Par Benoît de L’Estoile [1]
Les hommages qui s’accumulent dans le monde entier depuis l’annonce du décès de Claude Lévi-Strauss témoignent de l’audience internationale acquise par celui-ci, bien au-delà de la seule discipline anthropologique à laquelle son nom était associé. Parmi d’autres, les nécrologies rédigées par deux anthropologues britanniques connaissant bien la France, Maurice Bloch et Adam Kuper, sont particulièrement suggestives. Elles soulignent toutes deux son appartenance à la catégorie « intellectuel français », aux côtés d’autres figures aujourd’hui disparues, de Sartre à Bourdieu, de Foucault et Lacan à Derrida. Lévi-Strauss apparaît en effet comme un représentant éminent de cette catégorie, non seulement en raison du rôle dominant qu’il joua dans l’anthropologie française de la seconde moitié du XXème siècle, mais aussi des très nombreuses marques publiques de reconnaissance qu’il avait accumulées, depuis son élection à l’Académie Française et son entrée dans la collection de la Pléiade, jusqu’à son rôle de figure tutélaire du musée du quai Branly, avec le soutien sans faille qu’il apporta au projet de Jacques Chirac. Son choix de funérailles dans la plus stricte intimité rend par contraste plus frappantes encore les grandioses commémorations de son centenaire, qui constituèrent une forme d’apogée, érigeant de son vivant un monument national au « dernier des grands intellectuels ».
Peut-être déroutés par la dénégation qui ouvre le plus fameux des récits de voyage du XXème siècle, Tristes Tropiques (« Je hais les voyages et les explorateurs »), rares sont les commentateurs à avoir noté que c’est paradoxalement en quittant la France que Lévi-Strauss devint un intellectuel français ! Pourtant, l’originalité de l’œuvre de Lévi-Strauss tient, pour une part essentielle, au fait qu’il fut voyageur et explorateur.
Outre les missions qu’il réalisa pour le compte de l’Unesco en Inde et au Pakistan, et les nombreuses invitations que lui valut la reconnaissance de son œuvre, deux étapes furent déterminantes dans son parcours : le Brésil et New York.
Comment on devient (ou non) ethnologue ?
Jeune professeur de philosophie au lycée de Laon, Lévi-Strauss reçut un matin de novembre 1934 un coup de téléphone du sociologue Célestin Bouglé, directeur de l’Ecole normale supérieure, lui proposant de partir enseigner la sociologie durkheimienne à l’Université de São Paulo, ce qui lui permettrait de se livrer à l’ethnographie (« Les faubourgs sont remplis d’Indiens, vous leur consacrerez vos week-ends »). L’anecdote, racontée avec saveur par Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, appartient au folklore de l’anthropologie. Elle invite aussi à interroger ce qu’elle révèle des rapports entre choix individuel et opportunités offertes par les institutions.
S’il est un héritage du structuralisme qui est aujourd’hui devenu patrimoine commun des sciences sociales, c’est bien la substitution d’une conception relationnelle, que Lévi-Strauss avait lui-même empruntée à la linguistique saussurienne, à une conception essentialiste : ce qui définit l’identité d’un élément, c’est la relation qu’il entretient avec l’ensemble des autres éléments d’un système. Cette intuition, qui inspira bien des travaux, a notamment été développée par Pierre Bourdieu, qui définit un temps sa démarche comme un « structuralisme génétique » [2]. C’est dans cette lignée qu’on peut chercher à comprendre la singularité de Lévi-Strauss, non pas en tentant de cerner ce qui serait le cœur de sa pensée, mais en reconstituant sa trajectoire en lien avec les transformations des divers espaces intellectuels et sociaux où elle s’est réalisée, en la comparant systématiquement avec celle de ses contemporains.
A défaut de pouvoir réaliser ici une telle analyse, on peut l’esquisser en comparant la trajectoire de Lévi-Strauss avec celle d’un autre jeune philosophe de la même génération, Raymond Polin, qui, proche initialement, prit une toute autre orientation. De deux ans plus jeune (né en 1910), R. Polin, fils d’instituteur de province, entre à l’école normale supérieure en 1931, l’année où Lévi-Strauss est reçu à l’agrégation de philosophie. Agrégé de philosophie en 1934, il est de 1935 à 1938 l’assistant de Bouglé au Centre de documentation sociale de l’ENS (dont Raymond Aron était alors secrétaire). Il suit à l’Institut d’ethnologie les cours de Marcel Mauss, dont il dira avoir été « le meilleur élève ». C’est à lui qu’est confié le chapitre consacré à l’ethnologie dans un ouvrage présentant les Sciences sociales en France (1937). Il est en 1938 professeur de philosophie au lycée de Laon, quatre ans après Lévi-Strauss. Peu après la soutenance de sa thèse, il devient dès 1945, professeur de philosophie à l’université de Lille, puis à la Sorbonne. Couronnement d’une carrière « académique » à tous égards, il est élu en 1981 à l’Académie des Sciences morales et politiques, rejoignant ainsi, huit ans après Lévi-Strauss, l’Institut de France.
Le rapprochement entre ces deux trajectoires suggère une question : pourquoi Polin, qui dans ses années de formation fréquenta davantage les sociologues et ethnologues que Lévi-Strauss, se détourna-t-il des sciences sociales pour devenir spécialiste de philosophie morale et politique ? Une hypothèse est que l’investissement dans l’ethnologie, discipline pour laquelle il n’existait alors pas de carrière, constituait pour Polin un choix plus risqué que la voie philosophique classique. En revanche, pour Lévi-Strauss, qui n’était pas passé par la « voie royale » de l’Ecole normale, la probabilité d’obtenir un poste à l’université était faible. Pour échapper à la perspective, quelque peu morose pour un fils d’artiste parisien, de finir sa carrière de philosophe au lycée, il fallait nécessairement prendre des risques, à la fois intellectuels et de carrière. L’offre de devenir professeur d’université au Brésil constituait donc une chance inespérée de changer de voie.
Le Brésil, « l’expérience la plus importante de ma vie »
L’invitation faite à une « mission française » d’occuper les chaires de sciences humaines et sociales de la nouvelle université de São Paulo, créée en 1934 par les élites de ce qui était alors en train de devenir la capitale économique du Brésil, offrait à de jeunes professeurs de lycée (c’était le cas aussi du philosophe Jean Maugüé, de l’historien Fernand Braudel ou du géographe Pierre Monbeig) une opportunité qui allait se révéler décisive pour leur carrière. Le Brésil permettait à ces jeunes agrégés une véritable promotion : Lévi-Strauss dira sa fierté de pouvoir acquérir une Ford, « symbole de réussite sociale » [3].
D’après son récit dans Tristes Tropiques, Lévi-Strauss s’intéressa moins au Brésil contemporain qu’aux traces des mondes indiens disparus. Parcourant en 1935 Rio de Janeiro, il tente de faire abstraction de la capitale moderne du Brésil en s’identifiant avec l’auteur du Voyage faict en la terre du Brésil, qui y débarqua en 1557 : « Je foule l’Avenida Rio Branco où s’élevaient jadis des villages tupinamba, mais j’ai dans ma poche Jean de Léry, bréviaire de l’ethnologue ».
A São Paulo, Lévi-Strauss se lie aux milieux littéraires et intellectuels modernistes, notamment grâce à son épouse Dina, également agrégée de philosophie, qui devient secrétaire de la société d’ethnographie et de folklore. Il découvre la littérature ethnographique sur les Indiens du Brésil, depuis les travaux des missionnaires jusqu’aux enquêtes patronnées par le Service de Protection des Indiens.
Partageant le diagnostic alors répandu au Brésil selon lequel les cultures indigènes étaient condamnées à une mort inéluctable par la « civilisation », Lévi-Strauss organise des expéditions « pour recueillir ce qui subsiste encore, et qui disparaîtra bientôt ». Fin 1935, profitant des congés universitaires, le couple part ainsi en expédition dans le Mato Grosso, rendant notamment visite aux groupes Bororo et Caduveo, y collectant objets, photographies, films et réalisant diverses observations. Ils pratiquent le modèle d’expédition ethnographique itinérante, fondée sur la collecte, qui devient dans les années 1930 la norme en France, en lien avec le rôle nouveau du musée d’ethnographie. Celui-ci ambitionne d’être le cœur d’une discipline en plein renouvellement, appelée par ses promoteurs ethnologie [4]. Ces expéditions étaient suivies d’une exposition du « butin scientifique » recueilli.
- Claude Lévi-Strauss photographie un indien Nambikwara montrant la technique du tir à l’arc (Mato Grosso, Brésil, 1938)
- cliché Luiz de Castro Faria, coll. MAST, Rio de Janeiro.
C’est ainsi que Lévi-Strauss revendiqua l’honneur de présenter « la première exposition du Musée de l’Homme », alors même que celui-ci est en construction (il sera inauguré en 1938) [5]. « Les Bororo sont des sauvages romantiques, et le chemin qui conduit vers eux l’est aussi », écrit-il alors, évoquant « une atmosphère de Peaux-Rouges » qui rappelle les films d’Hollywood. Cette expédition permet à Lévi-Strauss d’obtenir son « brevet d’ethnographe » auprès de Paul Rivet, le créateur du musée de l’Homme, et de Marcel Mauss.
Cette reconnaissance lui permet de lancer l’année suivante, avec l’appui du musée de l’Homme, une seconde expédition, beaucoup plus importante : elle mobilisa, outre les quatre membres de l’expédition, une dizaine d’hommes, deux camions, vingt mulets et trente bœufs chargés de deux tonnes de matériel et trois tonnes de vivres. Sa préparation donna lieu à d’intenses négociations avec le Conseil de surveillance des expéditions artistiques et scientifiques au Brésil, établi dans le but de contrôler le territoire et le patrimoine brésiliens. Celui-ci imposa à Lévi-Strauss l’adjonction d’un jeune naturaliste du Musée National, Luiz de Castro Faria. Il était chargé de surveiller l’expédition et les contacts avec les Indiens, dont certains n’étaient pas encore « pacifiés », c’est-à-dire échappaient au contrôle de l’Etat brésilien engagé dans un processus de colonisation interne. Les relations avec son collègue brésilien ne furent pas placées sous le signe de la réciprocité : « L’individualisme absolu est la norme de notre activité », note celui-ci dans son journal [6].
C’est essentiellement dans la « zone de contact » entre société brésilienne et Indiens, autour des postes de la ligne télégraphique établie quelques années plus tôt par l’armée brésilienne pour contrôler ces territoires reculés, que se passe l’enquête. Par définition, les Indiens les plus « sauvages » sont inaccessibles parce que non pacifiés. Lévi-Strauss, parti à la recherche des derniers représentants du « Bon Sauvage », découvrit que toute ethnographie est nécessairement une ethnographie du contact, dans la mesure où la présence d’un observateur impliquait nécessairement l’existence de relations entre société autochtone et société englobante. Il en garda pourtant le sentiment d’avoir fait l’expérience d’une altérité radicale. Cette expérience, même si elle n’obéissait pas aux normes de l’immersion prolongée qui s’imposeront plus tard, fut pour lui un puissant aiguillon pour lire tout ce qui avait été écrit sur les Amérindiens afin de comprendre ce qui faisait leur singularité.
C’est sur fond d’une forte asymétrie que s’inscrit le séjour de Lévi-Strauss dans les années 1930 : la science française jouit alors d’un grand prestige auprès d’institutions universitaires balbutiantes. Les expéditions ethnographiques au Brésil sont pour une bonne part réalisées pour le compte de musées européens ou nord-américains. Les tentatives encore timides d’affirmation par l’Etat brésilien de sa souveraineté sur son patrimoine constituent un début de transformation de cette relation inégale.
Aujourd’hui, les anthropologues brésiliens entretiennent avec l’œuvre de Lévi-Strauss une relation décomplexée, combinant regard critique et revendication d’une inspiration continue, en particulier pour nombre de ceux qui travaillent sur les Amérindiens. Hors de France, c’est sans doute parmi eux que l’héritage de Lévi-Strauss est aujourd’hui le plus vivant (on peut citer, parmi d’autres, Manuela Carneiro da Cunha, Eduardo Viveiros de Castro ou Carlos Fausto), au sein d’un paysage anthropologique à la fois dynamique et diversifié.
Il est tentant d’attribuer cette présence aux graines semées par Lévi-Strauss dans son enseignement à São Paulo. En réalité, Lévi-Strauss n’a pas laissé de disciples au Brésil. Si Manuela Carneiro da Cunha fit sa thèse avec lui, ce fut bien plus tard, en France. C’est à la fin des années 1960 que l’œuvre de Claude Lévi-Strauss entrera dans les débats théoriques brésiliens, à la suite d’enseignants venus de Harvard participer à la mise en place des premiers programmes de troisième cycle en anthropologie sociale, au Musée national de Rio de Janeiro [7]. Comme dans la propre trajectoire de Lévi-Strauss, le détour par les Etats-Unis a été une étape nécessaire à l’éclosion structuraliste.
New York, berceau du structuralisme
C’est pour échapper à la conception vichyssoise de l’identité nationale, qui interdisait aux juifs l’accès aux postes d’enseignement, que Lévi-Strauss s’embarqua en 1941 pour les Etats-Unis, grâce à l’invitation de la Fondation Rockefeller [8]. C’est dans la confrontation avec les recherches développées aux Etats-Unis par des chercheurs américains ou des exilés européens que Lévi-Strauss développa sa propre pensée.
A New York, il découvre l’anthropologie culturelle nord-américaine, rencontrant le vieux Franz Boas juste avant son décès et ses élèves. Lecteur acharné, il acquiert la maîtrise d’une littérature ethnographique considérable, qui constituera la matière de sa thèse comparative sur les Structures élémentaires de la parenté (1949).
Lévi-Strauss a longuement évoqué le rôle décisif de sa rencontre, à l’Ecole libre des Hautes Etudes, créée par des émigrés de langue française, du linguiste russe Roman Jakobson, qui lui fit découvrir l’analyse structurale et les travaux du Cercle de Prague. C’est donc à New York que prit forme le projet structuraliste, qui ambitionnait d’élucider la complexité des cultures humaines en leur appliquant les principes de la linguistique scientifique [9].
Gaulliste de gauche, comme ses collèges du musée de l’Homme Rivet ou Jacques Soustelle, Lévi-Strauss passe l’hiver 1944 dans la France libérée, puis repart à New York début 1945 en qualité d’attaché culturel.
C’est fort de tout ce qu’il a accumulé au cours de ses voyages au long cours que Lévi-Strauss revient en France, où il n’obtient que tardivement un poste permanent, d’abord dans les marges du système universitaire, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (en 1950), puis au Collège de France, qui lui donnera enfin une assise institutionnelle. Au cours des années qui suivent, Lévi-Strauss, enraciné dans une tradition philosophique française qu’il aimait faire remonter à Montaigne et Rousseau et pratiquant un droit d’inventaire sur l’héritage de la sociologie durkheimienne, redéfinit la discipline, notamment en important notions et méthodes et en les acclimatant avec succès. Il emprunte ainsi aux pays anglophones le terme d’« Anthropologie sociale et culturelle » pour qualifier le domaine de savoir qu’il revendique pour sien, le substituant à celui d’ethnologie par lequel Paul Rivet entendait désigner la nouvelle Science incarnée par le musée de l’Homme. Ce terme lui permit en même temps de s’inscrire dans la filiation de l’anthropologie au sens philosophique.
Explorateur, Claude Lévi-Strauss l’était au sens où il fit toujours preuve d’un intérêt considérable pour des domaines nouveaux plus que pour les sentiers battus. Tout au long de sa carrière, sa curiosité pour ce qui se passait au-delà des frontières, qu’elles soient nationales ou disciplinaires, le porta à réaliser des transferts qui ouvrirent autant de de pistes nouvelles, parfois hasardeuses, mais souvent stimulantes.
Son attention aux nouveaux courants de recherche surgissant aux Etats-Unis, telles la théorie mathématique de la communication (Shannon), la « théorie des jeux » de von Neumann et Morgenstern ou encore la cybernétique furent pour lui une source d’inspiration, parfois peu visible pour les non-spécialistes. Ainsi en est-il de la fameuse opposition entre « sociétés froides », qui refusent l’histoire, et sociétés « chaudes » comme la nôtre : les sociétés qu’étudie l’ethnologue, comparées (...) à nos grandes sociétés modernes, sont un peu comme des sociétés « froides » par rapport à des sociétés « chaudes » (...). Ce sont des sociétés qui produisent extrêmement peu de désordre, (...) et qui ont une tendance à se maintenir indéfiniment dans leur état initial [10].
Dans cette première formulation, les sociétés « froides » obéissent au modèle de ce que Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique [11], appelait des systèmes homéostatiques, c’est-à-dire des systèmes contrôlés par un mécanisme de « feedback négatif », maintenant le système en état d’équilibre, alors que les sociétés « chaudes » ou cumulatives ont les caractéristiques des systèmes caractérisés par un processus de « feedback positif », qui conduit à amplifier un phénomène, produisant un désordre fatal (entropie) [12].
Jusque dans ses dernières années, Lévi-Strauss continua non seulement à lire les travaux de ses collègues plus jeunes [13], en particulier portant sur les Amérindiens, mais aussi à discuter dans l’Homme, revue qu’il avait fondée, les ouvrages qu’il jugeait importants. Ses comptes-rendus témoignent qu’il n’avait rien perdu ni de sa capacité d’enthousiasme (par exemple à propos de l’Enciclopedia da Floresta), ni de sa verve polémique (voir sa critique de la Cambridge History of the Native Peoples of the Americas).
Décentrer le regard
En un moment où beaucoup s’interrogent avec inquiétude sur la perte d’influence de la culture et de la pensée française dans le monde, il est utile de relire ce qu’écrivait en 1947 Lévi-Strauss, alors attaché culturel à New York, qui peut apparaître comme un bilan de ses expériences à l’étranger. Il en appelait non pas un enfermement dans une vision auto-centrée, mais une pratique de coopération culturelle fondée sur le respect et la réciprocité : « Une saine politique des relations culturelles consiste, à mes yeux, à provoquer les éloges et l’admiration de nos amis étrangers, mais à leur laisser ce soin. (...) Ce n’est pas en proclamant que la peinture est un art spécifiquement français ou que la littérature française contemporaine est la première du monde que nous persuadons le public de ces vérités » [14].
La reconnaissance ultérieure de Lévi-Strauss hors de nos frontières prouva la justesse de cette thèse.
Si Lévi-Strauss pouvait, au soir de sa longue vie, apparaître comme « intellectuel français » par excellence, c’est cet alliage peu commun entre une formation philosophique française classique, son expérience brésilienne et son appropriation, à partir de son séjour aux Etats-Unis, de diverses traditions européennes et américaines, qui donna à son œuvre sa puissante originalité.
Entre 1935 et 1948, années décisives pour la genèse de son œuvre, Lévi-Strauss fut pour l’essentiel un émigré, ne séjournant en France que de façon temporaire.
Autrement dit, la trajectoire, au sens le plus littéral, de Claude Lévi-Strauss, démontre que le plus court chemin du lycée de Laon au Collège de France et à l’Académie Française passe par le Brésil et New York. Elle souligne aussi le rôle essentiel de la confrontation à d’autres modes de pensée, en particulier grâce à des séjours de longue durée à l’étranger, dans le processus de créativité intellectuelle. Si pour Claude Lévi-Strauss , c’est le « regard éloigné » qui fait « l’essence et l’originalité de l’approche ethnologique », son parcours suggère que le décentrement du regard produit par les voyages permet en retour de voir plus loin.
Benoît de L’Estoile