la variable de crédibilité ; il insiste en outre sur l’importance du contexte d’énonciation.

Ce numéro de L’Année sociologique offre donc un panorama intéressant des recherches actuelles sur les croyances collectives, même si l’on peut regretter le fait qu’aucun des articles ne s’appuie sur une enquête qualitative permettant de voir la manière dont les individus expriment leurs croyances

NOTES

[1Elève en M1 de sociologie à l’ENS de Lyon

[2Ce compte-rendu se focalise sur les contributions relatives au thème du dossier Les croyances collectives

Note de la rédaction

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