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Psychosociologie du crime passionnel

Un ouvrage de Annik Houel, Patricia Mercader et Helga Sobota (Puf, 2008, 234 p., 22€)

publié le mercredi 29 octobre 2008

Domaine : Psychologie, sciences cognitives , Sociologie

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Par Alice Denoyel [1]

L’affaire Trintignant-Cantat (2003) illustre les querelles entre psychanalyse et sociologie : est-ce l’histoire d’une femme battue, banale, dans laquelle transparaît la souffrance de Marie Trintignant (approche sociologique) ? Ou est-ce la peinture d’un couple exceptionnel, manifestant un amour réciproque et où transparaît la souffrance de Bertrand Cantat (approche psychologique) ?

À partir de l’analyse de 337 crimes dits « passionnels » [2] (exclusivement des femicides) commis entre 1986 et 1993, étudiés grâce à un corpus de 558 articles du Progrès et du Dauphiné Libéré et de dossiers d’instruction [3], les auteurs ont voulu créer un métissage entre les deux disciplines.

Loin des histoires de passion des romans de Stendhal, le crime passionnel apparaît beaucoup moins comme une affaire d’amour que comme une affaire de famille. Clairement expliquée, leur thèse consiste en l’articulation des approches sociologiques et psychopathologiques, tout en se focalisant sur la transmission familiale des modèles sociaux. Le principal trait commun à l’ensemble des criminel-le-s est leur environnement familial, caractérisé par un fonctionnement totalitaire (la domination masculine, le père « autoritariste » [4] et l’appropriation de la femme par l’homme, la femme devenant « maternaliste » [5]) transmis de générations en générations. Ce modèle inégalitaire « archaïque » semble profondément destructeur : un fils qui recherche dans sa compagne l’image de sa mère idéalisée mais qui découvre à sa place la part haïe de cette même mère ; un fils (ou une fille) qui a été tristement abandonné par sa mère et qui, lorsque sa femme le quitte, se retrouve de nouveau seul avec ses terreurs d’enfant ; une femme sous domination d’un homme violent et qui l’aime parce que miroir de son père. Une « répétition intergénérationnelle étouffante » qui conduit au crime pour éviter la folie.

Plusieurs éléments m’ont personnellement frappée : d’abord les limites posées par les sources, souvent profondément subjectives dans le cas des rapports d’expertise psychiatrique (d’ailleurs délaissés par les juges d’instruction), institutionnellement encadrées dans le cas des témoignages ou de l’interrogatoire, filtrées par les journalistes dans le cas des articles.

En outre, historienne de formation, et ayant été confrontée à certains rapports d’expertise pénale du XIXe siècle pour le jugement de criminelles passionnelles, j’ai retrouvé avec surprise certaines similitudes. Par exemple, le portrait psychologique complété par un portrait physique (un homme carré aux cheveux grisonnants...), trace mince de l’anatomoclinique de la seconde moitié du XIXe siècle selon laquelle tout désordre comportemental a une manifestation anatomique. Egalement, les difficultés de la justice à s’immiscer dans la sphère privée et forcer le huit-clos des relations de couple. Réminiscence d’une justice ancienne qui rechignait à faire pénétrer la violence privée dans la sphère publique [6] ? Enfin, des carences judiciaires, comme la non-prise en compte de l’expertise psychiatrique, et une tolérance encore récente pour les violences conjugales, presque banalisées par le système familial traditionnel où s’impose la domination masculine et la soumission féminine. Cette absence de prévention pendant de longues années a sans doute précipité le crime des « femmes battues qui tuent ». Mais la prévention idéale n’a pas encore été découverte : la fuite de la femme ? L’arrestation de l’homme ? Toutes se manifestent souvent par une reprise des violences à plus ou moins long terme.

Quel traitement proposer alors ? L’analyse a surtout montré le poids des conceptions inégalitaires du couple et de la famille. L’idée avancée dans l’ouvrage est une prévention des violences intrafamiliales dans leur ensemble (et non pas des violences sur les femmes et sur les enfants séparément). Mais lorsque le mal est fait quel mode d’internement faut-il ? La prise en charge thérapeutique paraît plus digne, alors que l’emprisonnement sans suivi ne peut être envisagé comme thérapeutique.

Psychiatrique et/ou carcéral ? C’est un débat encore plus large qui s’ouvre alors, et qui, malheureusement, touche non plus seulement les criminels passionnels, mais un groupe beaucoup plus étendu.

NOTES

[1Etudiante en master 1 d’Histoire à Lyon.

[2« Les affaires de crime organisé autour d’une relation conjugale, amoureuse ou sexuelle » (p.17)

[3Les dossiers d’instruction sont composés des documents concernant l’enquête policière, l’instruction proprement dite et l’expertise psychiatrique.

[4Dans l’étude, l’autoritarisme est compris comme une forme de domination qui provoque le détachement du père menaçant de ses enfants.

[5Le maternalisme, lui, est compris comme une défense de la virilité par les femmes, alors que cette virilité est un « pseudo-pouvoir » qui n’est concédé que par le groupe des hommes.

[6Il est par exemple démontré qu’au XIXe siècle, les violences conjugales étaient largement moins punies que le vol d’un bien, l’atteinte à la propriété étant alors le crime le plus grave.

Note de la rédaction

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