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Sciences et souverainetés

Un numéro de la revue "Sociologie du travail" (vol. 48, n° 3, juillet-septembre 2006, 22€)

publié le lundi 23 avril 2007

Domaine : Sociologie

Sujets : Sciences

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Par Pierre-Yves Baudot [1]

Cette livraison de la revue Sociologie du Travail s’intéresse à la question des rapports existant entre l’exercice du pouvoir souverain et les disciplines scientifiques qui contribuent à en fonder la légitimité. Émergent alors un certain nombre de domaines scientifiques (l’économie, la chimie, la météorologie, le nucléaire, les biotechnologies...) que ce numéro veut soumettre à la question, en portant l’attention sur la nature des liens qui unissent (ou opposent) savoir et pouvoir. C’est dire immédiatement que si l’on se situe ici dans un horizon borné par deux approches antagonistes, l’une supposant la primauté des rationalités techniques, l’autre postulant au contraire l’inéluctable soumission des intérêts scientifiques à ceux des Etats, il s’agit bien d’ouvrir cette boîte noire pour y faire apparaître l’ensemble des configurations possibles des rapports entre savoirs et pouvoirs, entre savants et politiques.

De ce fait, ce numéro est loin de partir d’une hypothèse unificatrice en ce qui concerne ces liaisons savoir-pouvoir, et l’ensemble des contributions présentées ne laisse pas dégager une ligne d’analyse unique. Ce sont au contraire des configurations très diversifiées qui nous sont présentées, attentives aux temporalités historiques scandant leurs évolutions, aux différents capitaux des acteurs investis dans ces configurations conditionnant pour partie leur succès et leurs échecs (la contribution de B. Garth et Y. Dezalay), et leurs applications différenciées en fonction des configurations territoriales (relatives aux modes de régulation politiques et institutionnelles) sur lesquelles s’effectuent le transfert des innovations scientifiques et leur appropriation par des politiques publiques nationales (J.-P. Gaudillière et P.-B. Joly). Ainsi, la comparaison entre deux innovations biotechnologiques (tests de dépistage des risques de maladies génétiques et OGM), et entre deux modalités de réceptions nationales (en France et aux Etats-Unis) « permet de mettre en évidence les tensions qui existent entre mondialisation des processus d’innovations et maintien des cadres nationaux de leur régulation » (p. 347).

Les contributions présentées sont également attentives aux positions différenciées des scientifiques au sein de cet espace de production. Les rapports au nationalisme scientifique apparaissent ainsi fonction de la distance qui sépare les chercheurs des centres d’innovations disciplinaires. Michael Gordin montre ce que le développement de la chimie russe, au sein du kruzhok (cercles de socialisation des étudiants russes) de Heidelberg, et notamment la création de la célèbre classification périodique des éléments chimiques de Mendeleïev, doit à la fois à une entreprise de soumission des scientifiques à la logique étatique et à la stigmatisation culturelle dont ces étudiants furent alors l’objet de la part de leurs collègues allemands : ces chimistes étudiants à Heidelberg y ont inventé un « nationalisme corporatif » et découvert la dimension « russe » de leur discipline, ce qui fait que « ces intermédiaires ont réintroduit chez eux leur propre culture » (p. 291).

Positions scientifiques antagonistes et donc rapport subversif au pouvoir souverain pour ce qui concerne les scientifiques nucléaires américains qui tentent d’imposer, pour justifier la régulation internationale de la non-prolifération nucléaire effectuée par une communauté supranationale à vocation pacifique (« Plan Lilienthal » présenté en juin 1946 par les USA aux Nations-Unies), contre l’autre possible, celui d’une préservation du secret technologique (Atomic Energy Act, voté par le Congrès également en 1946), une nouvelle définition de la souveraineté qui ne repose plus sur la trilogie « peuple-territoire-nation » mais sur celle-ci : « populations-savoirs experts-communauté transnationale ». À l’opposé des théories qui présupposent la soumission des communautés transnationales aux intérêts des Etats-nations, et en écho aux propositions de Robert Wuthnow quant à l’importance des réseaux transnationaux dans la constitution de l’autonomie nationale des disciplines scientifiques, Grégoire Mallard présente dans sa contribution une perspective originale, en ce qu’elle montre combien ces réseaux transnationaux ont pu remettre en cause les stratégies des Etats-Nations, et les raisons pour lesquelles celles-ci ont finalement triomphé, bien aidées en cela par les sciences économiques et politiques qui usent pour ce faire de leurs arguments et méthodes classiques : la défense du principe de représentation nationale pour la science politique, rapport coût/quantité de production pour un « output » donné pour les économistes. Finalement, le seul exemple réussi de déplacement au niveau transnational des modes de régulations nationaux entre savoir expert et pouvoir politique est celui du « Groupement intergouvernemental d’etude du climat » analysé par Amy Dahan Dalmedica et Hélène Guillemot. Ce GIEC doit certainement son succès au fait qu’il n’oppose pas les logiques nationale et transnationale, mais qu’il repose sur la transposition au niveau international de l’hybridation constitutive de l’étude du climat au niveau national.

Si les contributions rassemblées dans ce numéro présentent donc des configurations de rapport savoir/pouvoir fort dissemblables, ce qui constitue un indéniable encouragement à un approfondissement des analyses empiriques sur les relations précises entre ces mondes sociaux, ce numéro trouve son point de convergence sur ce qui se trouve considéré par les disciplines qui s’y trouvent analysées : le « biopolitique » (Foucault). Ce que ces sciences considèrent, ce sont en effet des « populations » qu’il s’agit d’assurer contre des risques divers. L’analyse de ces différents moments historiques et sociaux met donc finalement en lumière, contre l’hypothèse foucaldienne d’une succession des modèles de « souveraineté » et de « biopolitique », leur entrecroisement, leur superposition, ce qui donne à voir et produit des formes de « relations de pouvoir » inédites et mouvantes.

NOTES

[1Post-doctorant en science politique (UMR 5206 Triangle, ENS-LSH, IEP Lyon, Université Lumière Lyon-II).

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