Par Fabrice Hourlier [1]
Le constat d’une divergence de valeurs ou de comportements est une donnée avec laquelle tout groupe humain a à composer. Parce qu’a priori vivre en couple avec quelqu’un qui ne vous ressemble pas n’est pas évident, avoir accès à une analyse sociologique qui présente comment les individus gèrent classiquement cette tension motive la lecture.
Le travail de Pascal Duret a indéniablement deux qualités : une écriture d’une grande clarté et un appui sur un travail de terrain très conséquent. Par contre, la force de l’analyse est amoindrie par deux écueils. Premièrement, l’auteur insiste sur le concept de « valeurs » et, dans le même temps, il y inclut des significations très différentes tout au long de l’ouvrage : on retrouve aussi bien l’égoïsme, que le militantisme, la compassion, le rapport au matériel ou à l’argent, l’éducation des enfants, aimer les chansons de Jacques Brel ou encore l’ordre ménager. Si tout devient valeur, pourquoi alors ne pas avoir parlé simplement de « pratiques » ou de « façons de voir » qui auraient mieux restitué la variété des cas extraits de ses entretiens ? Deuxièmement, les réflexions théoriques ou les revues de littérature sociologiques souvent très intéressantes ont pour illustration des exemples souvent décalés, ce qui amoindrit la force des démonstrations.
Les valeurs sous-tendent l’action quotidienne de chacun. Au sein du couple, elles débouchent sur de multiples « petites disputes », mais aussi des conflits sévères où la pérennité du couple peut être menacée. L’écart entre les conjoints peut alors se réduire soit par une conversion de d’un des deux conjoints aux valeurs de l’autre, soit par un processus d’unification (où les deux conjoints consentent à des changements), soit par une articulation des différences de valeurs avec une reconnaissance de l’identité de l’autre. A propos de la conversion, l’auteur rappelle que la résiliance est forte et la conversion souvent temporaire. L’auteur cite des exemples de retour à ses habitudes d’origine (croyance dans le pouvoir des marabouts, la volonté d’accueillir ses parents dans le domicile conjugal lors des vieux jours de ceux-ci) qui mènent à la rupture.
L’auteur remarque qu’il est possible de se disputer alors même que les conjoints ont les mêmes valeurs. En effet, il peuvent avoir des divergences sur le degré d’observance d’une valeur (écart plus ou moins fort entre les principes et les actes) ou dans la hiérarchie des valeurs (certaines qui semblent essentielles à un des conjoints est secondaire pou l’autre). Ainsi, on peut aimer conjointement l’ordre, mais avec une traduction plus ou moins forte dans le rangement du foyer. On peut croire en l’hospitalité mais pour l’un cela veut dire laisser les invités se servir tandis que l’autre veut les servir.
Face à des conflits potentiels, les conjoints peuvent adopter plusieurs stratégies. Cela peut consister à relâcher son emprise sur l’autre, à adopter un relatif détachement, en le laissant par exemple exercer son militantisme en dehors du couple alors qu’il est d’un autre bord politique. Un autre modus vivendi possible est d’éviter les sujets de tension en n’engageant pas des discussions politiques par exemple. D’autres cherchent la compréhension en dehors du couple, là où on sera moins soumis à un jugement moral pour y confier ses fantasmes ou ses tentations d’infidélité. L’enjeu est de construire un « nous », un ensemble de pratiques et de valeurs partagées dont découlent des règles de vie. Les conjoints peuvent réussir à s’entendre sur des objectifs et des méthodes. Par exemple, s’ils sont d’accord sur le développement de l’enfant, l’éducation sera directive ou libérale (où l’enfant fait ses propres expériences) selon la mise en danger de l’enfant. Ce dernier choisira plus âgé sa religion plutôt que soumis à l’athéisme de l’un ou à la pratique religieuse de l’autre.
Le temps a un effet sur le rapport aux valeurs. Il peut déboucher sur tous les cas de figure : le maintien, la transformation ou l’abandon de valeurs personnelles ou communes. Il permet de comprendre les différences de valeurs avec l’autre pour dépasser la crispation ou l’indignation initiale. Souvent, le couple ne s’aperçoit pas qu’il change (et pas seulement en termes de valeurs). Il en prend conscience souvent à l’occasion de remarques de la part d’individus extérieurs au couple.
Par ailleurs, ce que chacun imaginait être une valeur fondamentale commune peut être transgressée avec des conséquences lourdes sur la pérennité du couple. L’auteur cite le point de vue de conjoints qui ont mis fin à leur vie de couple parce que leur conjoint a « mal » réagi face à un mendiant ou s’est comporté comme un colon ethnocentrique pendant des vacances à l’étranger. Fallait-il prendre pour argent comptant ce que ces enquêtés invoquent comme justifications d’une séparation ‘ On sait que souvent pour ne pas perdre la face sur certains sujets ou pour pouvoir éviter de livrer des éléments plus intimes de leur biographie, les enquêtés peuvent mettre en avant des éléments secondaires pour dissimuler des éléments plus fondamentaux’
Le passage qui analyse la manière dont les couples gèrent une infidélité est très intéressant. L’auteur montre premièrement qu’une séparation a d’autant plus de chances d’avoir lieu que l’information est connue par l’entourage du couple. Au travers des extraits d’entretiens, on voit que le conjoint trompé n’éprouve pas seulement de la honte, mais aussi une réduction : se sentir interchangeable, ne plus être l’objet central du désir ou de l’amour chez son conjoint. Deuxièmement, la réparation est possible souvent après un cheminement en trois actes : l’infidèle qui endosse le rôle de coupable-responsable, le trompé qui ne met pas toute la faute sur l’infidèle et enfin la réinvention progressive d’un nouvel avenir en commun et/ou l’avènement d’une épreuve lourde qui appelle le soutien et l’engagement des conjoints.
Le dernier chapitre présente l’importance de la conversation et de la négociation dans le couple. L’auteur dénombre les particularités de la négociation conjugale par rapport à d’autres domaines (les affaires ou les relations de travail). Il recense ensuite les pratiques ou les postures qui sont propices à une négociation réussie.