En dépit d’un marché du travail tendu, les métiers de l’art et de la culture connaissent un engouement croissant qui s’accompagne d’un nombre toujours plus important d’élèves qui fréquentent les structures de formation. Pour les seules écoles de l’enseignement supérieur dépendant du Ministère de la Culture et de la Communication , le volume global des élèves est ainsi passé de 32 500 pour l’année 2003-2004 à 35 000 pour l’année 2005-2006 (DEPS, 2004 et 2007). Dans les arts dits « classiques » comme la musique, la danse et le théâtre, certaines de ces formations ont fait l’objet d’une codification ancienne, par le biais de la mise en place d’établissements publics nationaux à la fin du 18ème siècle , puis de l’édification d’une hiérarchie d’établissements plus ou moins subventionnés selon un système de valeur pyramidal. Parallèlement, cependant, un enseignement privé ou associatif s’est également développé. Dans d’autres arts comme le cirque, par exemple, la formation a longtemps fait l’objet d’un enseignement « sur le tas » au sein même des organes de production de l’activité artistique concernée.
Alors que le contenu de l’enseignement a fait l’objet de très nombreuses enquêtes, tout particulièrement dans le secteur musical, rares sont les études qui rendent comptent de la réalité de ces formations. À l’exception de quelques travaux , la recherche a très peu investigué la mise en place de ces formations, dont l’histoire, quand elle ne se limite pas en une série de dates et de noms, reste l’apanage des institutions elles-mêmes. Par ailleurs, en dehors des enquêtes du département des études et de la prospective qui procède à des études chiffrées régulières sur les lieux de formation et les volumes d’entrants et de sortants , il est difficile de savoir comment sont organisées ces formations, à qui elles s’adressent et ce qu’elles font aux élèves qui les fréquentent du point de vue de la socialisation professionnelle. La multiplication des formations, publiques ou privées, questionne, en effet, la manière dont ces enseignements préparent les étudiants aux rôles sociaux qu’ils seront par la suite amenés à endosser. Si cette socialisation scolaire et professionnelle a fait l’objet de travaux relatifs à l’enseignement supérieur - qu’il s’agisse des formations en médecine (Becker, Geer, Hughes et Strauss, 1992 [1961]) ou celles des grandes écoles françaises (Bellier, 1993 ; Abraham, 2007) - elle constitue, à de rares exceptions près (Hennion, 1999 ; Wagner, 2004), un angle mort des recherches sur les formations culturelles et artistiques.
Les contributions, qui s’appuieront sur des matériaux clairement identifiés, pourront s’inscrire dans l’un des deux axes de réflexion suivants.
Axe 1 - La mise en place des formations et leur évolution : institutions, politiques publiques et groupes professionnels
Ce premier axe s’adresse à des chercheurs issus de différentes disciplines, mais dont les travaux intègrent, au moins pour partie, une dimension historique ou socio-historique.
Les communications pourront tout d’abord retracer la mise en place de ces formations. Cette perspective impliquera d’interroger la philosophie d’action qui sous-tend de telles initiatives, qu’elles soient privées ou publiques. À l’instar des travaux relatifs à l’émergence de la formation permanente (Brucy et al., 2007), il est souhaité des communications qu’elles pointent l’action des différentes catégories d’acteurs, dont les initiatives sont susceptibles de converger après avoir émergé à différents niveaux d’intervention. Quel rôle ont joué les mouvements associatifs, les syndicats professionnels et les pouvoirs publics dans ce processus ? Il conviendra aussi d’être attentif à l’influence des organismes internationaux dans l’élaboration et la diffusion des préceptes culturels ou des canons esthétiques. Notons que cette influence peut aussi trouver son origine dans la carrière internationale de certains artistes ou experts, ce qu’il serait souhaitable d’investiguer, à condition que leur action se développe au sein de formations clairement identifiées (associations, écoles, académies, filières de l’enseignement général, master class, etc.), qu’elles forment des artistes indépendants ou qu’elles nourrissent le secteur des industries culturelles. Des échanges internationaux de la première moitié du 20ème siècle aux reconfigurations politiques les plus récentes, comme l’ouverture européenne, la question se pose de la capacité des pouvoirs publics, notamment de l’Etat, à préserver le monopole de la délivrance de certains diplômes.
Mais parce que la mise en place de nouvelles formations met en présence de nombreux protagonistes, il convient de ne pas restreindre l’analyse à ce qui fait leur unité. Bien au contraire, il est attendu des communications qu’elles pointent les luttes d’influence et les obstacles (politiques, administratifs ou professionnels) qui président à leur mise en place, sans oublier la manière dont elles s’ajustent les unes par rapport aux autres, dans un contexte que nombre d’observateurs jugent de plus en plus concurrentiel. Une question importante concerne la manière dont les formations s’inscrivent dans les découpages administratifs de chaque pays . Si, bien sûr, l’absence de coordinations n’exclut pas que certaines initiatives participent d’un même mouvement, l’objectif sera de démêler l’écheveau des clivages et des enjeux qui sous-tendent la mise en place de ces formations. Cet exercice nous conduira à examiner de plus près les « cas limites », c’est-à-dire les formations qui n’épousent pas les catégories institutionnelles et dont l’étiquette artistique et culturelle ne fait pas nécessairement consensus. De même, il conviendra de se pencher sur les cas d’échec et d’impossible mise en place de certaines formations.
Nous chercherons aussi à comprendre la manière dont ces formations se pérennisent dans le temps et à quel prix. Nous examinerons à cette fin comment leur histoire s’articule avec celle des politiques culturelles. La prise en compte d’une perspective diachronique devrait également permettre de cerner l’évolution de leur finalité. Différentes « étapes » semblent en effet rythmer la vie de ces organismes de formation, qui poussent tantôt à les considérer comme le résultat de changements esthétiques, tantôt comme des stratégies de fermeture du marché du travail ou bien encore comme la recherche de débouchés pour des secteurs engorgés. Enfin, la prise en compte du temps long interroge les décalages entre les temporalités propres aux institutions et celles du marché du travail : par exemple, le temps de mettre en place une formation spécialisée requérant une haute technicité, les débouchés professionnels sont susceptibles d’évoluer, nécessitant de l’institution et de ses responsables - mais aussi de ses élèves - un certain nombre de réajustements.
Axe 2 - Les élèves et leur socialisation scolaire et professionnelle
Ce second axe entend privilégier les approches qui recourent au moins en partie aux enquêtes de terrain au sein des organismes de formation ou bien à l’analyse de données autobiographiques et de mémoires. Au travers des communications, il s’agira de rendre compte des relations entre publics et formation en étudiant principalement deux groupes de participants : les élèves ou étudiants et les enseignants. L’étude de l’esthétique revendiquée (programme des enseignements, positionnement dans le champ artistique, etc.), si elle peut être un élément de contexte ne doit pas faire le seul objet de la communication sauf à condition de montrer comment elle participe de la définition progressive du métier que les élèves se font au cours de leur socialisation.
Les communications devront donc chercher à savoir qui sont les élèves des formations théâtrales, musicales, cinématographiques ou autres et comment ils choisissent ces voies puis s’orientent à l’intérieur des spécialités offertes, qu’elles aient d’ailleurs une visée proprement « artistique » ou « technique ». On attend des propositions qu’elles rendent compte de la composition des publics et des évolutions. Toutefois, elles ne devront pas se contenter d’envisager les origines sociales et nationales ainsi que les parcours scolaires ou professionnels antérieurs des élèves qui les fréquentent. Il conviendra en effet de s’interroger sur les modes et les conditions d’accès, ainsi que sur les répercussions de ces origines tout au long de la formation. L’objectif sera, ici, de pointer l’existence ou non d’inégalités ou éventuellement de recompositions des inégalités, à l’instar de certains travaux relatifs au secteur musical (Coulangeon et Ravet, 2003). L’importance des migrations et du caractère plus ou moins international des publics pourra également être interrogée en regard de l’influence qu’elle exerce sur les processus de socialisation.
Les communications pourront par ailleurs renseigner sur les perspectives des étudiants, au sens de Becker, Geer, Hughes et Strauss (op. cit.), telles qu’elles apparaissent à chaque étape de leur formation. Comment les élèves conçoivent-ils le métier auquel ils se préparent et comment définissent-ils leur activité future au moment de l’entrée dans la formation. On s’intéressera par exemple à la définition qu’ils se font des tâches, des valeurs - autonomie artistique et financière ou autre - ainsi que des statuts qu’ils y associent. Qu’est-ce qui, ensuite, les aide à considérer une voie plutôt qu’une autre tout au long de leur cursus et à définir ou redéfinir le métier, l’activité et leur rôle social futurs au cours de la formation, puis à la sortie de celle-ci ? Il convient également de considérer la nature des interactions et des ajustements effectués par les étudiants durant leur cursus, au contact de leurs pairs et des enseignants, et lors de leurs premiers contacts avec le monde du travail.
Les communications pourront, en effet, s’attacher à montrer qui sont les enseignants et ce qu’ils font dans ces organismes. Outre les données sociodémographiques et les parcours professionnels, il est attendu des communications qu’elles analysent les modes selon lesquels se font les interactions entre enseignants et élèves ou étudiants dans les enseignements, mais aussi en-dehors. Elles pourront, d’une part, mettre en lumière les types d’activités et de relations sociales annexes et en lien avec le métier que les interactions élèves - enseignants permettent ou non (simples rencontres, participation à d’autres types de formations, à des spectacles, à des expositions, des concerts...). Elles pourront expliciter, d’autre part, ce qui fait que les étudiants peuvent ou non utiliser ces interactions et souligner comment cela agit sur la définition qu’ils construisent de leur formation. Cela permettra également de montrer comment ces formations, aux travers des relations enseignants - élèves, font évoluer leur offre afin de capter de nouveaux publics ou de s’adapter à eux. Bien sûr, il conviendra de prendre garde à ce qu’un tel intérêt ne s’opère pas au détriment de l’analyse du rôle d’autres figures, professionnelles ou familiales, agissant en marge de ces structures officielle d’enseignement.
En définitive, l’objectif est de prendre les élèves ou étudiants comme centre principal d’intérêt tout en intégrant, autant que nécessaire, les autres participants afin de mettre au jour la manière dont ils les influencent et pourquoi de telle façon plutôt que de telle autre.
Bibliographie sélective :
Abraham Yves-Marie, 2007, « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un ‘‘HEC’’ », Revue française de sociologie, 48 (1), pp.37-66.
Adler Judith, 1979, Artists in Offices, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers.
Becker H.S., Geer, B., Hughes E.C. and Strauss, A.L. (1992, [1961]). Boys in Whyte. Student Culture in Medical School. New Brunswick and London :Transaction Publishers.
Bellier Irène, 1993, L’ENA comme si vous y étiez, Paris, Seuil.
Brucy Guy, Caillaud Pascal, Quenson Emmanuel, Tanguy Lucie, 2007, Former pour reformer. Retour sur la formation permanente (1945-2004), Paris, La Découverte.
Coulangeon Philippe, Ravet Hyacinthe, 2003, « La division sexuelle du travail chez les musiciens français », Sociologie du travail, 45 (3), pp. 361-384.
Fijalkow Claire, 2003, Deux siècles de musique à l’école : chronique de l’exception parisienne 1819-2002, Paris, L’Harmattan.
Hennion Antoine, 1999, Comment la musique vient aux enfants, Paris, Anthropos.
Wagner Isabella, 2004, « La formation des violonistes virtuoses : les réseaux de soutien », Sociétés contemporaines, n°56, pp.133-163.
Calendrier :
Envoi des propositions de communications : 1er mars 2009
Réponse aux auteurs : 15 avril 2009
Envoi des communications écrites : 31 août 2009
Comité d’organisation :
Bense Ferreira Alves Célia
Poulard Frédéric
Comité scientifique :
Becker Howard (Chercheur Indépendant, États-Unis),
Bense Ferreira Alves Célia (MCF, Paris 8),
Buscatto Marie (Professeur, Paris 1),
Dubois Vincent (Professeur, Strasbourg),
Hennion Antoine (Professeur, École des Mines),
Martin Cécile (Observatoire des politiques culturelles),
Patureau Frédérique (Ministère de la Culture),
Poirrier Philippe (Professeur, Université de Bourgogne),
Poulard Frédéric (MCF, Université de Lille 1),
Tanguy Lucie (Directrice de recherches au CNRS-Université Paris X).
Partenaires :
Groupe de recherche sur l’Ecole, le Travail et les Institutions (GETI) - Université de Paris 8
Centre Lillois d’Etudes et de Recherches Sociologiques et Economiques (Clersé) - UMR 8019 CNRS, Université de Lille 1
Groupe de recherche sur l’histoire politique et les mouvements sociaux dans les pays Anglophones depuis 1900, EA Transferts critiques et dynamiques des savoirs, Université Paris 8
Comité d’Histoire du Ministère de la Culture