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Peut-on être radical et pragmatique ?

Un ouvrage d’Irène Pereira (Textuel, Coll "Petite Encyclopédie Critique", 2010)

publié le mercredi 2 juin 2010

Domaine : Science politique

Sujets : Mouvements politiques et sociaux

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Par Fabrice Hourlier [1]

Nommer le monde ou une posture politique, c’est chercher à les caractériser. Radical et pragmatique sont deux mots dont les significations semblent arrêtées depuis plusieurs décennies pour désigner notamment les actions militantes. L’un renverrait à l’intransigeance et à l’idéalisme, l’autre au compromis et à la capitulation rapide en cas de rapport de force défavorable. Irène Pereira nous fait une vrai leçon de mots qui invite le lecteur à ne galvauder ni la radicalité ni le pragmatisme. Les significations qu’elle réinjecte dans l’un et l’autre mot au fur et à mesure de son ouvrage amènent subtilement le lecteur à se transformer en militant exigeant et soucieux d’efficacité.

Comme point de départ, l’auteure revient sur l’usage fréquent du terme « pragmatique » pour évoquer les luttes contestataires et le renouveau militant contemporain. Très vite, elle affirme qu’il s’agit moins pour les acteurs mobilisés de transiger avec les fins et les principes qui guident l’action militante que de chercher à obtenir des résultats concrets et significatifs, des améliorations immédiates (à la manière des actions du Droit au Logement [DAL] ou le collectif Aarrg). Agir devient alors l’occasion pratique d’exprimer des conceptions morales ou politiques mais en les adaptant à la situation.

Ce qu’est le pragmatisme est une question posée avant tout à la gauche : mène-t-il nécessairement à une droitisation et à la perte d’un horizon révolutionnaire ? Dans une première partie, l’auteure redonne à voir le débat à ce propos qui existait entre Proudhon, Marx et Bakounine. Le premier défendait la mise en place d’alternatives expérimentales (coopératives de production et de crédit) plutôt qu’une simple insurrection qui fournirait au capitalisme une nouvelle force « en faisant une Saint-Barthélémy des propriétaires ». Ces expériences permettaient par ailleurs de mettre à l’épreuve la validité de la théorie révolutionnaire et notamment tout ce qui concerne l’auto-organisation économique de la société. Marx critiquait cette révolution gradualiste en analysant que les conduites humaines étaient conditionnées par le cadre de la propriété privée. Par conséquent, c’est la rupture radicale avec ce fondement qui était nécessaire. Pour l’auteur, Bakounine est celui qui opère la synthèse entre ces deux approches : il reconnaît la lutte des classes qu’occasionne la propriété privée des moyens de production, il défend l’auto-organisation des travailleurs et prône la rupture révolutionnaire dans l’action syndicale. La présentation des débats politiques au début du vingtième siècle se poursuit en revenant sur les critiques léninistes, gauchiste ou trotskistes.

Après ce détour historique, Irène Pereira dessine tout au long de la deuxième partie les contours d’une « radicalité pragmatique ». Celle-ci est la conjonction entre un attachement à des principes forts et l’adaptation à la situation. Selon ces principes premiers, les inégalités ont de multiples origines : la propriété privée, mais aussi le patriarcat, l’existence de l’Etat, l’absence de prise en compte de l’écologie ou le racisme. Ces principes guident aussi l’action : la mise en application d’un principe comme l’autogestion permet de favoriser dans les mouvement sociaux les décisions au consensus ou l’unanimité même si le vote majoritaire peut être parfois utilisé ou encore de valoriser l’autonomie d’une cellule de base sans perdre de vue les concessions à faire pour converger vers les objectifs d’une structure fédérale. Cette mise en œuvre pragmatique permet d’expérimenter et de construire une intelligence collective plutôt que de se conformer à la vérité d’une avant-garde éclairée. La démocratie devient alors aussi bien une fin qu’un moyen.

Une autre forme de pragmatisme consiste à se demander si la fin poursuivie est compatible avec une amélioration immédiate des individus mobilisés ou si elle entraîne pour être mise en œuvre des dommages importants. Elle cite l’exemple d’une défense de l’emploi fonctionnaire qui peut parfois aboutir au renvoi des vacataires dans la Fonction Publique. De mon point de vue, Irène Pereira rappelle une saine préoccupation de base en matière d’action politique : comment obtenir des résultats significatifs conformes à des principes ? A rebours des luttes « pour le principe » perdues d’avance ou désespérées (ou le militant se « sacrifie »), elle nous invite à nous recentrer sur les gains que doivent apporter les actions collectives que ce soit dans l’action ou au terme de l’action. Le livre arrive comme une réponse à la thèse de Mona Chollet dans « rêves de droite » concernant l’impasse d’un militantisme de gauche christique ou la rétribution n’intervient jamais ou alors dans un futur très lointain et dont les pratiques sont souvent en contradiction avec les principes au nom de l’efficacité de la lutte.
Toutefois, on est moins convaincu par l’affirmation selon laquelle il n’y aurait pas de différence entre une révolution gradualiste ou rupturiste puisque la première arriverait à la seconde par « d’imperceptibles discontinuités ».

Au final, l’auteure réussit de façon convaincante à convertir le lecteur à sa définition du pragmatisme concernant les luttes collectives. Celles-ci doivent apporter quelque chose aux participants que ce soit aussi bien dans l’expérimentation de leur idéologie, dans la satisfaction dans l’action (on pense à l’effet surgénérateur de Daniel Gaxie) que dans les acquis économiques et sociaux sur lesquels elles peuvent déboucher.

NOTES

[1professeur de sciences économiques et sociales au lycée français de Varsovie. Doctorant en sociologie au Centre de Sociologie Européenne

Note de la rédaction

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