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Pratiques et méthodes de la socio-histoire

Un ouvrage sous la direction de François Buton et Nicolas Mariot (Presses universitaires de France, coll. "Curapp", 2009, 217 p., 15€)

publié le mercredi 22 juillet 2009

Domaine : Epistémologie, méthodologie , Histoire , Science politique

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Par Igor Martinache

La socio-histoire ne se résume pas au dialogue, certes heureux [1], entre deux disciplines académiques - sociologie et histoire, auxquelles il faudrait d’ailleurs adjoindre la science politique-, mais constitue une démarche à part entière, outillée d’une démarche méthodologique propre et de présupposés théoriques forts. Rappelant notamment le rôle majeur joué par Norbert Elias dans son développement, Gérard Noiriel, qui compte avec Michel Offerlé parmi ses principaux représentants en France, a présenté celle-ci dans un bref mais néanmoins stimulant manuel d’introduction : « La sociologie est née à la fin du XIXe siècle, en développant la critique d’une autre forme de réification, inscrite celle-ci dans le langage, qui consiste à envisager les entités collectives (l’entreprise, l’État, l’Église, etc.) comme s’il s’agissait de personnes réelles. L’objet de la sociologie est de déconstruire ces entités pour retrouver les individus et les relations qu’ils entretiennent entre eux (ce que l’on appelle le lien social). La socio-histoire poursuit le même objectif, mais elle met l’accent sur l’étude des relations à distance. Grâce à l’invention de l’écriture et de la monnaie, grâce aux progrès techniques, les hommes ont pu nouer entre eux des liens dépassant largement la sphère des échanges directs, fondés sur l’interconnaissance. Des « fils invisibles » relient aujourd’hui des millions de personnes qui ne se connaissent pas. Le but de la socio-histoire est d’étudier ces formes d’interdépendance et de montrer comment elles affectent les relations de face-à-face » [2]. Dans le cas particulier de la science politique, il s’est ainsi en particulier agi pour les « socio-historiens » de tracer une troisième voie - expression, qu’on le pardonne, largement galvaudée - entre la philosophie politique et l’histoire du politique accordant une trop grande primauté à la « décision » d’individus occupant les positions de pouvoir. C’est cette insertion que retrace par ailleurs François Buton dans sa contribution.

Cet ouvrage collectif ne constitue pas pour autant un manifeste en faveur d’un « paradigme » socio-historique, mais le fruit d’une série de rencontres scientifiques organisées entre 2002 et 2005, et en particulier d’un séminaire mensuel dont le présent volume tire son titre. Les oratrices et orateurs étaient ainsi invités à évoquer non seulement leurs travaux de recherche, mais aussi et surtout la démarche mise en œuvre pour les réaliser. Car l’ambition socio-historique n’est pas exempte d’interrogations et de contradictions, que François Buton et Nicolas Mariot exposent en introduction, reprenant notamment les critiques émises par Pierre Favre [3]. Dans une contribution au ton très personnel, Gilles Laferté revient donc sur sa propre trajectoire de recherche concernant les interdépendances sociales autour de la production viticole en Bourgogne. Il n’hésite ainsi pas à faire part de sur ses propres tâtonnements dans la mise en œuvre de cette approche d’« ethnographie historique », consistant à « regard[er] le passé d’abord par l’interconnaissance, l’interaction [et] la multiappartenance [et ne] retrouvant qu’en fin de parcours les institutions » (p.63), et évoque par exemple sa perplexité face aux premiers cartons d’archive et les petits outils qu’il a rapidement forgés par lui-même - en l’occurrence des fiches bibliographiques complétées au hasard des archives dépouillées.

Renault Payre, qui travaille pour sa part sur l’institutionnalisation de la science administrative comme science de gouvernement entre les années 1910 et 1960, s’attarde dans sa contribution sur la démarche « prospective » pour rendre compte des processus d’institutionnalisation. Celle-ci consiste en substance à rompre avec l’implicite téléologique d’une histoire « rétrospective », qui consiste donc, en retraçant sa genèse, à présenter plus ou moins inconsciemment l’état actuel d’une institution comme le seul possible. Au contraire, la sociologie historique prospective, en prêtant attention aux interactions, de s’efforcer de rendre compte des possibles non advenus, à travers une démarche inductive et l’accumulation de la plus grande diversité possible de matériaux. Contre l’objection selon laquelle un tel protocole serait infaisable, la recherche de Renaud Payre - comme du reste toutes celles présentées dans cet ouvrage- est bien la preuve qu’une telle démarche, pour ardue qu’elle soit, n’en est pas moins possible.

Celle de Julian Mischi, consacrée au déclin du Parti Communiste Français, met bien en lumière la fécondité de cette démarche, par rapport aux méthodes classiques des historiens ou philosophes du politique. A partir d’une analyse localisée de l’implantation du PCF à Longwy, et surtout dans le milieu rural du marais de Brière, près de Saint-Nazaire, il donne à voir les mutations dans la manière d’être communiste et les insertions militantes dans les milieux locaux, et ce faisant apporte une vision bien plus fine que les analyses éloignées qui imputent la « crise » de cette institution à un « épuisement idéologique » ou aux vastes et imprécises mutations des structures socioprofessionnelles. Rémi Lefebvre pour sa part s’intéresse à l’institutionnalisation d’une autre organisation partisane : le Parti socialiste. Partant du postulat que celle-ci s’est en France largement opérée au niveau municipal, il propose d’analyser ce double processus - « comment les socialistes ont tenté de modifier les règles du jeu municipal et comment ces dernières les ont façonnés » (p.111) - à partir de la notion de « rôle » - entendue comme « l’ensemble des comportements, des attitudes et des discours liés à l’occupation d’une position institutionnelle ». En effet, « c’est par les rôles que les institutions prennent vie, sont habitées et deviennent sensibles (c’est-à-dire à la fois vulnérables et incarnées) [...car] les règles institutionnelles n’existent et n’ « agissent » pas indépendamment des acteurs qui les intériorisent et les approprient en les interprétant » (p.113). En l’occurrence, il s’agit du rôle attaché à la fonction de maire, à Roubaix entre 1892 et 1983, qui a constitué la trame de cet article.

Démontrant d’une autre manière encore la fécondité de l’analyse du politique en termes de « mondes » [4], Antonin Cohen retrace dans sa contribution la genèse de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, marquant la naissance de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) - ancêtre de l’Union Européenne actuelle. Il met ainsi à jour dans un premier temps les facteurs conjoncturels qui montrent bien les hésitations et va-et-vient qui conditionnent l’écriture d’un tel discours, mais également et surtout les causes structurelles, tant dans le champ politique et académique français qu’au niveau international. Ce faisant, il reconstitue les réseaux d’interconnaissances qui ont conduit à cette création institutionnelle, au-delà de la simple évocation des « grandes » figures. Il montre par exemple la position médiatrice d’un Jean Monnet, tant au niveau national - entre les champs politique, administratif, académique, et le monde des affaires- et international - avec de nombreuses relations au sein d’une nouvelle élite économique et non-parlementaire aux Etats-Unis-, a pu jouer un rôle décisif sur les débuts officiels de la construction européenne. Antonin Cohen met également l’accent sur les représentations politiques implicitement projetées dans ce plan. Reste que sur ce sujet devenu aujourd’hui sensible, les discussions académiques sont sans doute loin d’être terminées quant au rôle exact qu’ont exercé certaines personnalités au cours de cette période décisive, telles que Raymond Aron, Maurice Duverger ou les membres du groupe Esprit, par exemple, tant les visions que peuvent en donner les archives peuvent être polysémiques [5]

Dans sa contribution, Nicolas Mariot mobilise pour sa part la méthode socio-historique pour discuter les travaux portant sur l’évolution des célébrations populaires au gré des changements de régime. Alors que certains auteurs comme Olivier Ihl [6], défendent l’idée que le passage de la Restauration à la Troisième République aurait été accompagné de la transformation d’un sujet royal automate à un citoyen républicain conscient de l’interdépendance civile, Nicolas Mariot met en évidence certains aspects problématiques inhérents à l’étude d’un tel phénomène et qu’il qualifie de "paradoxe acclamatif". Il explique notamment que les institutions sociales - au sens de Durkheim - comme celle-ci ne peuvent logiquement pas avoir de première fois dans la mesure où leur statut même d’institution présuppose la préexistence de règles encadrant leur usage. En découle selon lui le fait que la démarche socio-historique ne consiste pas en une quête des origines, mais à l’étude de la manière dont « les idées finissent ou non à se durcir dans les coutumes », autrement dit, « comment des individus en viennent à « prendre le pli » de nouveaux usages » (p.188). On remarquera au passage la proximité entre un tel programme de recherche et ceux qui constituent le renouveau d’une sociologie de l’individu [7].

Gilles Pollet conclut ce volume par un article dont le titre [8] - « nul ne sait de quoi le passé sera fait » - pourrait servir de devise aux socio-historiens. C’est justement à la genèse de ce « label » - à ne pas confondre avec la démarche proprement dite- qu’est consacré son propos, revenant notamment sur l’activité de l’éphémère Association pour la Socio-Histoire du Politique (SHiP) dans les années 1990. Un exemple d’institutionnalisation avortée, encore que la démarche socio-historique continue d’inspirer un nombre croissant de travaux - comme cet ouvrage suffit d’ailleurs à rendre compte- et qui constitue de ce fait, comme ne manque pas de le remarquer Gilles Pollet, un « bel objet socio-historique » !

NOTES

[1Mettant ainsi en œuvre une transdisciplinarité qu’Immanuel Wallerstein notamment ne cesse d’appeler de ses vœux. Cf. Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des système-monde, Paris, La Découverte, 2006

[2Introduction à la socio-histoire, Paris, La Découverte, 2006, p.5

[3« Pour une évaluation plus critique des fondements de la socio-histoire du politique » in Pierre Favre et Jean-Baptiste Legavre, Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, pp.217-240

[4C’est-à-dire schématiquement que ses « productions » ne sont pas l’œuvre de « producteurs » isolés, mais présentent un caractère éminemment collectif, qui met en jeu une chaîne d’interdépendances incluant jusqu’aux « récepteus » de ces dernières. Pour une présentation de ces concepts dans le cas du champ artistique, cf. Howard Becker, Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1982

[5Pour la lecture d’une parenté étroite entre la construction européenne et celle du néo-libéralisme, cf.François Denord et Antoine Schwartz, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’Agir, 2009

[6La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996

[7Cf.François de Singly et Danilo Martucelli, Les sociologies de l’individu, Paris, Armand Colin, 2009

[8En fait emprunté au chroniqueur souvent bien inspiré du Monde Francis Marmande

Note de la rédaction

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