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Santé et travail

Un numéro de la revue Politix coordonné par Annie Collovald et Véronique Daubas-Letourneux (n° 91, vol. 23, 2010)

publié le jeudi 25 novembre 2010

Domaine : Epistémologie, méthodologie , Science politique , Sociologie

Sujets : Travail , Santé, médecine

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Par Igor Martinache

Certains participants à la mobilisation autour de la « réforme » du système de retraites ont tenté, sans succès, d’y intégrer la prise en compte des inégalités importantes en termes d’espérance de vie entre catégories sociales, un cadre ayant en moyenne 6 années de plus à vivre qu’un ouvrier et même 10 ans si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé1. Si cet écart ne tient pas seulement aux conditions de travail en emploi, il est difficile de nier que celles-ci y jouent un rôle sans doute un rôle primordial. Cet exemple illustre en tous les cas la difficulté persistante qu’il y a à penser ensemble les questions de santé et travail, et non seulement la question de la santé au travail, en dépit des avancées institutionnelles réalisées en la matière [1]. Quatre ans après le numéro consacré à cette question par la revue Actes de la recherche en sciences sociales (n°163, juin 2006), ce dossier de Politix est ainsi loin d’être superflu. D’autant que, dans ce domaine également, la protection sociale s’avère en recul. C’est ce que montre l’article de Pascal Marichalar qui revient sur l’évolution de la médecine du travail. Une spécialité qui s’institutionnalise en 1942, sous le régime de Vichy, comme il le rappelle, et reconduite après guerre, mais d’emblée marquée par une forte ambivalence liée à leur statut originel. A l’instar des agences de notation financées par les firmes dont elles évaluent la solidité financière, les médecins du travail sont en effet pour la plupart salariés par les services interentreprises dont les conseils d’administration sont dominés par les représentants du patronat. D’où une méfiance originelle à leur égard des salariés, dont ils sont à la fois chargés de constater les maladies professionnelles ou accidents du travail et l’aptitude au poste auquel ils sont embauchés. Difficile alors de comprendre le sens de la réforme initiée en 2002 par le ministère du Travail qui vise non pas à supprimer la médecine du travail, mais à la « démédicaliser », c’est-à-dire à y marginaliser les médecins à travers la promotion d’une approche plus globale de la « santé au travail » et partant de la pluridisciplinarité des intervenants. Il faut pour cela remonter aux années 1970 comme s’applique à le montrer l’auteur, car cette décennie se caractérise d’abord par une volonté marquée des médecins du travail de s’autonomiser de la tutelle patronale, dans la lignée des mouvements de mai-juin 1968 [2], et notamment la réflexion critique qui s’initie alors sur la fonction sociale de la médecine dans la lignée des travaux de Michel Foucault sur le biopouvoir [3], et qui se concrétise dans la convention collective signée en 1976 obtenue après d’âpres négociations. L’auteur montre alors comment l’association représentant les syndicats patronaux, le Centre interdisciplinaire de santé et médecine en entreprise (CISME) va dès lors s’employer à « démédicaliser » les services en jouant sur le flou de différentes définitions : celle des métiers inclus dans la convention et de la « santé au travail » donc, mais également de celle de la « qualité » des prestations, que la pluridisciplinarité des intervenants enrichirait. Une rhétorique que l’on retrouve dans bien d’autres secteurs des services publics [4], et tellement subtile que le Medef ne l’a pas comprise au début des années 2000 en réclamant la suppression pure et simple des services de médecine du travail et l’externalisation des visites auprès de médecins non spécialistes, s’opposant ainsi frontalement au CISME...

La difficile prise en compte des impacts sanitaires au travail s’explique d’une part par les difficultés « techniques » qu’il y a à diagnostiquer les maux des travailleurs, qui peuvent se déclencher longtemps après l’exposition aux substances toxiques, mais aussi, même une fois constatés, à déterminer les facteurs qui les ont provoqué dans l’environnement des travailleurs - d’autant que corrélation n’étant pas causalité. C’est cette dernière difficulté, qui est donc elle-même enjeu de lutte éminemment politique, qu’illustrent les contributions de Paul Jobin à partir de deux études de cas à Taïwan, l’un dans une usine de télévisions de la RCA, ayant appartenu successivement à General Electrics puis de Thomson, et l’autre dans une fabrique de fongicide exposant les salariés à de fortes doses de dioxyne. Il met ce faisant en évidence le rôle des médecins épidémiologiques dans le processus d’imputation des cas de cancers en nombre anormalement élevés constatés dans ce cas et l’exposition à certaines substances, renvoyant à des conceptions distinctes de leur « science », quant à la reconnaissance ou non des conflits d’intérêts en jeu, et des compromis qu’il peut alors apparaître nécessaire de réaliser quant à l’attribution des responsabilités en jeu. Yannick Barthe, dans un article particulièrement éclairant, met également bien en évidence la place centrale de la dimension « étiologique » des mobilisations à partir de l’exemple de la mobilisation de l’association des vétérans des essais nucléaires (AVEN) fondée en 2001. Au-delà de ce cas, son article propose une enrichissante réflexion conceptuelle sur la construction d’une cause et de ses victimes, sans occulter ses ambivalences. Grâce à une longue observation participante de ce mouvement, il met ainsi en évidence des processus qu’il qualifie de mise en cause et de victimisation - à entendre non dans son sens le plus commun, mais plutôt comme recherche et construction d’un groupe des victimes d’un problème public que l’on a antérieurement constitué. Il montre également et surtout comment c’est paradoxalement en dépolitisant leur cause que ses « entrepreneurs » ont réussi à lui faire accéder au champ politique, au prix néanmoins de scissions et d’une profonde ambivalence dans la reconnaissance publique de leur cause.

La difficulté à constituer les atteintes du travail à la santé ne tient donc pas prioritairement à des obstacles d’ordre technique (ou médical), mais bien aux rapports de force politique qui les sous-tendent. Or, en la matière, force est de constater que les organisations syndicales semblent rencontrer des difficultés certaines à se saisir de la question, comme si celle-ci venait d’une certaine manière concurrencer, et donc fragiliser, les revendications plus classiques en termes de salaires, de temps de travail ou d’emploi. Cette vision mérite en réalité d’être affinée, comme le suggère l’article de Judith Rainhorn sur la mobilisation ayant abouti à l’interdiction progressive de la céruse, le blanc de plomb, dans la peinture, responsable de cas de saturnisme chez les peintres en bâtiment au début du XXe siècle. Si la prise en charge de cette question fut aussi tardive que subite à la CGT (et l’interdiction totale encore plus lente puisqu’il faudra attendre 1926 et l’impulsion d’une convention internationale sur le sujet), la confédération fut loin d’être le seul acteur, ni le plus décisif dans ce mouvement. Une « nébuleuse réformatrice » selon l’expression de Christian Topalov [5] impliquant également politiciens, francs-maçons et surtout médecins a ainsi été à l’œuvre, avec quelques figures prééminentes, et surtout la mise en œuvre d’alliances locales fructueuses entre savants et ouvriers, comme elle l’illustre avec le cas du docteur Verhaeghe à Lille. Un exemple de coopération inter-classes qui fait écho à d’autres dispositifs de recherche-actions [6] et rompt notamment radicalement avec les enquêtes sociales telles que celles initiées par Frédéric Le Play qui « envisage[nt] les familles ouvrières comme objet figé d’étude et de connaissances » (p.24). C’est également ce qu’étudie Laure Pitti sur une période postérieure de 70 ans et autour du même mal du saturnisme. Ici les ouvriers aux côtés desquels se mobilisent les médecins « critiques » sont ceux, pour l’essentiel immigrés [7], des usines du groupe Peñarroya, notamment de Saint-Denis et de Lyon, qui se mettent en grève respectivement en 1971 et1972. Elle montre notamment comment cette coalition quelque peu improbable parvient à mutualiser les savoirs respectifs des deux catégories de « savants » et « profanes » de la médecine, issus de l’expérience corporelle d’une part et des études et de la pratique du soin de l’autre, pour mettre en débat les protocoles à la base de la construction du savoir médical ainsi que les modes de diffusion de celui-ci. Plus globalement, cette mobilisation incarne les prémices d’une montée postérieure de l’ « exigence démocratique » dans les débats scientifiques qui induit un renouvellement du « partage des rôles entre « professionnels et profanes » ».

Une autre ligne de partage est également à remettre en cause en matière de santé : celle entre travail et « hors travail » : les conséquences sanitaires d’un emploi continue à produire leurs effets bien au-delà de la durée de celui-ci, y compris chez les chômeurs et précaires, qui sont en outre tenus de cacher leurs inaptitudes afin d’être réemployés sur un marché du travail perçu par les intéressés comme « de plus en plus compétitif, sélectif et inégalitaire ». C’est ce que montre l’article édifiant de Nathalie Frigul qui met en évidence les effets conjugués dévastateurs d’expériences de travaux pénibles et du chômage sous des formes cependant variées, comme l’illustrent les deux cas qu’elle développe plus en détail, invitant à reconsidérer profondément les éloges actuels de la « flexibilité » [8].

A lire enfin hors dossiers un article de François-Joseph Daniel sur la « gestionnarisation » des politiques de protection de la nature aux Pays-Bas et ses effets sur les parties prenantes de ces dernières, agriculteurs et écologistes, ainsi qu’une contribution de Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine Siblot qui prolonge leur enquête sur la banlieue pavillonnaire à travers l’analyse des « petites mobilités » indissociablement géographiques et sociales dans une commune moyenne du Nord-Ouest de Paris [9]. Toujours dans une perspective localisée, ils proposent ici une analyse de l’« intégration » ambivalente des candidats issus de la « diversité » lors de l’élection municipale de 2008. Ils montrent comment le nouvel impératif d’ouverture se traduit finalement par une non-ouverture, rappelant en cela l’intégration des ouvriers au jeu politique au début du siècle précédent, étudiée par Rémi Lefèbvre [10] ou plus récemment les effets paradoxaux de la loi sur la « parité » [11]. Décidément, la fameuse sentence de Tancredi dans La Guépard de Lampedusa, « il faut que tout change pour que rien ne change » n’a rien perdu de sa vigueur...

NOTES

[1L’économiste Philippe Askenazy pointait cependant il y a quelques années le retard de la France sur les États-Unis en matière de prise en compte des atteintes à la santé des travailleurs résultant d’un productivisme intensifié, tels les troubles musculo-squelettiques (TMS) malgré le coût économique énorme (sans même parler des implications « sociales » peu visibles pour les « décideurs ». Voir Les désordres du travail, Paris, Seuil, 2004

[2Voir Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai-juin 1968, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008

[3Cf.notamment Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963

[4Pour d’autres exemples et une analyse générale de cette « politique de l’oxymore » comme la qualifie justement Bertrand Méheust, voir Laurent Bonelli et Willy Pelletier (dir.), L’État démantelé, Paris, La Découverte/Le Monde diplomatique, 2010

[5Voir l’ouvrage qu’il a dirigé, Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1999

[6Toujours concernant les incidences du travail sur la santé, les travaux de la sociologue Annie Thébaud-Mony fournissent également une bonne illustration de ce croisement entre recherche et action, qui d’une certaine manière prend acte de l’artificialité de la coupure weberienne entre « savant » et « politique ». Voir par exemple Travailler peut nuire gravement à votre santé, Paris, La Découverte, 2007

[7Elle rappelle cependant avec justesse que, contrairement à une idée répandue, ces grèves ne sont pas les premières mobilisations de travailleurs immigrés en France. Sur les affrontements entre ouvriers français et étrangers au début du XXe siècle, où les « briseurs de grève » ne sont pas toujours ceux que l’on attend, voir Gérard Noiriel, Le creuset français, Paris, Seuil, 1988, pp.257-261

[8Qui, certes aménagée et « sécurisée », serait censée favoriser un meilleur « appariement » entre la qualification des salariés et celles des postes, ainsi que le préconisent les travaux des derniers lauréats du prix de la Banque de Suède en faveur d’Alfred Nobel, Christopher Pissarides, Dale Mortensen et Peter Diamond. Voir Danny Lang et Gilles Raveaud, « Oublier les « Nobel » et... vaincre le chômage », Le Monde diplomatique, novembre 2010

[9La France des « petits-moyens », Paris, La Découverte, 2008

[10Voir « « Le conseil des buveurs de bière » de Roubaix (1892-1902) », Politix, vol.14, n°53, 2001, pp.87-115

[11Voir Catherine Achin et Marion Paoletti, « Le « salto » du stigmate », Politix, vol.15, n°60, 2002, pp.33-54

Note de la rédaction

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