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Roms et Tsiganes

Un ouvrage de Jean-Pierre Liégeois (La Découverte, « Repères », 2009, 125 p., 9,50 €)

publié le jeudi 2 avril 2009

Domaine : Sociologie

Sujets : Culture , Politique

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Par Igor Martinache

La méconnaissance dont ils font l’objet est à la hauteur de leur visibilité dans l’espace politico-médiatique. C’est dire. Car les populations tsiganes ne laissent pas indifférents, particulièrement à proximité des lieux où ils s’installent. Qu’ils soient stigmatisés ou admirés, ce sont le plus souvent les fantasmes qui font office de relation à leur endroit. Ce ne sont pourtant pas les travaux de sciences sociales qui manquent en la matière, à commencer par ceux de Jean-Pierre Liégeois, enseignant à l’université Paris-Descartes et directeur du Centre de recherche tsiganes de 1979 à 2003. Conformément à la collection qui l’accueille, celui-ci nous offre ici un aperçu des travaux en la matière, mais aussi et surtout des fortes contradictions dans lesquelles sont prises les politiques publiques à l’égard des Tsiganes. 

Première difficulté : comment nommer une catégorie dont l’hétérogénéité est la principale caractéristique ? Car qu’on les désigne comme « Gitans », « Manouches », « Gens du voyage », ou « Tsiganes » [1] c’est toujours à un même groupe que l’on fait référence. Or, contrairement à ce que l’illusion nominaliste laisse penser, « les Tsiganes forment dans le monde une mosaïque de groupes diversifiés » (p.80). Une affirmation dont la portée est plus large qu’il n’y paraît. En effet, insiste l’auteur, il s’agit d’envisager les sociétés tsiganes comme un système composé de groupes à la fois singuliers et reliés, et dont les interrelations maintiennent à la fois une évolution dynamique et un équilibre général. Il serait donc erroné de considérer les Tsiganes comme un regroupement artificiel de populations dissemblables, mais tout autant d’y voir un seul peuple replié sur des traditions immuables.

On dénombre aujourd’hui près de 10 millions de Tsiganes en Europe, ce qui en fait la minorité la plus importante du continent, mais également l’une des plus mal représentée, faute d’Etat de référence. Pour Jean-Pierre Liégeois, « de par la position qu’elle occupe, il s’agit d’une minorité révélatrice des fonctionnements et dysfonctionnements sociopolitiques » de l’Union Européenne (p.5). De ce point de vue, la quasi-« guerre » que leur a déclaré récemment l’Italie de Silvio Berlusconi [2], ne constitue que la partie émergée de l’iceberg d’une stigmatisation séculaire.

Jean-Pierre Liégeois revient ainsi dans un premier temps sur les stéréotypes, tant négatifs que positifs, qui circulent en Europe sur les Tsiganes dès leur « apparition » au XIVe siècle. Cette ambivalence témoigne en fait d’un sentiment de fascination qui, avec la difficulté à retracer leurs origines et surtout leur nomadisme [3], a certainement joué un rôle sans doute important dans leur élection précoce en tant que « boucs émissaires » [4]. Dès cette époque, les Tsiganes font en effet l’objet d’une stigmatisation aux manifestations de plus en plus brutales que l’auteur retrace ensuite. D’abord exclus, ils sont ensuite de plus en plus souvent reclus sans autre motif que leur appartenance socioculturelle - voire mis en esclavage comme en Roumanie jusqu’en 1856. Ce rejet culmine évidemment au XXe siècle avec l’entreprise d’extermination du régime Nazi. Il serait cependant trompeur selon l’auteur d’estimer que les politiques publiques actuelles auraient rompu avec la logique de rejet, car l’assimilation qu’elles promeuvent désormais majoritairement vise toujours l’anéantissement d’un peuple incarnant le « spectre du désordre » et de l’invasion à travers sa culture ; ce que les ethnologues qualifient d’ethnocide. Les Tsiganes font en effet l’objet d’un double déni par les autorités des pays dans lesquels ils sont installés : celui de leur culture, et partant de leur caractère de sujet politique.

Si les Roms ont commencé à s’organiser dès 1901 en Bulgarie, initiant ainsi une stratégie visant à « retourner le stigmate » dont ils font l’objet [5], ce n’est qu’au cours du dernier quart de siècle qu’ils commencent à obtenir une certaine reconnaissance de la part des institutions internationales, et notamment de l’Union Européenne. Mais celle-ci reste encore surtout symbolique et beaucoup reste encore à faire dans cette voie. « Le tsiganisme comme acte politique manifesté ouvre ainsi la voie vers la tsiganité comme identité proclamée et assumée, et permet du même coup de se démarquer de la tsiganerie issue des préjugés et des stéréotypes manipulés, qui sert jusqu’à présent de référence pour les populations et les institutions en face desquelles se trouvent les Tsiganes » (p.95).

Le cas des Tsiganes constitue un exemple éclairant des mécanismes de construction de la déviance [6] et de lutte collective pour la reconnaissance - Jean-Pierre Liégeois remarquant fort à propos que « l’organisation sociale [même] est politique » (p.82). On pourra cependant regretter l’empathie que l’auteur manifeste à l’égard de son « objet ». Celle-ci l’amène en effet à éluder certaines questions problématiques, tels que les rapports de genre, ou encore les interactions avec les populations riveraines, qui ne se résument pas à la seule expression de préjugés. Si l’enjeu de l’éducation est évoqué, celui-ci aurait mérité d’être développé, de même que celui de l’intégration économique [7], et surtout que la question culturelle. Jean-Pierre Liégeois évoque certes quelques éléments linguistiques et insiste sur le fait que le nomadisme n’en constitue pas un élément central, il peut sembler quelque peu paradoxal qu’une question présentée comme aussi fondamentale ne se voit pas dédier une place plus importante dans un tel ouvrage, fût-il bref et introductif.

NOTES

[1Terme que l’auteur choisit pour être le moins péjoratif, et surtout correspondre à l’auto-désignation des intéressés, avec celui de « Roms » dont la portée est cependant plus directement politique

[2Avec diverses opérations de fichage et d’expulsion organisées au niveau local

[3Robert Castel, en s’appuyant notamment sur les travaux de Bronislaw Geremek, a bien montré dans Les métamorphoses de la question sociale (Paris, Fayard, 1995) combien la sédentarité a été érigée comme norme forte, entraînant la persécution des vagabonds au Moyen-Âge. On remarquera cependant que la mobilité n’est guère appréciée de la même manière selon la catégorie sociale qui l’expérimente. Voir ainsi le rôle que remplit le « cosmopolitisme » dans les classes supérieures dans les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (notamment pour une synthèse, Sociologie de la bourgeoisie, Paris, La Découverte, 2003)

[4Sur cette figure, voir notamment l’ouvrage stimulant de René Girard, Le bouc émissaire, Paris, Grasset, 1982

[5Sur cette notion, voir Erving Goffman, Stigmate, éditions de Minuit, 1975 (1963)

[6Voir Howard Becker, Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 [1963]

[7L’auteur se contentant de décrire le caractère instrumental de l’activité professionnelle, celle-ci devant surtout présenter une grande flexibilité pour s’adapter à la vie sociale des individus- et non l’inverse. Une description un peu trop idyllique qui peut laisser quelque peu sceptique

Note de la rédaction

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