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Les managers de l’âme. Le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique de pouvoir ?

Une réédition en poche de l’ouvrage de Valérie Brunel (La Découverte, 2008)

publié le vendredi 25 septembre 2009

Domaine : Psychologie, sciences cognitives

Sujets : Economie

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Par Samuel Lézé [1]

Valérie Brunel est psychosociologue. Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat en sociologie clinique sous la direction de Vincent de Gaulejac (Paris VII). Son objectif est de comprendre le succès dans les années 90 du management qui intègre au monde de l’entreprise les techniques du « développement personnel » et du coaching tout en procédant à une « critique épistémologique et idéologique » (p.7).

De ce fait, l’étude prend place dans un débat, qui prend actuellement de l’ampleur, sur la santé mentale au travail touchant désormais toutes les catégories de professionnels, des ouvriers aux cadres [2]. Très schématiquement, l’un des enjeux, plus politique que psychiatrique, est de déterminer si la santé mentale des travailleurs est liée à la fragilité de certains d’entre eux (position favorable au patronat), ou bien si l’organisation actuelle du travail les fragilise (position favorable aux syndicats) [3]. Dans un cas, l’entreprise est développement personnel, « aventure » et il s’agit de mettre en place une prévention et donc une sélection des plus forts qui ont la « positive attitude », la compétence de gérer et développer le « bon » stress. Dans l’autre, il s’agit de développer une critique d’une phase du capitalisme qui « restructure » et « manage » au mépris de la santé des salariées.

À partir de manuels de management et d’un corpus de textes (1992-2002), l’auteur dégage la nouvelle éthique, et donc la nouvelle subjectivité, qui est valorisée par l’introduction paradoxale du « mouvement du potentiel humain » [4], issu de la contre-culture américaine, au monde de l’entreprise en réponse à l’évolution sociale (l’individualisme) et à la crise du taylorisme de la fin des années 70 : maturité, authenticité, flexibilité, efficacité en sont les principales valeurs. En rupture avec l’organisation du travail taylorien, l’entreprise se concentre désormais sur la conduite de « projets » ciblés, la gestion des « relations » déconflictualisées [5], la satisfaction du client exigeant des cadres une « remise en question » permanente de leurs compétences. Dans cette perspective, tout repose sur l’adaptation de l’individu qui devient dès lors le siège de coordination, tensions, contradictions, conflits, performances, et de... manipulations. Tout comme dans le monde sportif, le coaching vise à lever les obstacles intérieurs, renforcer le « mental » et augmenter ses performances.

La critique idéologique de ces textes de management et de ces techniques dont l’auteur dresse l’inventaire (de la PNL à là théorie de l’intelligence émotionnelle) emprunte largement au registre et au répertoire diffusé en France par la psychanalyse lacanienne qui tente de se distinguer de l’idéal freudien adaptatif (« aimer et travailler », accroître sa « maturité »), conformisme stigmatisé « d’américain » qui menace toujours d’être importé, alors que c’est une norme centrale du freudisme qui s’est accommodée de toutes les institutions de contrôle social de la PJJ à la pédiatrie, en passant par la psychiatrie. On retrouve donc dans le texte le système de jugement qui fait de la psychanalyse une instance souveraine, critique et complexe oeuvrant pour l’émancipation véritable, alors que les psychothérapies et ses représentants un peu attardés sont brocardés pour leurs simplifications ( l’effet « case »), l’absence d’esprit critique et leur collusion avec le pouvoir dominant ou le néolibéralisme triomphant : l’humanisme affectif, la quête de la maturité et l’utilitarisme favorisent donc l’aliénation et le risque principal est la dépolitisation des conflits sociaux [6]. Dans sa préface, l’auteur en appelle ainsi à une tradition universitaire « plus critique » et qui prend en considération les « conflits ».

Or, en appréhendant son objet « par le haut » (l’évolution des valeurs individualistes, la psychologisation, l’éthique véhiculée par les manuels, etc.) et « par le bas » (la partie III étant une étude de cas d’un cabinet de conseil international qui veut en partie illustrer les propos de l’auteur sur le pouvoir euphémisé du management individualisé [7]) la composition du texte révèle une « harmonie préétablie » entre ces deux échelles organisées autour de généralités [8], de truismes [9] et de lassantes répétitions qui dit combien l’auteur veut se montrer « critique ». Malheureusement, l’auteur ne reconstitue pas ce qui pourrait pourtant s’avérer essentiel pour comprendre le succès du développement personnel dans l’entreprise et, au-delà, du travail comme problème de santé mentale, favorisant le contrôle des employés ou, au contraire, les dotant d’un langage politique : la genèse et la structuration d’un marché de la formation professionnelle et de l’intervention psychologique sur les conditions de travail, de longues dates investies par les psychanalystes et les psychosociologues qui véhiculent et font commerce de leurs propres normes... C’est la rupture de cet équilibre favorable à un segment de ce champ qu’il serait tout à fait intéressant d’analyser pour comprendre aussi la défaite, peut-être provisoire, d’une conception de l’homme au travail.

NOTES

[1Anthropologue, chercheur postdoctoral au CNRS et membre de L’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux, (IRIS, EHESS, Paris). Son blog, consacré à l’anthropologie politique de la santé mentale, est référencé sur Liens socio : http://www.sleze.fr.

[2Les professionnels de la santé mentale investis dans ce domaine ont des approches différentes de ces problèmes. La psychodynamique du travail parle de « souffrance au travail », la victimologie appliquée au travail se concentre sur les traumatismes, Les épidémiologues et les préventeurs développent des outils de mesure et de diagnostic des « risques psychosociaux » ( incluant le stress, les dépressions et les risques de suicide).

[3Par exemple dans le cas des suicides en série au travail chez France Telecom.

[4Le “mouvement du potentiel humain”, marqué par les expériences de contre-culture, s’est développé sur la cote ouest américaine des années 60 en réaction à la psychothérapie dominante alors sur le cote Est et sa mecque new-yorkaise : la psychanalyse. Centrée sur le corps, les émotions et les relations de groupe, valorisant la briéveté, le présent et l’efficacité, ce type de technologie de subjectivation voulait contribuer à la libération de toute les capacités positives des individus. Les différentes composantes de ce mouvement se sont progressivement routinisées formant un faisceau de psychothérapie, allant de la gestalt therapie au cri primal, visant le “développement personnel”. Ce mouvement s’installe en France dès 1973 et trouve une niche grace à la formation continue et l’intervention dans les entreprises.

[5Lise Démailly, Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activités professionnelles relationnelles, Presse Universitaire du Septentrion, Coll. « Sociologie », 2008. Voir mon compte-rendu pour liens socio : http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=4432

[6L’usage de la psychologie peut pourtant être utilisée pour repolitiser les conflits sociaux comme le montre, par exemple, Emmanuel Renault, Souffrances sociales, Paris, La découverte, 2008.

[7On y trouve en fait un contrôle social assez classique, diffus et transversal, en quête de consensus où chachun est sous le regard (et le jugement) de ses pairs, et qui se développent dans tous les groupe qui valorisent un fonctionnement idéal de « communauté ». Les outils de « feedback », comme le 360 °, ne font que renforcer ce contrôle social qui, de fait, s’intériorise.

[8Outre le recours à des processus généraux comme « individualisation » et « psychologisation génarale du management » (p. 112), on trouve dans le texte des concepts issus de la psychosociologie telle que « norme d’internalité », p. 113 ; « imaginaires collectifs », « contrat narcissique, p. 121 ; ainsi que des aménagements de la pensée de Michel Foucault : pouvoir pastoral « narcissique », p. 159.

[9Ce type de management est adaptation à des normes sociales « en phase avec l’idéologie libérale » (p. 160), s’inscrit dans les « organisations dite manageriale » (p. 163), son succès est lié à son utilité et efficcaté revendiqué, il est exercice d’un pouvoir intériorisé, psychologique et morale, etc.

Note de la rédaction

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