Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu

Suivre Liens socio

Mail Twitter RSS

Votre Liens socio

Liens Socio ?
C'est le portail d'information des sciences sociales francophones... Abonnez-vous !


Sourde en centre d’appels. Plaidoyer pour une distanciation intégrante envers les personnes en situation de handicap

Un ouvrage de Claire Merlin (L’Harmattan, 2010)

publié le jeudi 24 mars 2011

Domaine : Sociologie

Sujets : Travail

      {mini}

Par Pierre Brasseur [1]

« Comment comprendre que le Groupe France Telecom fasse des campagnes publicitaires prônant son savoir-faire en termes de solutions de handicap et que dans le même temps des salariés handicapés ne bénéficient pas des conséquences de ces discours ? » (p.98). Cette question traverse le livre de Claire Merlin, Sourde en centre d’appels, Plaidoyer pour une Distanciation Intégrante envers les personnes en situation de handicap, un livre où l’expérience de l’auteure, aujourd’hui psycho-sociologue à France Telecom nourrit une réflexion critique à la croisée de la sociologie du handicap et de la sociologie du travail mais aussi, plus largement, sur les normes sociales qui imposent désormais à chacun d’être performant à tout prix.

L’ouvrage se divise en deux parties : dans un premier temps Claire Merlin se livre à un exercice autobiographique où elle retrace les différentes étapes de sa vie de salariée au sein de France Telecom et de personne en situation de handicap auditif. Elle nous y décrit la découverte de son handicap, l’hypoacousie ou perte d’audition, au cours d’une banale visite médicale, mais aussi la suppression concomitante de son poste d’assistante converti en poste de conseillère en centre d’appel. L’auteure nous fait état des stratégies d’adaptation qu’elle met en place pour cacher son handicap, puis ce qui l’amène à le révéler à sa hiérarchie, pour ensuite décider de se faire appareiller. Ce récit est aussi l’occasion de descriptions de situations quasiment ubuesques : une médecine du travail qui continue à la déclarer « apte » à condition d’être mutée à un poste avec moins de 50% de temps consacré au téléphone, une reconnaissance du statut de travailleur handicapé par la COTOREP qui ne change rien au comportement de sa hiérarchie. Mais c’est aussi l’histoire d’une dépression qui s’installe, d’une première reconnaissance de son inadaptation alors qu’elle menace de se suicider, d’un retour d’arrêt maladie qui la mène dans un « placard ». Elle y décrit parallèlement ses différents engagements (syndicaux, associatifs) et cherche à nous faire comprendre les différents aller-retour qu’elle a effectués entre l’université et l’entreprise pour devenir aujourd’hui psycho-sociologue.

C’est autour des résultats d’une recherche-action qu’elle a menée lors de sa reprise d’études que va se structurer la deuxième partie du livre : elle y interroge la dissonance entre la volonté affichée de l’entreprise d’aide aux personnes en situation de handicap et la réalité des actes. L’apprentie-chercheuse va aller enquêter auprès de ceux qui font les discours, les cadres, et tenter d’interroger leurs représentations du handicap [2]. Parmi les grandes figures caractéristiques qui ressortent des entretiens, on retiendra celle de l’handicapé héroïque, « gros bosseur », l’handicapé qui fait peur ou l’handicapé égocentrique, exclusivement centré sur son handicap. Ces interviews sont aussi l’occasion pour les cadres d’insister sur le potentiel économique que représente le marché du handicap.

Finalement, Claire Merlin propose une réponse à la question posée en entrée de ce compte-rendu : l’entreprise chercherait avant tout des compétences, sans s’intéresser aux particularités des personnes qui sont en poste. Dans le cas du handicap, s’il est pris en compte, c’est avant tout pour remplir les quotas. En dehors de ce discours plutôt consensuel, certains avouent avoir peur du handicap, il les renvoie à la fragilité de la condition humaine, à la peur. Pendant que d’autres vont insister sur une figure beaucoup moins consensuelle : le handicapé considéré comme personne égocentrique, exclusivement centré sur son handicap.

D’après Claire Merlin, cette situation résulte du fait que l’entreprise cherche avant tout des compétences sans s’intéresser aux particularités des personnes qui sont en poste. Dans le cas du handicap, s’il est pris en compte dans la politique de recrutement, c’est avant tout dans une optique d’atteinte des quotas obligatoires. Les travailleurs en situation de handicap ne sont pas considérés comme un apport de compétence pour l’entreprise, comme pourrait l’être n’importe quel salarié. La psycho-sociologue préconise donc la mise en place d’une véritable discrimination positive, qu’elle propose de renommer « distanciation intégrante », qui ne doit pas s’appliquer seulement au groupe des personnes handicapées mais à tous les individus, comme un travail commun de valorisation des compétences de chacun en fonction de ses moyens.

Il résulte de la lecture de cet ouvrage de 150 pages un sentiment de frustration : on peut, en effet, être décontenancé face à la pauvreté du développement de la notion de « distanciation intégrante », qui fait pourtant le titre de l’ouvrage [3]. Présentée comme un nouveau concept, il nous est difficile de saisir s’il ne s’agit pas simplement, même si c’est déjà beaucoup, d’un changement de terminologie. Et si non dans quelle mesure cela peut être une solution viable et applicable au monde de l’entreprise ? De la même façon on regrettera le manque criant de travail éditorial avec un texte rempli de répétitions et d’informations pas toujours bien sourcées. Si l’on ne remet pas du tout en cause l’aspect rédempteur d’une telle démarche, l’exercice gagnerait en force de propos, s’il donnait à présenter au lecteur un texte plus clair, plus travaillé [4].

Mais cela n’entame en rien l’intérêt de ce témoignage qui reste en lien avec les préoccupations actuelles sur la place de la santé au travail et qui apporte des informations essentielles sur les effets, espérés et/ou réels, de la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé.

NOTES

[1Etudiant en Master 2 "Pratiques et Politiques Locales de Santé – Recherche", Université des Sciences et Technologies de Lille 1

[2Huit entretiens sont menés auprès de cadres : six travaillent chez France-Telecom, deux dans une autre entreprise. Le lien qu’ils entretiennent, dans le cadre de leur travail, avec le monde du handicap, ainsi que le mode de recrutement des interviewés, n’est pas spécifié clairement.

[3Notion qui n’apparaît réellement que vingt pages avant la fin du livre et qui est présentée de façon très étayée.

[4Dans une autre mesure on peut lire avec attention le récent billet publié sur le blog du sociologue Ludovic Lestrelin, « Comment j’ai publié ma thèse », qui montre avec finesse l’importance du travail de l’éditeur dans l’élaboration du manuscrit final. http://www.canalblog.com/cf/fe/tb/?bid=234493&pid=20444843

Note de la rédaction

À lire aussi dans la rubrique "Lectures"

Une réponse de José Luis Moreno Pestaña au compte rendu de Pierre-Alexis Tchernoivanoff
Un ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Payot & Rivages, Coll " Essais Payot", 2009)
Une réédition de l’ouvrage de Katharine Macdonogh (Payot & Rivages, Coll "Petite Bibliothèque Payot", 2011)

À lire sur les mêmes sujets...

Travail

Un ouvrage de Pascale Desrumaux (Presses Universitaires de Rennes, Coll "Psychologies", 2011)
Un ouvrage d’Arnaud Mias (Ellipses, 2011)
Un ouvrage de Christian Corouge et Michel Pialoux (Agone, Coll "Mémoires sociales", 2011)
Un ouvrage sous la direction de Paul Bouffartigue, Charles Gadéa et Sophie Pochic (Armand Colin, Armand Colin / Recherches, 2011)

Partenaires

Mentions légales

© Liens Socio 2001-2011 - Mentions légales - Réalisé avec Spip.

Accueil |  Présentation  | Qui sommes-nous ?  | Charte éditoriale  | Nous contacter  | Partenaires  | Amis  | Plan du site  | Proposer un contenu