Par Elise Roullaud [1]
Penser les mouvements sociaux n’est pas un nouveau manuel qui dresserait le panorama des diverses théories portant sur l’action collective [2]. En effet, les auteurs [3] de cet ouvrage prennent le parti de s’arrêter sur le paradigme de la contentious politics [4] qui domine largement ce champ d’étude en reprenant les outils analytiques développés par les tenants de cette approche. Les chapitres s’articulent donc autour des concepts clés de ce paradigme tels que le « répertoire d’action » (O. Fillieule), la « structure des opportunités politiques » (L. Mathieu), celui des « organisations et des ressources » (E. Pierru) ou bien encore les « cadrages » (J-G. Contamin). Les questions de la transnationalisation des mouvements sociaux (J. Siméant) ainsi que de leur diffusion (I. Sommier) sont également développées. A ces classiques des études sur les mouvements sociaux, des contributions développant des axes d’analyse plus originaux viennent s’ajouter, comme celle d’Isabelle Sommier sur la « dimension affectuelle » des mobilisations collectives ou bien celle sur l’identité collective de Michael Voegtli.
Car tel est l’intérêt premier de cet ouvrage : les auteurs dressent un bilan critique du paradigme dominant de la contentious politics, à l’heure où celui-ci semble avoir atteint ses limites, tout en s’efforçant d’en tirer de nouveaux agendas de recherche. Le deuxième point fort de cet ouvrage collectif est d’offrir au lecteur un panorama large et diversifié, tant du point de vue des méthodes que des terrains, des recherches portant sur les mobilisations collectives. Cela se retrouve notamment dans la bibliographie finale, outil fort utile pour toutes personnes s’intéressant à ce sujet. Il est d’ailleurs à noter qu’une large place est donnée à la littérature française la plus récente. Face à la domination des Anglo-saxons (« l’industrie lourde de la recherche anglo-saxonne » p. 10), les auteurs défendent la particularité méthodologique et l’originalité des objets d’étude des recherches [« artisanales » p. 10] françaises. En privilégiant les approches qualitatives aux quantitatives, les chercheurs français permettraient « d’explorer réellement de nombreuses pistes esquissées en théorie mais peu investies en pratique » (p. 10). Nous l’aurons compris, Penser les mouvements sociaux est également un moyen d’affirmer la place et le positionnement des travaux français dans ce domaine d’étude.
Les sept premiers chapitres sont consacrés aux concepts clés du paradigme de la contentious politics susmentionnés. L’on peut légèrement regretter que certains propos tenus dans ces chapitres soient déjà connus dans la mesure où les auteurs reprennent les arguments critiques qu’ils ont pu développer dans d’autres publications [5]. Néanmoins, le regroupement de ces contributions dans un même ouvrage leur permet de dialoguer et de retirer des pistes de réflexions méthodologiques convergentes : l’analyse doit laisser une place importante à une contextualisation fine des actions observées ainsi qu’à la perception des acteurs. Dans leur contribution, Didier Chabanet et de Marco Giugni font un retour éclairant sur les conséquences des mouvements sociaux en les différenciant selon leur type d’impact : les conséquences politiques, culturelles et celles sur les acteurs des mouvements sociaux.
Les six dernières contributions se focalisent sur des approches qui ont été peu abordées par la contentious politics. O. Fillieule et B. Pudal reviennent sur les évolutions de la sociologie du militantisme en décrivant les pistes de recherche actuelles et à venir sur l’engagement. I. Sommier redonne toute sa légitimité aux émotions dans l’analyse des mouvements sociaux, dimension longtemps occultée car reléguée à l’irrationnel. L’étude de la dimension affectuelle des mouvements sociaux apporterait cependant de nouveaux éclairages sur l’entrée dans l’engagement mais également sur la constitution et le maintien d’un groupe. Ces problématiques sont également au centre de la réflexion menée par M. Voegtli sur la question de l’identité collective. Éric Agrikoliansky revient quant à lui sur les usages protestataires du droit et soulève ainsi la question des types d’acteurs et d’action jugés légitimes pour l’étude des mouvements sociaux. Question qui, à notre sens, est au cœur du renouvellement de cette sous-discipline. Le rôle des médias dans les mobilisations collectives est analysé par Erik Neveu en déconstruisant les rapports qu’entretiennent ces derniers avec les acteurs des mouvements sociaux. En ouverture, il interroge le poids d’internet dans le renouvellement de l’action collective. M. Offerlé conclut cet ouvrage en invitant à une pratique socio-historique des mobilisations collectives.