Par Jean-François Blanchard [1]
A l’initiative de trois universitaires : Jean Cleder (littérature et cinéma), Timothée Picard (littérature et histoire des idées) et Didier Plassard (théâtre), Patrice Chéreau s’est trouvé au centre d’une série de débats, fin 2008 à Rennes 2, autour de sa carrière artistique. Celle-ci évolue entre le théâtre, le cinéma, l’opéra en passant de l’un à l’autre avec évidence et fluidité, et laisse une empreinte forte sur les pratiques : un style.
Le livre « Patrice Chéreau : Transversales - Théâtre, cinéma, opéra », paru en octobre 2010 chez l’éditeur « Au bord de L’eau » (33 - Lormont) propose un ensemble de minutes : tables rondes, entretiens, témoignages, captations filmées de répétitions, photographies qui permettent au lecteur, par une somme de regards et de points de vue croisés, d’approches comparées, de comprendre ou de percevoir la démarche artistique de Patrice Chéreau. Sa production, initiée précocement, est riche de près de cinquante années d’expériences en qualité d’acteur, metteur en scène, réalisateur ou scénariste dans les trois disciplines.
Le lecteur familier de l’œuvre de Chéreau fera son miel de ce corpus, et verra s’offrir à lui de nouvelles et profitables perspectives. Pour ceux d’entre-nous, moins au fait des différentes facettes de l’œuvre, les plus nombreux sans doute tant il est vrai que les différents publics du théâtre, du cinéma et de l’opéra sont distincts l’ouvrage apportera une ouverture stimulante sur les liens entre ces différentes pratiques, susceptible de changer leur regard.
L’originalité de Patrice Chéreau vient, sans doute, de son parcours artistique et de sa formation commencés jeune, conduits librement, guidés par une curiosité insatiable et une soif d’expérience. Dans un environnement favorable (Lycée Louis Le Grand, Quartier Latin, milieu artistique) Chéreau a pu, par l’observation, les expériences, les rencontres, les opportunités mais aussi en entrant dans le jeu à différentes places : acteur, metteur en scène, technicien de plateau nourrir une expérience et un savoir sans cesse remis en cause par un questionnement itératif. Chaque donnée nouvelle observée vient interroger les acquis de l’artiste avant d’être appropriée. De rencontres cruciales avec des créateurs tels que Boulez, Planchon, Koltès... et de la fréquentation des œuvres et des styles, tel que l’expressionnisme allemand, il résulte une cohérence qui vient structurer la démarche artistique de Patrice Chéreau et que l’ouvrage se propose de mettre en lumière.
Les vingt-sept paragraphes qui organisent l’ouvrage donnent un faisceau des éléments qui interagissent dans la création élaborée : l’espace, la maïeutique de la direction d’acteurs, les corps, les tensions, la violence, le texte, les décors, l’esthétisme, le rythme …
Le livre est opportunément complété par un DVD portant deux films de Stéphane Medge. Il s’agit d’une part d’un extrait des répétitions de Dans la solitude des champs de coton, et d’autre part, de celles de Leçon de théâtre : Monologue au Conservatoire. La grammaire complexe des désirs et des sentiments mise en jeu par une proximité - non intrusive - du metteur en scène avec l’acteur, vient se mettre en rapport avec l’action.
Ce document réalise son ambition qui est d’analyser pourquoi, et en quoi Patrice Chéreau marque ainsi ses contemporains : l’approfondissement du travail de comédien, la relecture d’œuvres, le jeu d’acteur à l’opéra ne sont que quelques éléments parmi d’autres. Ses propos sont pédagogiques, et le lecteur y perçoit tout à la fois la détermination du créateur et la retenue de l’homme.
