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Sexualisation précoce et pornographie

Un ouvrage de Richard Poulin (La Dispute, Coll "Le genre du monde", 2009)

publié le mardi 15 décembre 2009

Domaine : Sociologie

Sujets : Sexualité , Jeunesse

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Par Frédérique Giraud

Sexualisation précoce et pornographie est un ouvrage que l’on pourra sans peine classer parmi les livres impliqués, voire militants. L’ouvrage entièrement construit sur l’accumulation et la dénonciation des tendances à l’œuvre en matière de sexualité - hypersexualisation des jeunes filles, « pédophilisation », pornographie infantile, multiplication et internationalisation des agences de mariages et de call-girls, explosion mondiale des industries du sexe - exploite une idée à force d’exemples extrêmement divers : la pornographie affecte la culture en profondeur. Cependant le ton employé et l’accumulation de "preuves", certes difficilement contestables, mais fortement hétéroclites et de portée souvent générale, peinent à convaincre le lecteur. On a l’impression que l’auteur se laisse emporter par une lecture trop englobante des faits, ce qui dilue d’autant la portée de la thèse qu’il veut démontrer.

La dynamique pornographique actuelle joue à la fois sur l’infantilisation des femmes et la sexualisation des enfants. Double travers. Aujourd’hui l’industrie de la pornographie capitalise sur le fantasme de la lolita. De plus en plus les fillettes de 8 à 13 ans sont la cible des marchés de la mode, de la musique, des magazines et du cinéma. Conséquence de cette évolution, la sexualisation indue des fillettes qui s’identifient à leurs idoles et imitent des attitudes et des comportements de « femmes sexy » alors qu’elles n’en ont encore aucun des attributs. A huit, neuf ou douze ans, nombre de fillettes portent déjà mini-débardeurs et strings, les marques de vêtements se faisaint les complices de cette érotisation (Jennyfer, Tammy by Etam, NoBoys, Lulu Castagnette ou Miss LM). Si le marché virtuel du mariage et de la rencontre se fonde sur l’inégalité de pouvoir entre hommes et femmes, recrutant des femmes originaires de régions où le niveau de pauvreté et de chômage est élevé, cela est encore plus patent lorsqu’il recrute des mineures.

Sur internet et dans les médias, le sexe est envahissant et la sollicitation sexuelle permanente. En somme un « vacarme sexuel » assourdissant et une banalisation de la pornographie et du sexe-marchandise. Ainsi selon les estimations de Jerry Ropelato [1], 12% des sites web sont à caractère pornographique, 25% des requêtes et 35% des téléchargements concernent la pornographie. Les données montrent que sans conteste internet a participé à la croissance exponentielle de l’industrie pornographique. La pornographie a envahi la sphère publique. Dans les magazines, dans la publicité, à la télévision abondent des images sexuelles explicites nombreuses et récurrentes. Cette publicisation de la pornographie n’est pas pour rien dans l’universalisation de sa consommation « la pornographie a envahi la sphère publique et s’est imposée à tout un chacun ; les personnes qui ne désirent pas en consommer finissent quand même par en consommer [...] 34% des internautes ont été exposés contre leur volonté à de la pornographie » (p 96).

La consommation de la pornographie a évolué ces vingt dernières années vers un élargissent de son public : alors qu’auparavant la consommation était essentiellement masculine, les femmes en consomment désormais. Les consommateurs de pornographie sont de plus en plus jeunes : l’âge moyen de la première exposition à la pornographie sur internet est 11 ans. Selon les données de l’enquête de l’auteur, l’âge moyen de la première consommation est de 12 ans pour les garçons et 13 ans pour les filles. 57% ont vu leurs premières images pornographiques entre 8 et 13 ans. Selon l’enquête de Marzano et de Rozier [2], qui ont interrogé 300 adolescent-es français-es, 58% des garçons et 45% des filles ont vu leurs premières images pornographiques entre 8 et 13 ans (p 100). Se dégage donc bien à la lumière de ces enquêtes une tendance de fond au rajeunissent de l’âge des consommateurs.

Le chapitre V sur la pornographie contemporaine dresse un tableau des tendances les plus récentes. Nombre de magazines féminins érigent comme nouvelles normes à suivre, de nouvelles pratiques sexuelles et vantent les mérites des produits de l’industrie du sexe : films, gadgets sexuels, etc. Il faut « Osez » selon le titre d’une collection de livres aux éditions La Musardine : pour être bien dans sa peau, pour « rester dans le coup », il faut oser tout essayer en matière sexuelle. La popularisation de ces livres, souvent écrits par des anciennes actrices de films pornographiques, traduit le fait qu’aujourd’hui la pornographie est à même de modeler les conduites sexuelles, et au-delà du sexe, les comportements des femmes et des hommes. Elle fait la promotion de certaines pratiques sexuelles et donne à voir ce qui serait l’essence même du féminin et du masculin. C’est ce que Richard Poulin appelle « la tyrannie du nouvel ordre sexuel » (p 40). D’autre part, voit le jour une pornographie de plus en plus violente : le sexe y est alors tout entier fait de rapports de force. La production pornographique est devenue extrême, évolution que Michela Marzano met en évidence [3] : la tendance est au gang bang, à la double et triple pénétration, au gonzo (pornographie d’humiliation et de démolition), au crade et au trash...

Sans prétendre que la pornographie modélise les comportements et attentes sexuelles, il est important d’étudier les conséquences de sa large diffusion et de sa consommation sur les individus. Peu de recherches empiriques sont disponibles. Une étude sur la consommation de pornographie en ligne menée en 2002 au Texas [4] montre que plus les hommes consomment de pornographie, plus ils ont une forte probabilité de percevoir les femmes d’une manière sexualisée et stéréotypée. Ils seraient également plus enclins à promouvoir une vision traditionnelle et conservatrice du rôle des femmes. Richard Poulin a montré dans un précédent travail [5] que la pornographie isole socialement les hommes qui consomment la pornographie. Conséquences sur les hommes mais également sur les femmes...la pornographie affecterait l’image et l’estime de soi des femmes avec pour conséquences un recours grandissant à la chirurgie esthétique, l’évolution des fantasmes sexuels féminins [6]

Qu’en est-il pour les jeunes consommateurs ? L’ouvrage de Richard Poulin tente de formuler une réponse, à partir d’une enquête empirique réalisée en 2008 et reposant sur 213 questionnaires auto-administrés portant sur les expériences pornographiques et les pratiques corporelles et sexuelles. Les répondants ont été recrutés sur le mode du volontariat dans les cours de première et de deuxième années à la faculté de sciences sociales de l’université d’Ottawa. Ce dispositif est complété par une série de dix entretiens individuels. Les répondants âgés en moyenne de 22 ans et sont pour 71% des filles. Il s’agit de mesurer les pratiques pornographiques des jeunes et l’influence de cette consommation dans leur vie intime. Présentée dans l’introduction, l’enquête sur laquelle on aurait pu croire que l’ouvrage reposerait intégralement est reléguée dans le dernier chapitre. Elle fait figure de parent pauvre lorsqu’on considère l’ouvrage dans sa globalité, ce qui est regrettable.

L’enquête révèle que la pornographie est une source d’inspiration pour les rapports sexuels des jeunes : plus d’un répondant sur quatre déclare avoir déjà demandé à sa partenaire d’effectuer un acte vu dans la pornographie. La pornographie semble posséder un caractère prescriptif anxiogène chez les jeunes. A travers les images pornographiques, les jeunes recherchent une confirmation de la normalité de leurs comportements : 40,8% des jeunes interrogés puisent dans la pornographie des idées, 25,8% en tirent un modèle de rapport sexuel auquel se conformer. Les désirs et fantasmes des hommes sont chez 3 jeunes sur 4 influencés par la pornographie. La consommation de pornographie influence également notablement les transformations du corps des jeunes : dans l’enquête menée par Richard Poulin, il apparaît que 97,8% des jeunes qui souhaitent modifier leur corps ont consommé de la pornographie. Les pratiques épilatoires nouvelles, en particulier celle intégrale du pubis chez les femmes et les hommes, semble découler "directement du porno et [montre] son influence sur les pratiques sociales et intimes."

Sans remettre en cause les constats de Richard Poulin, reste que celui-ci offre une description des conséquences de la consommation de la pornographie sur les jeunes totalisante et peu nuancée. L’enquête empirique aurait pu permettre si elle avait été plus exploitée dans l’ouvrage, de dépasser le seul stade de la dénonciation.

NOTES

[1Jerry Ropelato, « Internet Pornography Statistics », TopTenReviews, 2006

[2Marzano, Michela et Claude Rozier, Alice au pays du porno, Paris, Ramsey, 2005

[3Michela Marzano, Malaise dans la sexualité. Le piège de la pornographie, Jean-Claude Lattès, 2006

[4Pamela Paul, Pornified : How Pornography Is Transforming Our Lives, Our Relationships, and Our Families, Times Book, 2005

[5Richard Poulin, « De la pornographie ou l’homme dans tous ses états », Cahiers du socialisme, n°16, 1984, p11-34

[6Selon le sociologue Mickael Kimmel dans Manhood in America : A Cultural history, Free Press, 1996 la consommation de pornographie oriente les fantasmes sexuels féminins vers plus de violence, ce qu’il nomme la « masculinisation sexuelle »

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