Faut-il brûler le modèle social français ? C’est une question à laquelle le gouvernement actuel et le patronat semblent décidés à répondre par l’affirmative, mais il s’agit aussi du titre de l’ouvrage de Dominique Méda et Alain Lefebvre, lauréats du prix lycéen du livre de sciences économiques et sociales 2007.
Lundi 31 mars, Dominique Méda était ainsi présente à Lyon, dans les locaux de l’ENS Lettres & Sciences Humaines, pour recevoir la récompense au nom du tandem d’auteurs [1] et dialoguer avec une partie des jurés - en l’occurrence des lycéen-ne-s et anciens lycéen-ne-s qui avaient participé aux délibérations à la fin de l’année dernière.
Après avoir reçu la récompense des mains de Fabien Meynier, enseignant de sciences économiques au lycée Jules Froment d’Aubenas (Ardèche) et coordinateur du prix, en présence aussi de Jean Fleury, inspecteur académique de SES, et de Marina Mestre, directrice-adjointe de l’ENS, la chercheuse du Centre d’Etudes de l’Emploi (CEE) a rappelé les grandes lignes de l’ouvrage et les interrogations ouvertes par celui-ci à partir d’un diaporama spécialement réalisé pour l’occasion [2].
En bon « médecin » du social, l’intervenante a commencé ainsi par répertorier les principaux symptômes dont semblait souffrir le « malade », à savoir le modèle social hexagonal, au moment de la rédaction de l’ouvrage, en 2005. Il s’agissait en l’occurence non seulement d’un taux de chômage élevé, mais d’une durée moyenne de chômage également très importante (14 mois en moyenne alors), d’une très forte sélectivité de ce phénomène, de taux d’emploi relativement faibles par rapport à des pays comparables, et enfin et surtout des trajectoires d’emploi de plus en plus discontinues. Face à ce constat, deux remèdes opposés semblent s’offrir aux praticiens, l’un ou l’autre étant préféré selon les priorités du médecin. D’après le rapport « Sapir » de 2005, seuls les modèles libéral et nordique sont ainsi tenables à long terme.
Il s’agit autrement dit de choisir entre une marchandisation accrûe de la protection sociale, ou la mise en place d’une « flexicurité » sur le modèle danois, autrement dit d’une facilité accrûe d’embauche et de débauche pour les employeurs, en contrepartie d’un véritable suivi non pénalisant pour les chômeurs, leur garantissant à la fois un revenu de remplacement conséquent et un réel droit à la formation. Autrement dit une véritable sécurité professionnelle, mettant l’accent sur les dépenses dites « actives » de « traitement » du chômage. Mais un tel modèle n’est évidemment pas transposable d’un coup de décrêt magique dans notre pays, et sa mise en oeuvre y nécessite notamment une remise à plat des relations professionnelles, étant donné le très faible taux de syndicalisation, que l’émiettement des organisations ne risque guère d’enrayer. C’est plus largement une véritable révolution culturelle qui serait nécessaire à cette réalisation. Toutefois, même si elle advenait, insiste en conclusion Dominique Méda, le sécurisation des trajectoires professionnelles doit être un préalable, et non une suite de la flexibilisation des trajectoires.
Après cette présentation dense mais très pédagogique, l’oratrice a dû faire face au feu nourri des questions du jury - exercice auquel elle s’est cependant livrée avec un plaisir affiché. En lectrices et lecteurs attentifs, les lycéenn-ne-s (et parfois leurs enseignant-e-s !) ont posé diverses questions allant de la non-inclusion de la Norvège dans l’étude au sujet de la transparence administrative, en passant par l’origine de la « flexicurité », la signification de la « nature de l’emploi », les différentes formes de flexibilité ou les agences de formation en France.
Inutile de préciser que les débats furent d’un niveau élevé malgré le jeune âge des participants, ce qui confirmait l’utilité d’un tel prix. Que vous soyez enseignant-e ou élève, n’hésitez donc pas à faire participer votre classe à la prochaine édition du prix du livre de sciences économiques et sociales. Vous ne le regretterez pas !
Igor Martinache
A lire et à voir
Le blog « Sociétés Nordiques » co-animé activement par Alain Lefebvre : http://societesnordiques.wordpress.com
Quelques ouvrages de Dominique Méda
Le contrat de travail, avec l’équipe du CEE, La Découverte, « Repères », 2007
Le deuxième âge de l’émancipation, 2007, avec Hélène Périvier, Seuil, « La République des Idées », 2007
Délocalisations, normes du travail et politique d’emploi. Vers une mondialisation plus juste ?, en co-direction avec Peter Auer et Geneviève Besse, La Découverte, 2005
Le travail non qualifié, Perspectives et paradoxes, avec Francis Vennat, La Découverte, 2004
Le Travail, Que sais-je ? , PUF, 2004
35 heures : le temps du bilan, avec Bernard Bruhnes, Denis Clerc et Bernard Perret, Desclée de Brouwer, 2001
2001, Avec Jean-Yves Kerbouc’h, Christophe Willmann et Rachel Beaujolin-Bellet, Le salarié, l’entreprise, le juge et l’emploi, Cahier Travail emploi, La Documentation française
Le Temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, Flammarion, 2001, réédité dans la collection « Champs », Flammarion, 2002)
Qu’est-ce que la richesse ?, “ Alto ”, Aubier, 1999 (réédité chez Champs-Flammarion, 2000)
Travail, une révolution à venir, entretien avec Juliet Schor, Mille et une nuits/Arte Édition, 1997
Le partage du travail, Problèmes sociaux, La Documentation française, 1997
Le Travail. Une valeur en voie de disparition, “ Alto ”, Aubier, 1995 (réédité chez Champs-Flammarion, 1998)
Politiques sociales, avec Marie-Thérèse Join-Lambert, Anne Bolot-Gittler, Christine Daniel, Daniel Lenoir, FNSP/Dalloz, 1994