Depuis la contribution majeure de William Gamson au début des années 1990 , la manière dont les citoyens « ordinaires » « parlent politique », et plus largement les diverses formes de « participation discursive » , suscitent l’intérêt grandissant des chercheurs. Un tel intérêt s’inscrit dans un contexte socio-politique de développement, sous la houlette d’une grande variété d’autorités publiques, de démarches, procédures et dispositifs sollicitant la capacité des citoyens à prendre la parole et à discuter de questions qui engagent l’avenir de la collectivité, ces démarches ayant pour corollaire une certaine reconnaissance de formes d’argumentation et de savoirs différentes de celles qui prévalaient jusqu’ici dans l’univers politique et administratif . Parallèlement, les diverses formes d’activités associatives et protestataires (manifestations, pétitions, grèves, etc.), le poids des mouvements sociaux, critiques à l’égard du système représentatif de gouvernement, la multiplication des espaces individuels d’expression publique des opinions, facilitées notamment par les technologies de l’information et de la communication (blogs, « journalisme citoyen ») témoignent de l’intérêt des citoyens, ou d’une partie d’entre eux, pour la chose publique et pour l’invention de nouvelles formes d’action politique.
Les technologies de l’information et de la communication, et plus particulièrement Internet, offrent des possibilités inédites d’expression, déliées des contraintes - au moins temporelles et géographiques - habituellement attachées à l’expression en public.
Le caractère désormais poreux de la frontière séparant jusqu’alors les savoirs experts (ceux des responsables institutionnels, des techniciens de l’action publique ou des journalistes) des savoirs profanes (ceux des citoyens) ouvre une pluralité de questionnements sur les conditions et les modalités d’une démocratie « participative » ou « délibérative » De fait, les recherches récentes qui se développent sur les discussions politiques s’articulent autour de deux grands axes. Le premier interroge la discussion politique comme possible forme de délibération ; le second porte sur le rôle de la discussion, qu’elle soit ou non médiatisée, dans la politisation des citoyens. Dans les deux cas, et au-delà de la question classique de la compétence politique, repenser les rapports au politique des citoyens « ordinaires » constitue un enjeu central, qu’il s’agisse de s’intéresser à la mobilisation de leurs expériences sociales dans leur appréhension du politique , à la place du conflit dans les interactions ou au mode d’organisation et d’activation des connaissances et des savoirs sociaux .
Ce dossier consacré aux discussions politiques sur Internet - qu’elles se déroulent de manière spontanée dans des espaces libres, ou qu’elles soient promues et organisées par diverses autorités publiques et organisations partisanes, en France ou à l’étranger - propose d’enrichir la réflexion sur ces problématiques, tout en soulignant les spécificités de la parole politique en ligne.