Par Frédérique Giraud
Ce numéro de la revue L’Observatoire, revue d’action sociale et médico-sociale, prend pour objet d’analyse la santé au prisme de la précarité. L’objectif de cette revue, outre de faire reconnaître les inégalités de santé, est d’alerter les acteurs bruxellois de la santé, du social et du socioculturel. La revue L’Observatoire se situe clairement du côté de l’action sociale : les auteurs des articles sont avant tout chargés de la santé dans des observatoires ou médecins. Conçu en collaboration avec l’Observatoire wallon de la Santé et le Centre Local de Promotion de la santé de Liège ce dossier propose des axes de travail possibles pour donner aux personnes précarisées un meilleur accès à la santé et une plus grande capacité à agir sur celle-ci et à prendre soin de soi.
Ce numéro qui s’interroge sur la relation « santé-précarité » a le mérite de pointer le lien entre la situation économico-sociale des individus et leur santé. Les personnes en difficulté sont-elles plus malades, ont-elles moins accès aux soins, se soignent-elles moins ? Quelle est la relation entre problèmes de santé et précarité ? Si on ne constate pas de pathologies spécifiques à la pauvreté, il apparaît que certaines populations cumulent les facteurs de risque pour la santé et les pathologies non traitées. La précarité dessine un rapport à la santé particulier : une personne pauvre est moins attentive à son état de santé parce qu’elle doit faire face à d’autres problèmes qui absorbent son attention, la dépense importante que représente l’accès aux soins de santé est souvent un problème financier... C’est ce que montrent Evelyne Deltenre et Peter Kupers à partir de leur enquête réalisée auprès de 740 personnes de 25 à 74 ans représentatives de la population belge : le poids des frais en soins de santé essentiels est important sur le budget des familles. Une frange de la population éprouve des difficultés importantes à se payer des soins essentiels. 8% des ménages belges ont mis des soins mis en attente, l’emprunt d’argent à la famille est une parade trouvée par 6% des ménages. D’autre part les conditions de vie dégradées des personnes en situation de précarité ont pour conséquences la récurrence des expositions aux infections. Anouck Billiet (sociologue de la santé) dans le plus grand article de la revue, fait un point détaillé sur les inégalités de santé en Wallonie.
Chantal Leva et Véronique Tellier rappellent avec a-propos que les conceptions de la santé sont fortement différenciées socialement. Historiquement la santé était avant tout conçue comme l’absence de maladie et la perspective adoptée était d’abord sanitaire. Depuis la ratification de la charte d’Ottawa en 1986, la santé est comprise dans un sens global et de façon positive. La santé est appréhendée comme « un état de bien-être permettant à l’individu et à la communauté de satisfaire leurs besoins, comme un capital qu’il faut préserver » (p.18).
Si il ne faut pas chercher dans cette revue des articles de fond sur la santé et la précarité, l’ensemble des contributions vaut avant tout pour le tour d’horizon des initiatives locales prises en matière de santé : Elise Malevé s’intéresse aux centres locaux de promotion de la santé, Marie-Hélène Meurice au Resto du cœur de Liège, Pierre Bizel s’interroge sur la place et le rôle de la communication en santé pour le dépistage du cancer du sein, T. Kalisa, F. Canivez et M. de Jonghe présentent l’expérience de la maison médicale La Venelle, qui adaptent les services aux besoins des personnes précarisées. Un certain nombre d’autres articles posent un certain nombre de constats. Marjorie Lelubre nuance l’idée que le sans-abrisme est d’abord un problème féminin, les statistiques contestant une présence accrue des femmes en rue, et appelle à prendre en compte les difficultés croissantes des femmes dans la rue. Sébastien Alexandre et Serge Zombek se concentrent sur la question de la santé mentale. On remarquera particulièrement les contributions de Françoise Jadoul (« Pollution intérieure et précarité ») et l’interview d’un membre du Service d’Analyse des Milieux Intérieurs. Ces deux articles attirent l’attention sur la relation entre environnement et santé, qui fait désormais l’objet d’une attention croissante au niveau international et européen.
On complétera utilement la lecture de ce numéro par la visite du site du Haut Conseil de la santé publique qui se concentre lui sur la situation française, où sont disponibles un grand nombre de dossiers pour explorer ce lien entre précarité et santé.