Par Marion Blatgé [1]
L’ambition du présent ouvrage est de formuler la question de l’obésité du point de vue des sciences sociales. Il ne se réduit pas à la recherche de réponses à des hypothèses formulées par l’épidémiologie, mais se donne pour objectif de re-problématiser la question de l’obésité d’un point de vue sociologique et anthropologique. Les dimensions sociales de la question sont donc investies dans une triple perspective ; il s’agit pour Jean-Pierre Poulain de proposer une sociologie de l’obésité, une sociologie sur l’obésité ; complétées par une sociologie de la connaissance sur l’obésité. Ce sont donc des sociologies de l’obésité que Jean-Pierre Poulain entend développer dans ce livre.
Dans un premier temps, l’auteur propose une réflexion sur les déterminants sociaux du surpoids et de l’obésité. Ce phénomène touche de façon distincte les différentes strates de la population. Grâce aux travaux d’épidémiologie, on sait que l’obésité a progressé de manière rapide dans les sociétés développées depuis vingt ans. En outre, des sociétés en développement voient aujourd’hui cohabiter malnutrition et obésité. Enfin, la distribution de la corpulence est liée à différents déterminants sociaux. S’il y a des personnes obèses dans l’ensemble des couches de la société ; l’obésité sévère est cependant deux fois plus présente en bas qu’en haut de l’échelle sociale. La précarité et la précarisation sont présentées par Jean-Pierre Poulain comme des facteurs de causalité. L’obésité est également liée à des phénomènes de mobilité sociale. Les personnes obèses sont en effet touchées par des phénomènes de stigmatisation, qui sont sources de différentes discriminations. Cette stigmatisation est elle-même nourrie par une évolution historique des représentations liées à la corpulence ; les formes corporelles prononcées étant aujourd’hui dévalorisées.
Dans un second temps, Jean-Pierre Poulain s’attache à décrypter la médicalisation de l’obésité et le développement de controverses scientifiques à son sujet. L’obésité est devenue une question de santé publique lorsqu’une corrélation a été révélée entre la corpulence et l’espérance de vie. Ce dévoilement, initié notamment par les compagnies d’assurances nord-américaines, en a fait un facteur de risque. L’obésité s’est vue dans un second temps qualifiée de maladie, parfois même associée à une épidémie. En présentant ces controverses scientifiques, le sociologue n’entend nullement les arbitrer, mais bien comprendre ce qui les structure, comment elles se résolvent et finalement, quelles données scientifiques sont sélectionnées pour contribuer à la vulgarisation de cette question. Un discours cohérent et audible est donc construit sur l’obésité, que le corps social s’appropriera ou non. Cette réception profane du savoir scientifique va avoir une influence sur ce même discours et sa transformation.
Dans sa dernière partie, le sociologue entend proposer des éléments de réflexion contribuant à une politique de l’obésité. Les politiques de lutte contre le surpoids n’ont en effet pas marqué par leurs résultats probants. Ce constat d’échec invite à chercher des coupables à la situation. Deux grilles de lecture s’opposent ainsi : la dénonciation de l’industrie agroalimentaire d’un côté et des comportements individuels jugés irresponsables de l’autre. Les enseignements de différentes campagnes d’éducation sanitaire permettent de pointer les risques des politiques de prévention. Le premier d’entre eux est de produire des discours moralisateurs. Par ailleurs, dans le domaine de l’alimentation, s’appuyer sur un modèle individualiste conduirait à une impasse. Des outils de prévention sont ainsi présentés, telle une communication en matière de promotion de la santé qui prend en compte les facteurs sociaux ou encore la promotion du conseil individualisé en matière de santé.
C’est une tentative d’analyse exhaustive de la question de l’obésité que l’ouvrage entreprend. S’il est en de nombreux points didactique - notamment dans sa première partie -, l’ouvrage pèche certainement par son ambition excessive. D’une part, parce que nombre des données présentées, notamment celles relatives à la mesure de l’obésité, mériteraient d’être plus largement explicitées. Ainsi, certains passages de la seconde partie se révèlent peu accessibles à notre sens. D’autre part, à l’issue de la lecture, nous ne sommes pas certains d’avoir saisi toute l’ampleur de cette sociologie de la connaissance sur l’obésité que propose Jean-Pierre Poulain. S’attache-t-il à une sociologie des sciences ou se situe-t-il dans l’expertise aux pouvoirs publics ?