Par Emmanuelle Zolesio [1]
Le titre et le sous-titre de l’ouvrage, ambitieux et prometteurs, ne décevront pas le lecteur. C’est effectivement une véritable « sociologie de la médecine générale » qui est offerte par les auteurs des 22 contributions, très exigeantes empiriquement. Il était temps en effet de faire le point sur l’actualité des recherches sur la médecine générale et de permettre la comparaison avec les enquêtes pionnières [2] comme le souligne Claudine Herzlich dans sa préface. C’était bien là l’objectif - parfaitement réalisé - du premier colloque sur la médecine générale qui s’est tenu à Rennes les 8 et 9 juin 2006 et d’où est né le projet de cet ouvrage collectif.
L’ouvrage se propose dans une première partie, entièrement rédigée par Géraldine Bloy et François-Xavier Schweyer, de faire la synthèse des données statistiques existantes sur la profession de médecin généraliste avant d’entrer dans la seconde partie dans le détail des pratiques professionnelles par des enquêtes de terrain. Le premier cadrage s’avère utile à plus d’un titre et permet de resituer historiquement la position dominée dans laquelle se trouve la médecine générale au sein des spécialités médicales (chapitre 1), ce qui s’objective par les différences de salaires notamment (chapitre 4) [3]. François-Xavier Schweyer procède quant à lui à un bilan démographique de la spécialité (chapitre 2) et invite à voir la diversité des activités et pratiques des médecins généralistes (chapitre 3). C’est ce dernier point qui nous semble tenir lieu de fil rouge à la plupart des contributions et qui justifie pleinement le pluriel du titre.
Le titre de l’ouvrage ouvre en effet plusieurs pistes. Il s’agit de souligner d’une part la singularité de la médecine générale par rapport à d’autres types de pratiques médicales (notamment celles des spécialités médicales et hospitalières mais aussi, grâce à la contribution de Françoise Bouchayer, par rapport aux infirmières et kinésithérapeutes libéraux), d’autre part la singularité des pratiques individuelles des médecins généralistes, soulignant ainsi la pluralité des manières de vivre et d’investir le métier pour les professionnels. Parler « du » médecin généraliste reviendrait alors à subsumer sous un même terme une grande diversité de situations individuelles, de conditions d’installation, de registres d’actions, de profils, de perceptions et de dispositions professionnels. La plupart des contributions ne s’arrêtent pourtant pas à la simple description de la pluralité de ces pratiques individuelles - ce qui est fort appréciable - mais fournissent quelques éléments d’explication.
La contribution de Sophia Rosman sur l’étude comparée des pratiques de prescription des généralistes français ou néerlandais (chapitre 6) permet de voir ce que les pratiques individuelles doivent à l’organisation générale des systèmes de santé nationaux mais aussi aux conceptions de la maladie et de la pratique généraliste transmises dans le cadre de la formation reçue. L’étude que fait Alain Giami de la spécialisation informelle des médecins généralistes dans l’abord de la sexualité (chapitre 8) est également tout à fait stimulante en ce qu’elle suggère aussi des déterminants plus individuels des dispositions et des pratiques professionnelles (puisqu’on s’aperçoit qu’une telle spécialisation a souvent trait à des expériences socialisatrices marquantes en matière de sexualité dans la trajectoire biographique des médecins concernés).
Cette plongée dans le détail et la singularité des pratiques n’occulte pourtant pas des questions plus macro-sociales comme la place du médecin généraliste dans le système de soins (3ème partie) ou les effets des réformes sur la médecine générale (4ème partie). Dépassant le cadre d’analyse réducteur du « colloque singulier » Guillaume Fernandez et Gwénola Levasseur (chapitre 12) ou encore Aline Sarradon-Eck (chapitre 14) abordent les liens des médecins généralistes avec les familles des patients ou avec les réseaux professionnels. L’idéal d’autonomie des médecins généralistes est toutefois souligné à de maintes reprises au fil de l’ouvrage et François-Xavier Schweyer (chapitre 16) notamment rappelle que les réseaux de santé souffrent d’une faible légitimité auprès de nombre de généralistes. Quant à la réforme des études médicales, elle est abordée par Géraldine Bloy qui met en perspective le travail d’institution de la médecine générale à l’université (chapitre 17) et par Yann Faure qui propose un outil statistique original et efficace pour mesurer l’attractivité des spécialités aux nouvelles épreuves nationales classantes (chapitre 18). Le processus de féminisation de la médecine générale et les effets du genre sur cette orientation sont également abordés successivement et de façon complémentaire par Yann Faure, Géraldine Bloy ainsi que Nathalie Lapeyre et Magali Robelet (chapitres 18 à 20).
En conclusion, on ne peut que redire le plaisir que nous avons eu à lire cette riche sociologie de la médecine générale, attentive aux variations individuelles de l’exercice du métier comme à ses évolutions historiques et restructurations de fond et inviter le lecteur à découvrir par lui-même ce qu’une note de lecture ne peut suffire à présenter [4].