Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu

Suivre Liens socio

Mail Twitter RSS

Votre Liens socio

Liens Socio ?
C'est le portail d'information des sciences sociales francophones... Abonnez-vous !

Refonder l’université

Une réponse d’Alain Caillé à Matthieu Hély

publié le lundi 27 décembre 2010

Domaine : Sociologie

Sujets : Education

      {mini}

Par Alain Caillé [1]

Notre collègue Matthieu Hély a publié récemment une recension critique du livre Refonder l’Université (signé par Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin). On ne pourrait que se réjouir que l’occasion nous soit ainsi donnée de discuter de la question qui nous importe à tous au premier chef - quel avenir pour nos universités ? - si cette recension permettait effectivement d’ouvrir la discussion. Tel n’est malheureusement pas le cas. Il faut pourtant reconnaître qu’elle est infiniment plus honnête que celles, simplement calamiteuses, qu’on a pu lire sur les sites de SLU ou de SLR. On peut y reconnaître ou y deviner par moments certains points développés dans l’ouvrage, ce qui n’est pas le cas des deux autres. Mais, pour l’essentiel, elle vise bien plus à noter tout ce dont l’ouvrage n’a pas parlé que ce dont il traite en effet. Il n’épargnera donc à aucun universitaire de bonne volonté la peine de le lire.

De quoi Matthieu Hély nous reproche-t-il de n’avoir point parlé ? De deux choses, principalement : de toutes les grèves qui ont précédé celle de 2009, et des prises de positions des diverses organisations syndicales ou coordinations. Le constat est fondé. La condamnation l’est moins. Il ya eu en effet dans les grèves de 2009 une dimension totalement inédite qu’il fallait bien prendre spécialement en compte : elles ont été le fait, massivement et pour la toute première fois, des universitaires eux-mêmes bien plus que des étudiants, et elles ont duré incroyablement longtemps. Pour déboucher, finalement, sur un échec politique. Comment expliquer qu’une aussi forte mobilisation des universitaires ait occasionné une telle défaite, et comment tenter de donner des chances de succès à une possible nouvelle mobilisation ? Telle est la question qui a suscité la création du groupe informel des Refondateurs, qui a permis de nourrir des débats et de formuler des propositions partagées par des collègues de toutes disciplines et représentant des opinions politiques allant, disons, du centre gauche (ou droit, je ne sais pas trop) jusqu’à la gauche de la gauche. À partir du constat, et on touche là au second reproche, qu’aussi utiles et légitimes que soient les organisations syndicales et les diverses formes de coordination, il se trouve qu’elles n’ont pas su formuler d’analyses largement partageables par la communauté universitaire sur ce que doit être une université et, donc, sur les projets de réforme que nous pourrions opposer à celles que nous impose le pouvoir. Le seul dénominateur commun à toutes les analyses proposées dans ces cadres est en définitive la revendication de moyens matériels supplémentaires. Or si ils sont à coup sûr indispensables, ils ne suffiront en rien à eux seuls à résoudre la crise de l’université, qui comporte aussi d’autres dimensions, presque jamais dites, et sur lesquelles au contraire Refonder l’université braque le projecteur, au risque, bien évident, et comme on le constate, de susciter de vastes levées de boucliers de tous bords [2].

D’une part, la désaffection des bacheliers généraux pour l’Université est désormais massive et avérée, sauf dans les secteurs professionnalisant et sélectifs du Droit, et, surtout de la Médecine.

Par ailleurs, ce refus de l’Université de la part des meilleurs bacheliers joue systématiquement au profit du secteur des grandes, moyennes et petites écoles, ainsi que des IUT, créés à l’origine pour accueillir les bacheliers techniques. Tout ceci montre à l’évidence qu’il n’y a pas de sens, en France, à prétendre réformer l’Université sans s’interroger en même temps sur le statut du secteur des Écoles et, plus généralement, de tout l’enseignement supérieur non universitaire. C’est au destin de l’ensemble de l’Enseignement supérieur français qu’il faut réfléchir. Et de toute urgence.

Car, dernier point, dans cette logique qui conduit à l’implosion et à l’évanescence croissantes des enseignements proprement universitaires, ce qui prospère c’est moins le secteur des Grandes ou moins grandes Écoles, autolimité par sa stratégie élitiste de numerus clausus, que l’ensemble de l’enseignement supérieur privé, comme le montrent les chiffres peu accessibles travaillés dans Refonder l’ Université.

Curieusement, Matthieu Hély se déclare, furtivement, d’accord avec ces constats, mais semble préférer ne surtout pas s’y appesantir comme si c’était politiquement gênant. Or s’ils sont fondés - et ils le sont, bien évidemment - alors il est impératif d’en tirer des conclusions pratiques. C’est là que la discussion devrait commencer. Or c’est là qu’elle s’arrête aussitôt. Des solutions possibles évoquées dans le livre Matthieu Hély n’en mentionne que deux : l’instauration d’une sélection à l’entrée en M1 (et non pas, solution manifestement absurde et contreproductive, à l’entrée en M2 comme c’est le cas actuellement). Et...une solution, inventée par notre commentateur, à seule fin, apparemment, de se trouver à peu de frais, des ennemis politiques imaginaires. Comment comprendre en effet l’affirmation que nous proposerions que les étudiant s’endettent à vie pour financer leurs études alors qu’il est seulement suggéré à titre de piste de réflexion, qui n’engage d’ailleurs en rien l’ensemble des « refondateurs », que soit versé aux étudiants un capital inconditionnel destiné à financer leurs études ?

Qu’est-il discuté en fait dans l’ouvrage ? Les données immédiates du problème qui se pose à nous sont dramatiquement simples. D’une part, l’Université voit partir ses meilleurs étudiants vers des établissements d’enseignement supérieur dont les enseignements sont le plus souvent de qualité inférieure à ceux qu’elle prodigue, mais qui sont réputés meilleurs parce qu’ils sélectionnent. De l’autre, l’Université doit jouer son rôle de dispensateur démocratique du savoir et cela, en France, se traduit par l’impossibilité politique d’introduire une sélection des bacheliers à l’entrée à l’Université. La quadrature du cercle est donc à rechercher du côté d’une orientation-sélection, ou d’une sélection-orientation, comme on voudra. En un mot : tous les bacheliers doivent en effet accéder à l’université, mais cela n’implique pas qu’ils puissent accéder indifféremment à n’importe quel cursus. Une fois cette considération de bon sens admise, trois types de dispositifs, pas nécessairement incompatibles peuvent être envisagés : 1. La création de lycées d’enseignement supérieur, comme le suggère par exemple Pierre Dubois ; 2. L’instauration d’une année zéro, notamment pour les étudiants ayant suivi un parcours technique ou professionnel qui ne les prédispose pas a priori à des études de type universitaire. 3. La création de filières d’excellence universitaire, par exemple sous forme de magistères, aussi attractives que les grandes écoles.

Voilà, je crois, ce dont il nous faut discuter, en évitant autant que faire se peut les faux procès. Dire qu’il y a urgence est un euphémisme. Qui ne voit que la bataille est déjà quasiment perdue suite au découragement général qui a résulté de l’échec de la grande grève ? Partout se mettent en place des normes de gestion universitaire caporalisatrices qui entrent en contradiction frontale avec tout ce qui a constitué l’idéal universitaire : la liberté de la recherche et du savoir. La course générale à « l’excellence » est désormais lancée, qui ne fera pas de quartiers. Et plus personne, même parmi ceux qui étaient les plus actifs pendant les mobilisations, ne voit comment échapper à cette mécanique infernale. Seule aurait pu s’y opposer une communauté universitaire suffisamment vivace. Or, pour n’avoir pas su s’affirmer pendant les grèves, ce qui en subsistait est en train de voler en éclats.

Définitivement ? On peut le craindre, à en juger par exemple par l’impossibilité de débattre sereinement des analyses proposées par Refonder l’Université. Nous avons tenté de constituer une espace de réflexion libre, indépendants des divers lobbies ou bureaucraties qui s’affrontent dans ce champ. Il semble que nous ayons échoué, à en juger par les lectures que nous avons dû subir, justiciables du même type d’analyse que celles que Nathalie Heinich a fait circuler récemment [3]. Et, encore une fois, celle de M. Hély est de loin la moins trompeuse, qui ne permet pourtant pas d’ouvrir la discussion ?

Pour terminer, puis-je dire que j’ai beaucoup hésité à réagir ainsi ? Il n’y a que des coups à prendre. Ce qui m’y a finalement décidé c’est la considération suivante : avec la mort programmée de l’esprit de l’Université, ce qui va disparaître ce n’est pas seulement tout le vieux fonds de la culture humaniste, ce sont, plus généralement, tous les enseignements qui ne sont pas directement utiles, d’une utilité fantasmatiquement mesurable. Et parmi eux, n’est-il pas évident que la sociologie est la discipline la plus menacée ? Je ne suis nullement assuré pour ma part qu’elle existera encore, en tant que telle, d’ici dix ou vingt ans. Qui, donc, a plus d’intérêt que les sociologues de l’enseignement supérieur, à sauver l’Université. À la sauver pour de bon, j’entends, c’est à dire en commençant par respecter entre nous les normes du débat universitaire.

Alain Caillé

NOTES

[1Professeur de sociologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense.

[2M. Hély nous reproche par ailleurs de ne pas discuter du statut des enseignants-chercheurs. Ce reproche-ci est en partie fondé - en partie seulement, car notre insistance sur l’idée que les universitaires doivent être considérés comme exerçant une profession libre garantie par le statut de la fonction publique n’est pas rien -, mais il est clair qu’on ne pourra pas en discuter sérieusement aussi longtemps qu’on ne se sera pas mis d’accord sur ce que doit être une université aujourd’hui.

[3Nathalie Heinich, « La pensée à l’ère du ragot planétaire », Des lois et des hommes, n° 8, 2010, reproduit in Fabula, mardi 21 décembre 2010 : http://www.fabula.org/actualites/article41655.php.

Note de la rédaction

Note de la rédaction : Ce texte constitue une réponse au compte rendu par Matthieu Hély de l’ouvrage Refonder l’université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire (un ouvrage d’Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin, La découverte, Coll « Cahiers libres », 2010), que vous pouvez découvrir à l’adresse suivante : http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=6733.

À lire aussi dans la rubrique "Lectures"

Une réponse de José Luis Moreno Pestaña au compte rendu de Pierre-Alexis Tchernoivanoff
Un ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Payot & Rivages, Coll " Essais Payot", 2009)
Une réédition de l’ouvrage de Katharine Macdonogh (Payot & Rivages, Coll "Petite Bibliothèque Payot", 2011)

À lire sur les mêmes sujets...

Education

Les vidéos des interventions sont en ligne
Un ouvrage d’Etienne Douat (La dispute, Coll " L’enjeu scolaire", 2011)
Un ouvrage de Gaële Henri-Panabière (La dispute, Coll "L’enjeu scolaire", 2010)

Partenaires

Mentions légales

© Liens Socio 2001-2011 - Mentions légales - Réalisé avec Spip.

Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu