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Résister à la chaîne. Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue

Un ouvrage de Christian Corouge et Michel Pialoux (Agone, Coll "Mémoires sociales", 2011)

publié le vendredi 15 avril 2011

Domaine : Sociologie

Sujets : Travail , Stratification sociale

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Par Nicolas BEFORT [1]

Résister à la chaîne est l’aboutissement de nombreuses années d’entretiens entre le sociologue Michel Pialoux et Christian Corouge, ancien ouvrier des usines Peugeot de Sochaux. « Résister à la chaîne », le titre indique très justement qu’il est ici question du combat syndical quotidien de Christian Corouge. Cependant, à partir du militantisme au sein de l’usine, c’est une réflexion sur l’identité ouvrière qui est menée. Le langage, le comportement et les relations à la culture et avec les intellectuels en sont les pôles majeurs.

Le début de l’ouvrage est centré sur la résistance en tant que telle. La réflexion concerne la construction des rapports de force, en réaction aux conditions de travail, mais aussi l’intégration des travailleurs immigrés et des femmes dans les usines. Le questionnement sur la « résistance » ouvrière permet de mettre en avant le manque de considération envers les Ouvriers Spécialisés (OS). En effet, Christian Corouge rappelle que la condition de ces derniers a longtemps été ignorée tant des dirigeants de Peugeot, que de la direction de la CGT. C. Corouge doute de la réelle efficacité des lois Auroux [2] pour améliorer les conditions de travail. Face à un syndicat que l’ouvrier décrit comme centré sur des problématiques générales, Corouge propose alors une autre forme de militantisme en affirmant l’importance d’un militantisme de terrain. Il remet dès lors en cause le rôle des « permanents ». Selon lui, ces derniers, en quittant les usines perdent de vue les problèmes quotidiens que rencontrent les travailleurs. La critique du travail des permanents du syndicat passe aussi par une intéressante réflexion sur le langage. C. Corouge revendique l’utilisation du vocabulaire des OS, y compris dans la rédaction des tracts. Il lui importe, par exemple, que les tracts soient rédigés par les membres du syndicat et non plus uniquement (exclusivement) par les délégués. Le questionnement sur la place des militants dans le syndicat est fondamental au cours des entretiens et constitue un point nodal pour comprendre le parcours de Christian Corouge. En effet, sa condition d’OS relève d’un choix certes professionnel mais avant tout personnel. La possibilité de quitter les chaînes de carrosserie de l’usine de Sochaux est évoquée à de nombreuses reprises.

Le retour sur le cheminement personnel de l’ouvrier permet de saisir ses choix. Issu d’un milieu militant de Cherbourg, titulaire d’un CAP d’ajusteur, Christian Corouge a quitté sa famille afin de se « libérer » d’une pression familiale certaine. L’évocation de son parcours personnel laisse apparaître un vif attrait pour la culture. Ainsi, ses débuts à l’usine de Sochaux ont-ils été marqués par la participation à un centre culturel associatif. Il s’agissait de permettre aux ouvriers de l’usine d’accéder à différents champs culturels : littérature, photographie, cinéma, théâtre…L’organisation d’activités lui a permis de rencontrer différents intellectuels. La question de la place de ces derniers est très sensible dans la relation entre le sociologue et l’ouvrier jusqu’à être à l’origine de tensions. M. Pialoux propose par exemple à C. Corouge de regarder un débat télévisé sur le communisme. Ne supportant pas le discours tenu par les participants (tant au niveau des propos que du langage), C. Corouge est irrité de ne pas comprendre ni de pouvoir répondre aux arguments évoqués. Il ne supporte pas de ne pouvoir porter plus loin la cause des OS. Il explique alors que ce n’est pas lui qui a « fait le travail » de l’ouvrage mais bien Pialoux. Ce dernier devient alors « l’interprète » des conditions de vie des OS de Sochaux. Tel serait alors l’un des rôles des intellectuels : être capable de transmettre, de faire voir ou comprendre les conditions de vie des soumis, y compris ceux qui sont soumis au « système Peugeot ».

Au-delà de l’intérêt intrinsèque que présente ce récit de vie, la richesse de l’ouvrage de M. Pialoux est de nous donner accès aux pensées d’un ouvrier portant un regard incisif sur sa condition. « C’est peut être là qu’il est le vrai problème, le problème culturel : le droit à l’expression » (p. 435). Finalement, le sociologue a donné à l’ouvrier un espace pour s’exprimer et pour faire résonner sa parole. Sa grande force est de savoir l’écouter et d’en être le passeur. Dès lors, ce serait une erreur que d’affirmer qu’il en est le traducteur tant ses commentaires restent rares et discrets. Il sait rester de bout en bout le guide de l’entretien.

Autour de la question du militantisme se cristallisent en effet les problématiques liées à la construction de l’identité ouvrière. L’ouvrage, en traitant des conditions de vie des OS dans les usines conduit à plusieurs réflexions. Dans un premier temps, c’est le syndicalisme centralisé qui est remis en question. Puis, l’évocation du suicide d’un des collègues de Christian Corouge rappelle que l’amélioration des conditions de travail est un problème ancien. L’ouvrage se conclut avec le départ à la retraite de C. Corouge. S’il paraît plus apaisé, il n’en demeure pas moins insatisfait.

NOTES

[1Etudiant en économie à l’Université de Reims.

[2Les lois Auroux de 1982 ont institué le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail, les Commissions Hygiène et Sécurité au Travail (CHSCT), l’autorisation de mise en retraite des salariés en cas de danger grave et immédiat ainsi que l’attribution d’une dotation minimale brute de 0.2% au comité d’entreprise

Note de la rédaction

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